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par Nadya Charvet

Stéphane Hessel, grand résistant, ambassadeur de France, diplomate à la carrière atypique, est mort dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 février à l’âge de 95 ans. Nous l’avions rencontré chez lui, un mois auparavant. Physiquement affaibli mais intellectuellement inébranlable, il avait évoqué pour nous l’importance de l’amitié franco-allemande, et l’urgence des combats à mener pour la démocratie. Fidèle aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme à laquelle il avait contribué, il avait connu il y a deux ans un succès planétaire avec son manifeste « Indignez-vous » ! vendu à plus de 4 millions d’exemplaires. Nous reprenons dans Metis sa dernière interview qu’a publiée récemment Macadam-Trott-war.

 

stephane hessel

Vous dites être un franco-allemand convaincu. Pourquoi ?

Plus que jamais l’Europe dont nous avons le plus grand besoin ne peut se bâtir que sur l’entente entre nos deux grands pays. Je ne parle pas seulement au niveau politique. J’ai la chance d’avoir passé ma petite enfance à Berlin et d’avoir pu ensuite suivre ma scolarité en France, j’ai cette double culture. Je mesure combien il est précieux de l’entretenir. Si le siècle dernier a laissé bien des traumatismes, notre devoir est de nous accorder pour construire ensemble des réponses aux crises que traversent le monde occidental.

 

Pour vous la France et l’Allemagne ont un socle commun?

Bien sûr, il existe des différences culturelles entre nos deux pays, mais songeons aussi à tout ce que nous avons en commun : nous sommes les héritiers de l’empire de Charlemagne, lui-même héritier de l’empire Romain, nous sommes porteurs de grandes valeurs politiques, humanistes. Ces valeurs sont un socle solide, indispensable qui devrait inspirer bien des sociétés en mal de démocratie.

Vous avez traversé bien des crises. Que vous inspire l’état du monde actuel ?
La menace qui pèse sur nos sociétés est grave. Nous traversons une crise qui ébranle notre démocratie. Le monde s’est globalisé. Un Etat ou même un groupe d’états comme l’Europe ne peuvent plus décider seuls de leur fonctionnement. L’emprise des forces économiques et financières s’est imposée à tous les gouvernements, à tous les citoyens. Dans démocratie, il y a demos, le peuple, et donc l’opposé de l’oligarchie. Or aujourd’hui, les oligarchies sont dominantes dans nombre de pays qui se disent démocratiques.

Face à cela comment penser la démocratie ?

C’est une question qui se pose à tous. Si les citoyens s’indignent aujourd’hui, c’est parce qu’ils voient des gouvernements qui ne peuvent plus faire fonctionner la démocratie. Les besoins essentiels – le bien être, le bien vivre – ne sont plus assurés car ils sont victimes de la recherche du profit. Il faut d’urgence reposer la question d’une répartition plus équitable des profits et du bien être.


Vous dites que nos sociétés ont été bâties sur ces fondamentaux ?

Oui. Le bien-être et le bien vivre ont donné naissance à la sécurité sociale en France, à un modèle social longtemps jugé exemplaire en Allemagne. Ces objectifs ont été trahis par l’oligarchie économique et financière. Il est essentiel de revenir à cette ligne. Un homme comme Obama tente de le faire. Bien sûr ce n’est pas facile. Chez nous, en France en Allemagne, nous voyons bien que les partisans d’une économie plus sociale, plus solidaire ont repris les valeurs inscrites dans la charte de l’organisation internationale du travail. Il faut retrouver la paix sociale, et pour cela évoluer vers plus de justice dans les rapports sociaux. C’est très loin d’être impossible, le capitalisme néolibéral a fait son temps. Il est grand temps qu’il cède la place à une société plus juste, plus équilibrée.


Vous avez écrit « indignez-vous!» dont le monde entier s’est inspiré. Ce succès vous a surpris ?

J’ai été impressionné par les répercussions de mon petit ouvrage dans les pays comme l’Espagne, l’Italie ou certains pays du Maghreb. Mais cette indignation ne doit pas rester à l’état de protestation, ou de dénonciation. Elle doit trouver son expression. Il nous faut trouver les armes nécessaires pour lutter contre l’exclusion, pour stopper la sur-exploitation de nos ressources naturelles, avant que les dommages faits aux hommes et à la terre ne deviennent irréversibles. Il nous faut réfléchir à de nouvelles formes d’action collectives, et on voit qu’elles émergent et qu’elles sont mondialisées, en partie grâce aux nouvelles technologies.

 

L’Allemagne et la France doivent montrer l’exemple, dites-vous?
Désormais les progrès ne peuvent venir que d’actions entreprises au niveau mondial, mais pour faire travailler ensemble toutes les cultures, il faut une formidable poussée qui peut venir de l’alliance de la France et de l’Allemagne. Nous avons fait progresser nos sociétés par le passé. Nous devrions nous atteler ensemble au combat pour la démocratie et contre l’oligarchie.

 

 

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