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Comprendre le modèle allemand au-delà des mythes, tel est l’objectif de ce livre qui permet de   « raison garder » face à une Allemagne dont le spectaculaire succès à l’exportation tétanise. Et s’il est toujours utile de se mirer dans le regard des autres (les prendre pour modèle ?), il est vain de vouloir leur ressembler.

 

Le livre de Guillaume Duval contient beaucoup d’observations stimulantes mais il nous invite surtout à ne pas prendre des vessies pour des lanternes en croyant que le succès de l’Allemagne repose sur les réformes initiées par Gerhard Schröder : la thèse du livre est « qu’il est probable que l’action de Gerhard Schröder a plutôt fragilisé à terme l’économie et la société allemande en permettant que s’y répandent la pauvreté et les inégalités » et que les performances de son industrie n’ont pas grand-chose à voir avec la flexibilité du marché du travail.

 

Dans un premier chapitre intitulé « Le modèle allemand ne date pas de Schröder » il enfonce le clou et rappelle à grand traits les ingrédients de cet ensemble de complémentarités institutionnelles qui forment le socle du potentiel économique de l’Allemagne : l’économie sociale de marché qui est en réalité une école de pensée antiétatique (en réaction au dirigisme hitlérien), un État décentralisé sans politique industrielle publique (mais avec des branches professionnelles souvent puissantes notamment dans le secteur des biens d’équipement), des entreprises qui n’appartient pas qu’aux actionnaires (avec une place aux salariés au conseil de surveillance une aversion collective pour l’inflation, une méfiance pour les relances keynésienne, une banque-industrie … [1] Jean-Louis Beffa vient de publier, avec Christophe Clerc, « Les chances d’une codétermination à la française » montrant l’enjeu d’impliquer les représentants des salariés dans les instances de décision des entreprises. (Collection Prisme -Janvier 2013 Centre Cournot).Tout cela est plus ou moins connu et explique bien nos incompréhensions mutuelles.

 

Petit retour en arrière : la lecture de ce livre m’a conduit à rechercher dans mes rayonnages un autre livre publié en 2006 intitulé « Le modèle allemand en question ». Il faut se souvenir qu’à ce moment-là, l’Allemagne était la lanterne rouge de la croissance européenne et qu’elle avait su trouver en France des alliés pour ne pas respecter la fameuse règle des 3 % entre 2001 et 2005. Les auteurs observaient que l’Allemagne changeait et remettait en cause progressivement les différents éléments de son modèle. Et de citer la prédiction de Michel Albert qui pensait que la vague de capitalisme anglo-saxon l’emporterait sur le capitalisme rhénan, non en raison de sa plus grande efficacité mais par l’effet de séduction intellectuelle exercée sur les hommes politiques et sur les chefs d’entreprise. La politique de Gerhard Schröder était précisément porteuse de cette doxa anglo-saxonne.

 

Faut-il donc imputer les performances économiques de l’industrie allemande aux vertus des réformes d’alors ? Aucunement répond Guillaume Duval, cela n’a rien à voir.

 

L’économie allemande repose de plus en plus sur les exportations (elles pesaient 23,7 % de son PIB en 1995, elles en représentaient 51,9 % en 2012) avec une demande intérieure faible (les salaires stagnent ou diminuent, les investissements en infrastructures restent limités).

Ces performances à l’exportation reposent notamment sur :

  • L’intégration des PECO dans la base productive allemande qui bénéficie ainsi d’un vaste hinterland avec une main-d’œuvre souvent bien formée et à faible coût. La réunification (qui a coûté cher aux Allemands mais aussi aux Européens comme le montre Guillaume Duval) a eu cette vertu de pouvoir reconfigurer l’industrie allemande au détriment notamment de la France qui est devenue moins attractive pour l’Allemagne. Comme fournisseur privilégié de l’Allemagne, la France a cédé la place aux PECO.
  • La forte spécialisation de l’Allemagne: 1) en biens d’équipement, avec ses PMI comptant parmi les meilleurs spécialistes mondiaux dans leur domaine. Les usines du monde entier font appel au savoir-faire allemand et ces usines se construisent en dehors de l’Europe. 2) en voitures haut de gamme dont raffolent toutes les nouvelles classes enrichies des pays émergents.

On comprend dans ce contexte que les thèmes protectionnistes soient complément étrangers aux allemands.

 

Mais d’autres éléments jouent aujourd’hui en faveur de la compétitivité allemande : le faible coût du logement, des services, un plus faible niveau des dépenses publiques. Louis Gallois, cité dans un article du Monde du 5 mars, exprimait son regret d’avoir oublié, dans son rapport sur la compétitivité, de parler de la question du logement mentionnant que ce poste représente aujourd’hui de 25 à 28% du budget des ménages français contre 12 à 15% pour les ménages allemands. Et parmi les ingrédients du succès, un chômage moins important, mais il faut aussi garder à l’esprit qu’entre 2000 et 2012 la population allemande âgée de 15 à 64 ans a diminué de 1,7 millions de personnes alors qu’elle s’est accrue de 2,8 millions en France.

 

Les Allemands pensent que les sacrifices demandés par Gerhard Schröder expliquent les succès de l’industrie allemande. Ils attendent des autres pays qu’ils en fassent autant. Comme le montre Guillaume Duval les Allemands eux-mêmes se trompent sur les causes de leur propre succès. Mais, dit-il, il avoue son profond désarroi : les Allemands y croient dur comme fer… Et ils nous le font croire.

 

Pour en savoir plus

Guillaume Duval : Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes, , Editions du Seuil, 2013

 

 

 

 

 

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Un parcours professionnel varié dans des centres d’études et de recherche (CREDOC, CEREQ), dans
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partir d’une formation initiale d’ingénieur X66, d’économiste-statisticien ENSAE et d’une formation
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Une activité associative diverse : membre de l’associations des anciens auditeurs de l’INTEFP, ex-
président d’une grosse association intermédiaire à Reims, actif pendant de nombreuses années à
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animateur de l’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts-de-Seine.
Toujours très intéressé par les questions d’emploi et du travail.