par Metis
François Fatoux est le délégué général de l‘Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE) qui a publié de nombreux guides pratiques en particulier sur l’usage des messageries électroniques ou sur le télétravail. Il répond ici aux questions de Metis.
Quelle est la relation entre les nouvelles technologies et le dialogue social ? Qu’est-ce qui fait que les partenaires sociaux en parlent de plus en plus ?
Tout d’abord dire que par nouvelles technologies, nous parlons des usages de téléphones portables et des outils de communication à distance qui permettent de travailler en dehors des horaires de travail. La frontière traditionnelle entre travail et vie privée disparaît. Aujourd’hui, les organisations syndicales s’intéressent de plus en plus aux conditions de travail. Les questions relatives aux nouvelles technologies ont émergé dans les années 2000, les entreprises ont développé les chartes d’utilisation de bonne conduite des emails. Mais le dialogue social n’est apparu que très tardivement: la discussion était très faible car, d’une part, les nouvelles technologies ne visaient qu’une population très limitée et, d’autre part, parce qu’il était difficile de poser un cadre de négociation de l’utilisation de ces emails. Aujourd’hui la question se pose de trouver un cadre juridique dans l’usage de ces emails. Les entreprises ont développé des chartes d’utilisation mais il faut s’assurer que les salariés puissent suivre ces recommandations. Les syndicats ont mis en avant un droit à la déconnexion: ainsi le salarié ne doit pas être sanctionné s’il ne répond pas de façon immédiate aux emails. Le problème se pose sur la manière dont ce droit à la déconnexion peut être mis en place. Doit-on y procéder de manière technique comme en Allemagne?
Vous citiez l’Allemagne. Que s’est-il passé dans le cas de Volkswagen en Allemagne ?
Il s’agit d’un établissement de Volkswagen dont la norme ne visait que les non-cadres. Le comité d’entreprise a négocié un accord pour bloquer l’usage des emails. C’est la seule entreprise où l’on ait recouru au blocage dans les envois de courriels (au delà de 30 minutes avant et après les horaires habituels de travail). Ailleurs, les syndicats s’y sont opposés, ils n’étaient pas demandeurs. Le souci des syndicats repose plutôt sur le fait qu’il n’y ait pas de dépassement, ils ne veulent pas interdire l’accès à distance. Le blocage mis en place par Volkswagen est illusoire, il n’évite pas que les emails soient adressés et peut même provoquer une saturation de la messagerie électronique si trop d’emails sont envoyés. Cela peut même générer un stress supplémentaire: déconnecter le weekend et se retrouver lundi matin avec beaucoup de messages à répondre et traiter, par exemple.
La piste du blocage des emails est donc isolée. Et à ma connaissance, aucune autre entreprise allemande n’a suivi cette piste.
Quelles sont les autres pistes ?
Les autres pistes pour traiter des TIC peuvent être trouvées dans le cadre des négociations sur le télétravail (avec l’affirmation du principe du droit à la déconnexion), l’égalité professionnelle entre femmes et hommes (lorsqu’est traité de la question d’une meilleure articulation entre le travail et la vie privée) et en dernier lieu sur les négociations sur la qualité due au travail. Il est clair que les nouvelles technologies ont contribué à une montée des RPS, du harcèlement, du stress. Il y a même eu des cas de suicides. L’un d’eux a fait l’objet d’un contentieux entre l’entreprise et la famille de la victime. Cette dernière demandait une reconnaissance professionnelle du suicide: le salarié était connecté en permanence avec son travail. L’entreprise déclara ne pas être au courant de cette disponibilité 24h/24. Or l’entreprise a une obligation en matière de santé auprès du salarié. Le burnout du salarié s’est produit grâce à des outils mis à disposition par l’entreprise.
A partir des cas d’entreprises que vous connaissez, quelle est la situation de la France par rapport aux nouvelles technologies et au travail numérique ? A-t-elle du retard ?
La question des nouvelles technologies est une question récurrente dans tous les pays développés. Les entreprises ont maintenant pris conscience de leur responsabilité en matière d’usage des nouvelles technologies. Et de ce point de vue la France est plutôt en avance. Les entreprises internationales ont bien appréhendé le sujet qui, aujourd’hui, commence à être débattu dans le cas du dialogue social avec des négociations autour de la qualité du travail. Il existe par exemple la journée sans emails pendant laquelle les salariés évitent de s’envoyer des emails.
Une autre modalité consiste à supprimer les emails par communication instantanée pour éviter d’être confrontés à des volumes conséquents de courriels à traiter
L’expérience française des actions de communication autour des chartes et guides est regardée avec intérêt dans d’autres pays.
Par rapport à la crise actuelle, il y a-t-il eu une accélération dans l’usage des nouvelles technologies ? Les manières de travailler ont-elles changé ?
Les nouvelles technologies changent les pratiques managériales et peuvent générer des tensions, des comportements d’immédiateté. Nous sommes aujourd’hui dans une société de l’urgence. Pour vous citer un exemple, j’ai reçu l’autre jour un message automatique « Je suis en réunion avec accès limité aux emails. », la personne s’excusait de ne pas pouvoir consulter ses emails pendant la moitié de la journée. Les managers n’osent plus dialoguer en direct avec leurs collaborateurs et donc les dirigent par emails. Les relations changent, même cette relation de proximité entre collaborateurs. Une entreprise comme Areva en a pris conscience. Dans le cadre de leur accord d’entreprise sur la qualité de vie au travail, elle insiste dans un article consacré aux TIC, sur la nécessité que « les TIC ne « deviennent pas un mode exclusif de management managérial et de transmission des consignes de travail » . La crise n’a rien à voir dessus, c’est juste l’évolution des technologies. C’est général. Notre société s’inscrit de plus en plus dans une urgence, personne ne peut attendre.
En relation au dernier dossier que nous avons publié sur l’intégration, pensez-vous que les nouvelles technologies favorisent l’intégration des personnes handicapées ?
Ici nous parlons du télétravail. Les hypothèses feraient croire que le télétravail serait un plus pour ces personnes car elles pourraient ainsi rester chez elle. Finalement, la demande des personnes handicapées s’est avérée de pouvoir se rendre au lieu du travail pour être dans un lien social étant donné que le télétravail produit de l’isolement. Le télétravail ne doit pas se faire plus d’une ou deux journées par semaine. Les personnes handicapées demandent du lien social, du contact physique. Il faut éviter que les nouvelles technologies favorisent la sortie de certains collectifs de travail.
Quelle est l’action de l’ORSE en la matière ?
Notre guide de 2011 a rencontré un certain écho dans la presse internationale. Il met en avant, comme beaucoup de nos guides en général, l’exemplarité des managers: les managers doivent avoir des pratiques responsables pour que les salariés aient eux des pratiques responsables. Nous ne sommes que dans les recommandations, pas dans l’obligation. Les conseils figurent sur un document de synthèse qui a eu du succès, car illustrés de manière ludique et pédagogique Il faut pouvoir mettre ces questions en débat dans les entreprises au plus près du terrain sans chercher à stigmatiser mais au contraire en faisant prendre conscience des conséquences de ses propres comportements sur les relations avec les autres salariés
Nous sommes en train de réactualiser ce guide pour intégrer l’usage de nouveaux outils comme les SMS qui peuvent eux aussi véhiculer des dérives.
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