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Depuis la création de l’Union européenne, la question de la concurrence sociale fait débat. Plus récemment, le projet de directive Bolkestein ou le cas des travailleurs détachés (voir dossier Metis) ont ravivé les polémiques, sans parler de la croissance continue du chômage. « Notre Europe » publie sous la plume de Kristina Maslauskaité une étude fort instructive « concurrence sociale dans l’UE : mythes et réalités ».

 

Cette étude conduite dans les 27 pays de l’Union analyse différentes composantes susceptibles de concourir à une concurrence déloyale. Premier constat : la concurrence sociale intra européenne n’est pas celle que l’on croit ou n’est plus ce qu’elle était. Deuxième constat, si les Etats membres se caractérisent par une grande diversité de situations, l’Union fait son œuvre et les divergences s’estompent.

Coûts directs du travail
Au cœur du débat sur le dumping social, le coût du travail. Qu’en est-il des coûts directs et de leur évolution ?

Au premier chef, les salaires. Ils révèlent des différences considérables entre pays. En 2012, le salaire moyen belge est 8 fois supérieur au salaire moyen bulgare, il est même 14 fois supérieur au Luxembourg. 
Pour ajuster les comparaisons, le rapport de Notre Europe tient compte de la parité de pouvoir d’achat (PPA) et des taux de change, ce qui réduit considérablement les écarts, la différence n’est plus que 1 à 6 entre Luxembourg et Bulgarie. 
Autre facteur en ligne de compte et non le moindre, la productivité. Il se dessine au sein des pays de l’Union une corrélation positive entre productivité horaire et coût horaire du travail. Plus la productivité est élevée, plus les salaires le sont. Pour reprendre les cas du Luxembourg et de la Bulgarie, la productivité du travail est près de 13 fois supérieure au Luxembourg qu’en Bulgarie. Lorsque l’on compare les coûts unitaires du travail corrigés de la productivité, les différences entre pays s’estompent et les coûts unitaires du travail convergent. « En 2000, les coûts étaient les plus élevés en Allemagne, en Autriche, au Royaume Uni et en Suède alors que les PECO, le Luxembourg et l’Irlande jouissaient d’un véritable avantage concurrentiel. En 2010, les coûts réels du travail de la Slovénie et de l’Estonie sont devenus légèrement supérieurs à ceux de la France et de l’Allemagne ». L’Irlande, le Luxembourg et la Grande Bretagne ont cependant continué à figurer parmi les pays les moins chers.

 

Quelle est l’explication de cette convergence des coûts au sein de l’UE ? Entre 2000 et 2012, les salaires ont augmenté de plus de 100% dans bien des pays de l’Est européen ou dans les pays baltes, alors que leur productivité ne progressait pas autant, 20% en Hongrie, 40% en Estonie. Les pays de l’Est européen ayant rejoint l’euro ont perdu leur avantage concurrentiel. Dans le même temps, le Royaume Uni, le Luxembourg ou l’Autriche réussissaient à maintenir une productivité élevée et une inflation limitée des salaires.

 

productivite

 

Pour compléter le tableau des facteurs directs de dumping social, le rapport examine la fiscalité du travail et les avantages sociaux. De grandes disparités existent. La fiscalité sur le travail varie de 15% au Danemark et au Luxembourg à plus de 30% en Belgique, en France ou en Suède. Les PECO se situent dans une moyenne d’environ 20%.
Les cotisations sociales versées par les employeurs et les salariés doivent également entrer en ligne de compte. L’ensemble de ces impôts et cotisations reflète le taux effectif d’imposition sur le travail. Comme le montre le graphique suivant, l’Italie, la Belgique, la France et la Finlande appliquent les taux moyens les plus élevés (environ 40%), République tchèque et Hongrie figurent aussi parmi les pays qui imposent le plus le travail. Cette imposition est inférieure à 30% au Portugal, au Royaume Uni, en Irlande, en Roumanie ou en Bulgarie.

 

charge fiscale

 

Coûts indirects du travail
Si les coûts salariaux ne semblent pas artificiellement bas dans la plupart des Etats membres de l’UE, qu’en est-il des coûts non salariaux du travail, temps de travail, protection de l’emploi, santé et sécurité au travail ?
Constate- t-on une tentative de concurrence sociale en matière de durée du travail ? Aucun Etat membre n’approche la limite légale de 48h/semaine. Les durées légales nationales varient de 35h à 40 h mais la très grande majorité des Etats dépassent cette durée sans atteindre la limite de 48h. Plus la durée légale nationale est basse, (ex de la France) plus le dépassement effectif est élevé. Les durées légales nationales ne constituent pas une référence pertinente de comparaison, les durées effectives sont plus significatives.

 

duree legale

 

La moyenne européenne de travail effectif est inférieure à 42h, l’Autriche et la Grèce dépassent les 43h, l’Irlande a le temps de travail le plus court après le Danemark. Le rapport cite une étude d’Eurofound qui souligne que les Européens sont en général très satisfaits de leur temps de travail et qu’ils ne souhaitent pas travailler moins s’ils en avaient la possibilité. Quelques exceptions toutefois, 40% des Britanniques, Maltais, Français et Luxembourgeois souhaiteraient travailler moins. De là à en déduire, comme le fait le rapport, que les disparités de temps de travail correspondent à des préférences culturelles nationales et « ne sauraient être considérées comme un outil de concurrence sociale » est peut-être une affirmation discutable. De plus, il faudrait également regarder les statistiques par activité, notamment dans les secteurs du bâtiment, de l’agriculture ou des services pour se faire une idée plus précise.
D’autres facteurs entre en ligne de compte pour apprécier les coûts indirects du travail, même s’ils sont plus difficilement mesurables. Les disparités concernant la protection de l’emploi, (embauche, licenciement, marché de l’emploi) sont réelles, Luxembourg, Portugal, France et Espagne ont la protection la plus élevée, Irlande et Royaume Uni ont une protection faible et moins coûteuse, ce qui renforce leur compétitivité.
Enfin, les données recueillies en matière de santé sécurité sont mitigées et difficilement interprétables, par exemple, les accidents mortels survenues dans les PECO sont plus nombreux que dans le reste de l’Europe mais les taux ayant donné lieu à congés maladie liés à des accidents de travail sont bien plus élevé dans l’UE 15.

Le rapport estime que le mythe du plombier polonais n’est plus de mise et que les délocalisations à l’Est de l’Europe sont moins d’actualité. Cependant, l’austérité infligée au Sud de l’Europe n’est-elle pas en train de créer un nouveau bouleversement des coûts sociaux au sein de l’UE ?

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