par Joël Ambroisine
La transition énergétique est le défi du début du 21ème siècle. Cette transition engage une modification des politiques orientées par la demande vers une politique orientée par l’offre, d’une production centralisée vers une production décentralisée. Jeremy Rifkin qualifie cette transition de « troisième révolution industrielle » . Au-delà de ces impacts économiques et environnementaux, cette transition a des implications sur les « marchés du travail ».
Face au défi et à l’urgence de la transition énergétique, l’UE et ses partenaires s’engagent pas à pas
La stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive pose cinq grands objectifs pour 2020. Parmi les actions coordonnées par les Etats-membres, le programme 20-20-20 consiste à réduire les émissions à gaz à effets de serre de 20%, de porter à 20% la part d’énergie renouvelable dans l’approvisionnement énergétique de l’UE et à réaliser l’objectif d’efficacité énergétique de 20% ; et ce d’ici 2020. Dans un autre programme « Feuille de route vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l’horizon 2050 » (2050 Low Carbon Roadmap) , la Commission européenne propose des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effets de serre de 80% à 95% d’ici à 2050 par rapport au niveau de 1990.
A travers sa Stratégie Europe 2020, l’UE réaffirme sa volonté et son engagement de construire une économie plus compétitive et respectueuse des ressources. Cette stratégie implique une participation de l’ensemble des parties prenantes. Les partenaires sociaux peuvent jouer un rôle clé, et leur participation augmente petit à petit, même si le tableau européen est loin d’être homogène.
A ce titre, une étude réalisée en 1994 par la Fondation Eurofound dans dix pays de l’UE-15 démontrait que les partenaires sociaux ne se sentaient pas concernés par les problématiques environnementales, hormis les questions relatives à la santé et à la sécurité au travail. Depuis, le rapport 2010 sur les relations professionnelles a démontré un changement de considération de leur part. Dans la plupart des états-membres, ces derniers ont largement influencé le débat, à travers des activités de lobbying, des consultations, l’organisation de forums multi et tripartites, des accords collectifs. Les partenaires sociaux sont à l’initiative d’un certain nombre d’actions relatives à la maîtrise des ressources, à la diminution du taux de carbone dans les processus de production, mais aussi des programmes de formation, de conseils, du soutien à la recherche et à la création de labels environnementaux, etc.
Vers une écologisation de l’emploi
A travers l’initiative « Des nouvelles compétences pour de nouveaux emplois », l’UE vise à mieux anticiper les nouveaux besoins en matière de compétences, de mieux adapter les qualifications aux besoins du marché du travail et de renforcer l’adéquation entre l’offre et la demande.
L’impact de l’écologisation sur la qualité des emplois est méconnu, mais la transition énergétique favorise la création de nouveaux emplois (des emplois à forte intensité cognitive dans les secteurs de l’efficience énergétique et de l’énergie renouvelable), la transformation des emplois existants en emplois «plus verts», mais aussi la destruction de certains. En ce sens, le dialogue social doit s’adapter au « verdissement » du marché du travail.
Du côté des travailleurs, le Congrès international des confédérations syndicales ITUC à Vancouver a adopté le concept d’une transition « socialement juste et écologiquement durable ». Ce programme inclut des investissements dans des secteurs à hautes valeurs technologiques « vertes ».
Du côté des employeurs, les représentants soulignent l’importance de maintenir le niveau de compétitivité en assurant une visibilité internationale, en encourageant les PME, en facilitant la formation, l’accès au financement et en maintenant la réglementation à un faible niveau de contraintes, afin de jouer pleinement leur rôle dans les débats sur le changement climatique.
Malgré ces transformations, les partenaires sociaux ne tiennent pas pour acquis que la transition sera forcément positive. Les acteurs sociaux pensent que ce processus se répercutera avant tout sur la dimension des compétences et de la formation, tandis que les carrières et la sécurité de l’emploi, le temps de travail et le temps libre, la santé et la sécurité et les infrastructures sociales seront moins touchées. En cela, de nombreuses initiatives et des collaborations sont prises pour faciliter le verdissement du secteur. Les réseaux OPCA en France, les projets Euroneff en Roumanie, FAINLAB en Allemagne favorisent la formation en matière d’innovation environnementale dans la construction « plus verte ». Le Centre Lindoe Offshore Renewable financé par la région de Copenhague développe des programmes de recherche, de formation et de projets dans l’énergie éolien maritime. Les réseaux EUREM « European Energy Managers » fournissent une formation standardisée sur la protection climatique et les processus de production économique en matière d’énergie.
La transition lente et verte du marché du travail
Le dialogue social intervient surtout dans les secteurs où les partenaires sociaux sont déjà bien représentés. Dans les industries émergentes, le dialogue social est peu répandu, voire absent. L’augmentation de la production d’énergie à partir de ressources durables est une priorité de l’agenda européen et dans nombreux états-membres. Ces stratégies ont largement été supportées par des mesures de soutien et des programmes financiers. Cependant, les aides et mesures de soutien ont été réduites à cause de la conjoncture d’austérité et de la baisse du prix de l’énergie. Même si les acteurs historiques produisent de l’énergie à partir de ressources durables, il existe un nombre important de PME et de producteurs décentralisés. La plupart d’entre elles sont de très petites entreprises situées dans des zones reculées, et donc hors de la portée et de la sphère d’intérêt des partenaires sociaux. La multiplication et la décentralisation des producteurs d’énergie redessinent les contours du dialogue social en Europe. Du côté du patronat, de nombreuses associations professionnelles se sont constituées dans l’intention de représenter les entreprises du secteur, mais elles n’ont pas encore acquis le statut qui leur donnerait un droit de négociation. Du côté des syndicats, il existe des exemples de stratégies de recrutement actif dans les secteurs émergents, mais seulement dans quelques pays, tels que l’Allemagne, le Portugal et le Royaume-Uni.
Le sous-secteur des énergies renouvelables est représenté par des syndicats de salariés et d’employeurs très impliqués en Autriche, au Royaume-Uni, au Danemark, en Irlande (notamment, les représentants syndicaux et des secteurs parapubliques), en Grèce, en Lituanie (dans le secteur hydraulique), en Slovaquie, en Slovénie, en Bulgarie, etc. Dans d’autres pays, il y a peu de représentants qu’il s’agisse du patronat ou des syndicats. En France, les industries émergentes ont peu d’impact sur les relations professionnelles ; en Espagne, les associations d’entreprises ou les syndicats se sont peu impliqués sur ces thématiques. Dans d’autres pays comme la République Tchèque, la Hongrie, les Pays-Bas, on sait peu de choses sur les relations professionnelles dans ces secteurs, mais l’on suppose que la représentation est faible à cause du faible niveau d’emploi du secteur.
Dans un nombre limité d’états-membres, les syndicats s’activent pour améliorer leur représentation dans les secteurs des énergies renouvelables : par exemple, le syndicat allemand IG Metall tente d’organiser la représentation des travailleurs dans les industries solaires et éoliens, sans arriver à conclure des accords collectifs sectoriels pour ces deux industries. En Lettonie, deux nouveaux syndicats issus des industries de l’énergie renouvelable ont rejoint LAB Energija (syndicat historique). Au Portugal, SINDEL et FIEQUIMETAL recrutent de nouveaux membres et développent des organisations plus spécifiques aux énergies renouvelables. En Suède, le syndicat SEKO tente de persuader certains employés des turbines éoliennes, jusqu’alors représentés par le syndicat IF Metall, de quitter le syndicat, notamment en raison de désaccords concernant les conditions de travail dans les centrales éoliennes. A Malte et à Chypre, le secteur de l’énergie renouvelable n’en est qu’à ses balbutiements et on n’y enregistre aucune tentative de mettre en place une représentation.
Green Job…Better Job ?
Le rapport EUROFOUND 2012 souligne l’impact de la transition énergétique sur la qualité de l’emploi et des conditions d’emploi : développement des compétences, sécurité de l’emploi et des trajectoires professionnelles, santé et bien-être, adéquation entre vie professionnelle et vie personnelle. Il apparaît une amélioration du niveau de qualification et de formation (pour 80% des personnes interrogées). Mais, ni le ratio entre le temps de travail et le temps hors-travail, ni les infrastructures sociales ne semblent subir une quelconque amélioration. L’impact du changement climatique sera moins significatif sur les trajectoires professionnelles et la sécurité de l’emploi, que sur les questions de développement des compétences. Néanmoins, les employés travaillant dans les entreprises ayant des pratiques plus soucieuses de l’environnement estiment que cela aura une répercussion positive en matière de santé et de diminution des risques professionnelles.
Secteur par secteur, des évolutions sont notables :
Par exemple, dans le secteur du bâtiment, beaucoup de travailleurs étant auto entrepreneurs, le verdissement du secteur peut avoir un impact en matière de trajectoires professionnelles et de sécurisation de l’emploi.
Ces régions bénéficient de subventions (maritimes pour l’implantation de l’éolien offshore). Cela aurait un impact sur les conditions de travail, sur le temps de travail et la mobilité. Certains employés vivent loin de ces régions visées par ces évolutions structurelles ; ils sont donc obligés de migrer vers les régions côtières.
Dans ce secteur dominé par les hommes, le verdissement du secteur peut conduire à la création et la féminisation de certains emplois.
Le secteur de l’énergie peut aussi connaître une féminisation de l’emploi, eu égard les nouveaux emplois.
Dans le secteur pétrochimique, les règlementations environnementales ont un impact sur les compétences et les qualifications, mais également en matière de « green marketing » et communication environnementale ou encore dans l’émergence des nouvelles technologies de l’environnement (biotechnologie, génétique, etc. )
L’engagement de l’Europe à passer à une économie à faibles émissions de carbone est très clair. Pourtant, les récentes mesures dictées par l’austérité, entraînant une baisse des subventions publiques, des aides fiscales, des tarifs de rachat et autres aides publiques, pourraient ralentir le processus d’écologisation. Comme n’importe quel autre secteur jeune, les secteurs verts doivent faire face aux pressions de la concurrence (la surcapacité des pays d’Asie). Le renforcement et la promotion des activités des partenaires sociaux à tous les niveaux (au niveau des entreprises, régional, sectoriel, national et européen) sont indispensables si l’on souhaite réussir la transition vers une économie verte.
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