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par Albane Flamant

La France est un des seuls pays dans lequel la responsabilité sociale des entreprises (RSE) commence à être incorporée dans la législation nationale. Ailleurs, il s’agit d’une démarche volontaire dont les impacts sociaux et environnementaux sont certes reconnus, mais qui reste en pratique peu appliquée. En Pologne, un pays qui s’est caractérisé au cours de ces dernières années par sa résilience à la crise économique, cette notion de responsabilité sociale se propage petit à petit. Pawel Sabal, chercheur au BPI group, nous décrit ce phénomène dans une interview exclusive.

 

Pawel Sabal

 Quelles sont les caractéristiques de la mise en œuvre de la responsabilité sociale des entreprises ? Ce modèle est-il répandu dans les compagnies polonaises ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est l’importance qu’a le développement économique d’un pays pour être à même de développer la responsabilité sociale des ses entreprises. A mon avis, il y a une corrélation évidente. Comparée à ses voisins européens, la Pologne reste un pays en voie de développement, et cette méthode de gestion a donc pour l’instant été adoptée par peu de compagnies polonaises. Cependant, le nombre d’adhérents a considérablement augmenté depuis que la Pologne est devenue membre de l’Union Européenne en 2004. Aujourd’hui, les entreprises polonaises considèrent le concept de responsabilité sociale comme un bon outil de marketing. Cependant, il est évident que le marketing est seulement un élément du modèle de responsabilité sociale et qu’il ne doit pas être le seul but de ces compagnies. Pour certaines entreprises, il ne s’agit que d’une opération de relations publiques : elles veulent projeter une image de responsabilité sociale mais ne sont pas prêtes à s’impliquer pleinement quand on en vient aux ressources humaines ou à l’environnement.

Quel est le rôle joué par les multinationales et par le gouvernement polonais dans cette transition ?

Les compagnies internationales, comme par exemple Danone, sont véritablement considérées en Pologne comme des pionnières pour ce type de gestion. Elles ont été les premières à montrer la façon dont on pouvait conduire ses activités commerciales de façon socialement responsable et à démontrer l’aspect pratique de ce modèle. Pour des compagnies telles que Coca-Cola ou Unilever, la responsabilité sociale est vraiment au cœur de leur stratégie.

 

A l’autre extrême, le gouvernement joue plutôt un rôle informatif : c’est son devoir d’expliquer aux compagnies polonaises ce qu’est la responsabilité sociale et comment elle peut s’incorporer à leur stratégie commerciale. Ce modèle de responsabilité sociale n’est vraiment pas quelque chose de neuf, mais la société polonaise est très peu consciente de son existence. Il s’agit pourtant d’une compilation de bonnes pratiques qui ont été testées dans différents contextes et dont la valeur sociétale a été prouvée, mais la transition se fait lentement. Encore une fois, l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne a vraiment été un tournant majeur pour le pays. Depuis lors, le gouvernement a réellement intensifié sa campagne d’information sur l’importance de la responsabilité sociale des entreprises et publie régulièrement des rapports sur son évolution.

 

Quelle place a la responsabilité sociale des entreprises dans la culture polonaise ?

Comme vous le savez, la Pologne était un pays communiste jusqu’en 1989. Le communisme avait en fait beaucoup d’aspects positifs ; peut-être pas en termes d’économie ou de libertés civiques, mais bien en terme d’emplois. Tout le monde avait un travail dont on pouvait vivre tout au long de la vie. De ce point de vue, les gens bénéficiaient d’une certaine sécurité sociale sous ce régime. Puis ce fut la période du capitalisme pur, où la seule chose qui importait, c’était le prix ; c’était aussi vrai pour les compagnies internationales qui, alors, n’appliquaient pas les concepts de responsabilité sociale. A cette époque, on se souciait très peu de l’impact de cette transition sur la population. A mon avis, ce modèle est une façon pratique de contrebalancer les aspects négatifs du capitalisme.

 

A quel point la RSE a-t-elle changé la Pologne ?

Comme je l’ai dit, l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne a été la source de beaucoup de changements ; l’Union a eu beaucoup d’influence sur le pays en matière de développement durable. La gestion des entreprises est très connectée à la loi domestique, et la loi polonaise a donc beaucoup évolué dans ce sens au cours des dernières années, même si nous n’appelons pas cela de la responsabilité sociale. La loi européenne est très stricte, surtout pour ce qui touche à l’environnement, et notre système légal a bénéficié de tout cela, même si nos standards ne sont pas encore aussi stricts que dans d’autres pays européens. Il y encore beaucoup de progrès à faire, et peut être qu’un jour, nous atteindrons le même niveau de protection sociale qu’en France ; mais il est important de comprendre que ces critères dépendent de l’évolution économique du pays. Mieux la Pologne se portera économiquement, plus il sera facile de convaincre les compagnies polonaises d’appliquer le concept de responsabilité sociale dans leurs activités quotidiennes.

 

Avez-vous un exemple d’une entreprise polonaise qui aurait mis en œuvre des principes de responsabilité sociale ?

Même si les véritables leaders en responsabilité sociale sont réellement les compagnies internationales, je dois souligner la performance de KGHM, une entreprise polonaise spécialisée dans le minage du cuivre. Ils suivent les normes ISO 26000, ce qui leur permet d’être très efficaces et de récolter des profits conséquents tout en préservant de très bonnes relations avec leurs syndicats et les autorités locales. Ils sont aussi très attentifs à l’impact environnemental de leurs activités. Ce qui est intéressant dans cet exemple, c’est le fait que leur approche de la responsabilité sociale touche tous les acteurs de la chaine. Si KGHM engage une firme d’experts-conseils, elle se doit d’être socialement responsable. Je sais que les dirigeants de KGHM considèrent que le développement de leurs contractants est très important et leur impact s’étend donc bien au-delà de l’industrie du cuivre. Ils influencent les décisions de l’ensemble de leur réseau.

 

Sur l’auteur: Pawel Sabal est un consultant au BPI Group, qui est une firme d’experts-conseil en managament et en ressources humaines. Son domaine d’expertise se concentre sur le développement du capital humain, ainsi qu’aux stratégies commerciales.  

 

Cette interview a été traduite de l’anglais par Metis

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