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Dans son livre « La prise en charge du chômage des jeunes – Ethnographie d’un travail palliatif », Xavier Zunigo a la cruauté de rappeler que si, depuis plus de 50 ans, les ministres successifs déclarent prioritaire la lutte contre le chômage des jeunes, le scandale des jeunes qui sortent de l’école sans qualification est toujours présent.

 

chômage des jeunes

C’est pourquoi ce livre est bienvenu pour regarder de plus près ce qu’il en est sur le terrain. Xavier Zunigo est allé, pendant cinq années, observer et étudier les institutions d’insertion dans une petite commune de 9000 habitants de la région parisienne, commune typique de ces villes ouvrières qui connaissent le déclin de l’industrie. Le chômage y est particulièrement élevé avec une jeunesse qui figure parmi les plus désarmées sur le marché du travail (70 % ont un niveau inférieur au bac). Nous sommes donc au cœur du problème. Que se passe t-il dans un tel contexte ?

 

La démarche ethnographique de l’auteur présente un grand intérêt. Par une immersion prolongée dans ces lieux d’insertion, l’auteur nous livre quelques clés sur les logiques d’acteurs qui s’entremêlent dans ce champ de lutte contre le chômage des jeunes. Il en fait une lecture pas si « innocente » en réalité, car nourrie des apports des maîtres ( Bourdieu…) et de nombreux travaux relatifs au sujet.

 

Les institutions de lutte contre le chômage servent-elles à quelque chose ?

Sa question principale est de savoir si ces institutions servent à quelque chose et à quoi ? Son observation a porté sur le temps qui s’écoule entre la sortie de l’école et la relative stabilité professionnelle, temps que les jeunes vivent le plus souvent d’une manière chaotique, que le monde socio-politique regarde au travers des statistiques avec effarement et que les parents (et la société) redoutent particulièrement.

 

Pour faire face à ce problème, l’État et les collectivités ont créé des institutions pour accompagner cette transition où la magie du marché du travail n’opère pas et où il apparaît qu’il s’agit moins de lutter contre le chômage que de gérer ce chômage.

 

Trois institutions sont mobilisées : les missions locales (conçues par Bertrand Schwartz il y a plus de trente ans !). Ces missions constituent pour les jeunes un guichet unique pour traiter de l’ensemble de leurs problèmes, de leur insertion professionnelle et sociale ; ceci dans une démarche volontaire. Les deux autres sont les plates-formes de mobilisation pour élaborer un projet professionnel et les passerelles-entreprises pour accéder à l’emploi.

 

La puissance publique n’abandonne pas cette jeunesse : elle les soutient grâce un dispositif régional de formation et d’insertion des jeunes qui conduit à catégoriser ces derniers en fonction de leur éloignement de l’emploi : des parcours sont proposés, avec des étapes successives à franchir pour arriver à l’emploi : d’abord des stages, puis des CDD non qualifiés, des CDD un peu plus qualifiés, avec ou sans formation pour arriver au CDI. A chaque étape, il y a de l’orientation, de la formation…

 

Et l’évaluation de l’efficacité des organismes qui y concourent est faite par la mesure des taux d’insertion.
Une fois ce cadre posé, Xavier Zunigo va voir du côté de ceux qui agissent sur le terrain, les PI ou professionnels de l’insertion, et de ceux qui sont « agis » c’est-à-dire des jeunes. Que font-ils ? Est-ce que cela marche ?

 

Comme il fallait s’y attendre, cela ne marche pas vraiment comme prévu : le bel ordonnancement des parcours d’insertion se brise devant la dure réalité à la fois des comportements et des attentes des jeunes et d’une offre d’emploi étique. Comme le dit un PI : « On n’a pas de baguette magique ».

 

La réalité est qu’aider les jeunes à s’en sortir est un cheminement erratique (tout sauf linéaire) tiraillé entre des attentes irréalistes, des illusions difficiles à dissiper, un long apprentissage des principes de réalité et un patient travail « d’accueil, d’écoute et d’orientation » des PI.

 

Car comme le rappelle Xavier Zunigo, la relation formation-emploi pour les non-qualifiés est souvent introuvable : les jeunes préfèrent trouver un travail sans passer par la case formation qu’ils rejettent a priori, d’autant que les formations proposées sont plus tournées vers des apprentissages sociaux que techniques…

 

Comment les professionnels de l’insertion s’y prennent-ils ?

Quelles sont leurs « ruses » ? Que font-ils concrètement ? Tiraillés entre des logiques d’insertion professionnelle et d’insertion sociale, ils « bricolent » en fonction du point de vue qu’ils se font de leurs publics (les méritants, les récalcitrants, les profiteurs) en respectant une déontologie professionnelle, un ethos altruiste plus ou moins fort selon qu’ils adoptent une posture de militants ou de professionnels.

 

L’auteur montre comment la position sociale des PI les rend particulièrement aptes à ce travail complexe et efficace. Il caractérise leur fonction comme étant celle d’un étayage du rapport au travail des jeunes faiblement qualifiés.

 

Mais de même qu’il y a un écart entre l’ordre de la gestion organisée et la réalité du terrain, il y a un écart entre la logique de travail des PI et la logique des jeunes qui, à les entendre et à les observer, ne se laissent pas conduire passivement : ils ont aussi leurs propres stratégies.

 

Tout d’abord, l’auteur rappelle que certains jeunes ne fréquentent pas ces lieux d’insertion, soit parce qu’ils sont dans le business (trafic), soit parce qu’ils pensent pouvoir s’en passer : ils considèrent que cela ne leur servira à rien. Fondamentalement, les jeunes ont d’abord une attitude très simple : il leur faut de bonnes raisons pour qu’ils fréquentent ces institutions d’insertion, ils doivent y trouver un intérêt, des ressources informationnelles, relationnelles et/ou matérielles. Ils se différencient donc, selon leur niveau de maîtrise de l’offre institutionnelle. A partir de là ils vont développer des stratégies diverses pour obtenir ce qu’ils veulent, expérimenter des échecs… jusqu’à ce qu’ils trouvent des solutions. Par exemple, leur attitude de rejet a priori de toute forme de formation (facilement explicable par leurs échecs antérieurs) va évoluer quand l’expérience du déclassement professionnel va devenir un moteur pour s’en sortir.

 

Au final, à quoi cela sert-il ?

Pour y répondre Xavier Zunigo rappelle que les jeunes ont à opérer un double passage de l’école à la vie professionnelle, de leur famille d’origine à leur propre ménage et qu’au début la jeunesse est un temps d’indétermination sociale, « avec une illusion d’apesanteur sociale par le refus de la condition ouvrière et une propension à l’instabilité professionnelle ajustée à la précarisation de l’emploi ». C’est lorsque les aspirations à une vie conjugale, à un logement indépendant , à l’accession à un certain nombre de biens ( voiture..) deviennent prégnantes que les conditions sont plus favorables pour aborder avec réalisme le marché du travail. Ainsi « l’efficacité du travail d’insertion repose largement sur des facteurs étrangers à sa propre dynamique ». Mais l’apprentissage de ce réalisme est largement dû précisément à ce travail d’insertion : c’est une des thèses soutenues par l’auteur.

 

Incontestablement, l’approche ethnographique apporte des éclairages très intéressants et Xavier Zunigo sait bien l’utiliser et la mettre en valeur. Mais on ressent quand même quelques frustrations : ainsi il constate ( et affirme) que ces jeunes « pourtant s’insèrent ». A partir de là, on a le sentiment qu’il ne nous livre pas un maillon essentiel, celui de la dernière étape si l’on peut dire. Exemple : il nous parle d’un jeune présenté comme un « inutile au monde », échouant partout où il passe, apparemment in-employable, un assisté revendicatif qui fait perdre patience à son TI. Et l’exposé de ce cas se termine par cette phrase lapidaire : « aujourd’hui D a fini par obtenir le permis de conduire et il travaille comme employé des pompes funèbres ». Comment ceci est-il arrivé ? Il nous manque la compréhension de cette étape finale décisive. Dommage.
Dommage également de terminer par un appel à une « intervention publique massive de soutien à la stabilisation dans l’emploi, et non de précarisation, pour une jeunesse et des franges de la société plus que malmenées depuis des décennies ». On aurait peut-être attendu des propositions plus pertinentes et plus précises à la hauteur de l’analyse faite.

 

A propos de l’auteur

Xavier Zunigo est docteur en sociologie, fondateur de l’Agence de recherche ARISTAT

 

Référence

Xavier Zunigo. La prise en charge du chômage des jeunes – Ethnographie d’un travail palliatif. Editions du Croquant. 2013

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Un parcours professionnel varié dans des centres d’études et de recherche (CREDOC, CEREQ), dans
des administrations publiques et privées (Délégation à l’emploi et Chambre de commerce et
d’industrie), DRH dans des groupes (BSN, LVMH, SEMA), et dans le conseil (BBC et Pima ECR), cela à
partir d’une formation initiale d’ingénieur X66, d’économiste-statisticien ENSAE et d’une formation
en gestion IFG.
Une activité associative diverse : membre de l’associations des anciens auditeurs de l’INTEFP, ex-
président d’une grosse association intermédiaire à Reims, actif pendant de nombreuses années à
FONDACT (intéressé par l’actionnariat salarié), actuellement retraité engagé dans les questions de
logement et de précarité d’une part comme administrateur d’Habitat et Humanisme IdF et comme
animateur de l’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts-de-Seine.
Toujours très intéressé par les questions d’emploi et du travail.