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par Albane Flamant

Dans le contexte de son dossier sur le travail indépendant, Metis s’est entretenu cette semaine avec Michel Paysant, éditeur de la Cybergazette et représentant national du Forum Européen des Professionnels Indépendants (EFIP). Cette association fédère au niveau européen une dizaine d’associations nationales*.

 

Que signifie ce terme de « professionnel indépendant », qui est mentionné un peu partout sur votre site ? Comment a-t-il évolué au cours des dernières années ?

Dans notre esprit, la notion de professionnel indépendant est extrêmement précise. Nous considérons qu’il s’agit de personnes très qualifiées travaillant seules et pour elles-mêmes. La base du travail indépendant en France par exemple a toujours été les artisans, les agriculteurs et les professions libérales. Au cours des dernières années, des métiers auparavant salariés se sont manifestés sous forme de travail indépendant, de la secrétaire de bureau au consultant financier. C’est un phénomène relativement nouveau dans le paysage du travail français, et par conséquent ces personnes n’ont quasiment aucune représentation. En France, la plupart sont classifiés sous le terme de profession libérale non-réglementée, mais il y a également toute une frange de la population des professionnels indépendants qui n’est pas couverte par cette catégorie, sans parler de ceux qui sont dans des sociétés de portage. On se rend compte que le nombre de professionnels indépendants croît annuellement de près de 8%, ce qui est phénoménal. Ils représentent actuellement plus de 9 millions de personnes en Europe, c’est une explosion complète.

 

Quand on pense au travail indépendant, on imagine des gens qui aiment travailler en dehors de toute structure. Est-ce naturel pour les indépendants de se fédérer en associations nationales ?

Quand on voit le nombre de salariés qui font partie d’un syndicat, on comprend combien il est difficile d’organiser des travailleurs. Si la représentation des indépendants pouvait être au même niveau, ce serait un progrès car ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nos associations représentent une très petite minorité des professionnels indépendants de leur pays, à l’exception peut être du PCG anglais et de la fédération d’auto-entrepreneurs (FAE) et de l’Union des Auto-Entrepreneurs (UAE) en France.

 

En Angleterre, les indépendants sont mieux organisés car il y a eu un évènement fédérateur : il y a quelques années, le fisc anglais s’est penché sur le cas des travailleurs indépendants pour s’assurer qu’ils remplissaient véritablement ce statut. Du coup, les association se sont mobilisées pour fédérer autant d’adhérents que possible dans cette bataille fiscale autours des règlements IR35. C’est ainsi que le PCG a plus de 21.000 adhérents à lui seul. On voit aussi émerger les auto-entrepreneurs en France, dont la fédération annonce plus de 62.000 adhérents, et l’Union 383.000!

 

Maintenant, il y a différents types d’associations. Il est assez commun pour des journalistes freelance, des graphistes ou des traducteurs de faire partie de réseaux professionnels, par exemple pour trouver plus facilement de nouveaux clients. Mais ce phénomène reste souvent cantonné à l’intérieur d’une profession. Dans le reste de l’Europe, la représentation des indépendants en associations inter-professionnelles reste un phénomène relativement marginal.

 

Vous êtes un des membres fondateurs de l’EFIP : pourquoi créer une association européenne ?

L’EFIP a été crée en 2010 par des associations nationales de professionnels indépendants suite à un projet de rapport du Parlement Européen sur le travail atypique. Dans les premières ébauches du document, on avait inclus le travail indépendant, alors qu’il n’y avait réellement pas sa place. La Commission des Affaires Sociales avait alors fait appel à plusieurs organisations nationales, dont la mienne, pour contribuer à la discussion, et nous avons suggéré qu’ils retirent le travail indépendant des catégories de travail atypique.

 

Cette première contribution a fait que nous nous sommes regroupés, en nous disant qu’il serait utile de créer une association qui nous permette de garder un oeil sur les activités du Parlement sur le travail indépendant. L’Union Européenne est importante pour nous, dans la mesure où elle va faciliter ou faire obstacle au travail indépendant au travers de ses frontières. Contrairement aux professions libérales réglementées, nous sommes tout à fait en faveur de leur ouverture. De plus, toute une partie de la législation nationale des Etats membres est le résultat de ce qui se passe à Bruxelles.

 

Une association européenne des professionnels indépendants, c’est aussi l’occasion de créer des liens. Ne serait-ce qu’entre nous, il est intéressant de partager ce qui se passe au niveau national. Le travail indépendant est plus ou moins accepté et compris par les gouvernements et les syndicats de salariés de chaque pays, et les réactions sont donc très différentes.

 

L’EFIP regroupe pour l’instant des organisations de différents pays telles que ACTA en Italie, PCG au Royaume-Uni, des réseaux de coworking en Allemagne, en Belgique, en France, aux Pays-Bas, etc. Le réseau s’étend progressivement. Nous sommes par exemple en contact avec l’UPTA en Espagne, mais n’avons pas pour le moment d’interlocuteurs dans les pays de l’Est. Nos représentants se retrouvent ainsi plusieurs fois par an pour faire avancer le débat public sur le statut d’indépendant. Nos premiers travaux ont été des études permettant de recenser les professionnels indépendants en Europe, puis une autre sur leurs motivations et leur avènement (http://wp.efip.org/wp-content/uploads/2014/03/Future_Working_Summary.pdf) . Notre objectif est de représenter nos associations dans les prises de décision des institutions européennes. Pour ce faire, nous venons de lancer une campagne pour que les professionnels indépendants soient reconnus officiellement par l’Union Européenne.

 

Quelles sont les problématiques qui vous occupent particulièrement pour le moment ?

Pour le moment, nous discutons beaucoup des niveaux de protection sociale des indépendants dans leurs travaux au-delà des frontières nationales. C’est une situation quotidienne pour de nombreux travailleurs, comme les traducteurs ou les graphistes par exemple. On peut avoir par exemple un indépendant français ayant des clients polonais et, comme la protection sociale du travail varie beaucoup en fonction des pays européens, cela peut poser des problèmes de choc de culture. A Madrid tout récemment, il y a eu un débat sur l’harmonisation des protections sociales européennes dans le cadre de leur conférence sur le travail indépendant économiquement dépendant (lien article Reyna). Mais à mon avis, les systèmes européens sont pour l’instant trop différents pour que cela soit possible.

 

C’est même le cas entre l’Angleterre et la France. Le système anglais a été crée par Lord Beveridge après la guerre, et repose sur les impôts. Dans ce pays, la couverture santé est universelle et totale, à l’inverse de la retraite. La retraite de base en Angleterre est de l’ordre de 100 livres par semaine, et le reste dépend de ce que décide de payer l’employeur. Pour les indépendants, il n’y a rien, ce qui force les travailleurs à cotiser pour des assurances retraite privées. En France, notre protection sociale s’apparente au modèle Bismarck basé sur la solidarité entre travailleurs. La retraite fait donc partie du système de sécurité sociale national, au même titre que la cotisation invalidité ou chômage par exemple. Les indépendants cotisent au même titre que les salariés, à l’exception de la cotisation chômage. Le but est que la couverture de base permette de subvenir à ses besoins.

 

On a donc deux systèmes complètement antagonistes, et je pense que même si un système européen me semble souhaitable, on n’y arrivera pas avant 70 ou 80 ans. Essayons déjà d’assurer une protection sociale minimale pour tous les travailleurs au niveau national, qu’elle soit basée sur l’impôt ou sur le revenu.

 

*Les associations adhérentes de l’EFIP 

PCG (Royaume-Uni)
Verband der Gründer und selbständigen e.V. (Allemagne)
Associazione Consulenti Terziario Avanzato (Italie)
Associazione Nazionale Italiana Traduttorie e Interpreti (Italie)
Association professionnelle des metiers de la traduction (France)
FEDIPRO vzw (Belgique)
PZO – Platform Zelfstandige Ondernemers – (Pays-Bas)
VCO-Global
Fédération des auto-entrepreneurs (France)
Syndicat des Consultants Formateurs Indépendants (France)
KIZO (Pays-Bas)

 

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