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Après dix ans d’échanges préparatoires, le traité de libre échange transatlantique fait l’objet de négociations secrètes depuis un an. Bruxelles comme Washington refusent de rendre publiques leurs positions, à l’inverse de ce que font les Etats négociateurs au sein de l’OMC. On commence pourtant à entrevoir le contenu de ce traité, des fuites s’étant produites. Un dispositif d’arbitrage des litiges entre multinationales et Etats est au cœur des polémiques actuelles.

 

secret

Le mandat de négociation donné à la Commission par les Etats membres sur « le commerce transatlantique et le partenariat d’investissement entre l’Union Européenne et les Etats-Unis d’Amérique » est sorti dans la presse l’été dernier.

 

Ce mandat précise dans son article 45 que :

« L’accord comprendra un mécanisme approprié de règlement des litiges, afin que les parties respectent les règles convenues.
Pour résoudre les litiges, l’accord devra inclure une procédure telle qu’un mécanisme de médiation flexible.
Ce mécanisme veillera à faciliter la résolution des désaccords en matière de barrières douanières non tarifaires » (normes techniques, environnementales, sanitaires, administratives, quota etc…) .

 

En quoi cela consiste t-il ?

Il s’agit de mettre en place un tribunal arbitral pour les conflits commerciaux qui pourraient intervenir. En matière de commerce international c’est le dispositif habituellement retenu. A l’origine ce type de tribunal devait notamment pallier l’état de droit insuffisamment développé de certains pays. Ces tribunaux arbitraux fonctionnent de façon identique à celui dont on a entendu parler grâce à l’affaire Tapie. Ainsi, en cas de litige commercial entre une entreprise américaine et un Etat ou l’UE, cette instance arbitrale se substituerait aux juridictions américaines ou européennes.

 

Pour Alain Supiot ce type de dispositif participe au transfert de plus en plus fréquent de la justice publique vers la justice privée. En l’espèce, la norme juridique et la jurisprudence sont confiées à des acteurs privés érigés en juges. Les Etats leur abandonnent une partie de leur pouvoir régalien de justice. Ces juges privés, dans le cas du traité transatlantique, pourraient être en capacité, si l’on n’y prend pas garde, d’opposer le principe de libre échange à l’application d’une loi, d’une directive ou d’une politique publique et de prononcer des sanctions commerciales à l’encontre de l’Etat incriminé ou de l’Union. Bien des traités de libre échange conclus jusqu’alors ont permis à ces juges arbitres de tirer partie de flous ou failles juridiques au bénéfice des multinationales.

 

Les tribunaux d’arbitrage sont le plus souvent constitués d’avocats d’affaires internationaux. Ils sont peu nombreux, quinze d’entre eux se partagent plus de la moitié des contentieux. Les litiges entre l’OMC et l’UE sont ainsi instruits et jugés par un tribunal d’arbitrage. Pour mémoire, à l’initiative de l’OMC, l’UE avait été lourdement condamnée pour avoir refusé d’importer des OGM. Le traité transatlantique ouvrirait le droit aux multinationales elles mêmes d’attaquer en justice (privée) les Etats, européens ou américain ou encore l’UE.
Les exemples de litiges faisant suite à des accords de libre échange ne manquent pas. Par exemple, dans le cadre de l’ALENA, l’Equateur a été condamné à verser près de 2 milliards de dollars à une compagnie pétrolière américaine. Plus récemment, la compagnie Philip Morris a attaqué l’Australie pour sa législation anti tabac, le tribunal arbitral n’a pas encore délivré son verdict dans cette affaire. Ce type de contentieux a décuplé depuis l’an 2000.

 

Les contestations se multiplient

Bien des voix s’élèvent, au sein des ONG de part et d’autre de l’Atlantique, mais aussi parmi les politiques, pour souligner que le traité transatlantique pourrait fragiliser des politiques publiques aussi diverses que la protection de l’environnement, la santé, l’alimentation, la protection des données personnelles, la régulation de la finance ou le droit du travail. On peut citer par exemple en Europe le règlement REACH sur les substances chimiques qui pourrait être révisé (à la baisse) pour être en conformité avec les dispositions du traité. Les législations sur les OGM, l’interdiction d’exploitation des gaz de schistes, l’augmentation d’un salaire minimum national … pourraient faire l’objet d’un contentieux entre une multinationale et le ou les Etats concernés. Le tribunal arbitral envisagé serait alors chargé de rendre son jugement.

 

Les ONG sont les premières à avoir violemment protesté contre ce dispositif. Elles ont été rejointes par différents partis politiques. En France, Nicole Bricq, ancienne ministre du commerce extérieur s’y est opposé, son alter ego en Allemagne a fait de même. On peut néanmoins souligner la très grande discrétion sur ce sujet de partis comme le PS ou l’UMP en France.

 

La Commission réagit

Face à la montée des contestations, la Commission a réagi, les élections européennes de fin mai risquaient d’en faire les frais. Les négociations sur le dispositif d’arbitrage ont été suspendues le 27 mars 2014 en attendant qu’une consultation publique lancée par la Commission soit arrivée à son terme, l’été prochain.

 

Un long questionnaire en ligne recueille les avis de professionnels, organisations ou personnes privées, précisément sur le dispositif d’arbitrage des litiges. L’objectif de la consultation est d’améliorer le dispositif, il n’est pas question de le supprimer.

 

Lors du lancement de la consultation, le Commissaire européen au commerce Karel De Gucht rappelait que « tous les Etats membres ont donné mandat à la Commission pour mettre en place un tel dispositif » et il précisait que la consultation publique avait pour objet « de compléter le dispositif afin d’éviter les failles ou vides juridiques et de préserver le droit de réguler ou d’édicter les politiques publiques ».

 

L’avenir n’est pas écrit. Ce traité transatlantique dont le premier objectif est d’augmenter la croissance et de développer l’emploi ne devrait pas aboutir avant 2015. Les lobbies de toutes obédiences ont encore fort à faire. In fine, ce sera au parlement européen de se prononcer. Rappelons que le parlement européen avait rejeté l’ACTA, accord international contre les contrefaçons qui, entre autres, limitait les droits de propriété intellectuelle et risquait d’empêcher la circulation de médicaments génériques.

 

A propos, le traité de libre échange entre l’UE et le Canada a été conclu le 18 octobre 2013, son contenu n’est toujours pas connu. Attendrait-on que le successeur de José Manuel Barroso le défende ?

 

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