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par Albane Flamant

Le titre à lui seul interpelle : « Les souffrances de la femme-quota ». Dans cet article, Vanessa Monney, Olivier Fillieule et Martina Avanza, chercheurs au Centre de Recherche sur l’Action Politique de l’Université de Lausanne (CRAPUL), se penchent sur le cas d’Unia, la plus grande confédération syndicale suisse avec plus de 200.000 adhérents, et sur les effets de dix ans de quotas dans le leadership de ce syndicat.

 

Quotas for the Boardroom [SEMINAR]

Dès son congrès fondateur en 2004, la confédération s’est dotée d’une politique de quotas innovante imposant un minimum de 25% de femmes dans ses organes décisionnels. Cela impliquait une certaine surreprésentation étant donné qu’à l’époque les femmes représentaient moins de 20% des adhérents d’Unia. Au fil des années, et sous le contrôle de la commission femmes du syndicat, ces quotas ont été mis en oeuvre aux différents niveaux de décision de l’organisation. 

 

Les résultats de cette politique de féminisation sont évidents : en 2012, 40% des secrétaires syndicaux et des responsables d’équipe étaient des femmes, ainsi qu’environ 50% des cadres. On constate aussi une différence quant au nombre d’adhérentes, avec un taux de 22% pour l’ensemble du syndicat. Ce phénomène aurait également été favorisé par le ciblage du secteur tertiaire (plus féminisé) par les syndicats pour remédier à l’érosion de leur base, ainsi que par la professionnalisation des responsables syndicaux et des permanents : les syndicats recrutent à présent une majorité de diplômés plutôt que des membres ouvriers, et favorisent des disciplines « féminisées » telles que les sciences politiques ou la sociologie.

 

Malgré ces progrès, l’égalité professionnelle dans ce syndicat à tradition ouvrière reste un phénomène contrasté, selon les chercheurs. Des entretiens de terrain révèlent que malgré ce processus de féminisation, les stéréotypes de genre persistent. On remarque par exemple que les femmes occupent principalement des postes dans l’administration (réception, comptabilité, etc.) qui impliquent moins de responsabilités et moins d’engagement, et qui sont en général moins valorisés.

 

« Les fonctions plus politiques de responsables de région, chargées de la représentation extérieure et de la négociation collective notamment, restent monopolisées par des hommes. Sur les quatorze régions, une seule est dirigée par une femme et deux sont codirigées par un homme et une femme», nous dit l’article.

 

Celles qui occupent un poste de secrétaire syndicale restent également souvent cantonnées aux thématiques les moins valorisées, qui sont aussi les plus masculines, comme par exemple celui de la construction. Des extraits d’entretien rapportent de nombreuses occurrences de « sexisme ordinaire au travail ». A un conseil régional, une chef de secteur tertiaire entend de la part d’un militant l’argument suivant: « Je ne vois pas pourquoi on élirait une femme au comité régional, parce que de toute façon les femmes n’ont rien à dire. »

 

De plus, malgré la présence d’un plus grand nombre de femmes dans ses organes décisionnels, la structure du syndicat est restée la même et demande un engagement total peu compatible avec une vie de famille prenante. Les personnes interviewées ont ainsi rapporté un manque de prise en compte des contraintes extérieures à leur vie professionnelle (manque d’horaires fixes, pas ou peu de possibilité de temps partiel, etc.). La pression générée par ce manque de conciliation avec leur vie privée mène souvent à leur démission après quelques années dans le syndicat.

 

Selon les chercheurs, les quotas ont également des effets pervers. Du fait de ces problèmes structurels, peu de femmes sont prêtes à s’engager dans les postes les plus engagés du syndicat. Celles qui le font sont souvent propulsées vers le haut sans avoir le temps d’acquérir l’expérience nécessaire à leur nouvelle position. Ce stress mène encore une fois à de nombreux burn-outs, et à un haut taux de turn-over pour ces positions.

 

Au cours des dernières années, Unia a reconnu l’existence de ces problèmes dans ses rapports d’activités. Le problème des temps partiels est considéré particulièrement pressant du fait de sa nature discriminatoire : en Suisse, plus de la moitié des femmes qui travaillent le font à temps partiel du fait de la division du travail et du manque du ressources en crèches. Le syndicat a également mis en place un système de mentoring similaire à celui en cours dans le secteur privé pour aider ses femmes cadres à s’adapter à leur position. Même si les chercheurs sont favorables à ces solutions, et reconnaissent les bénéfices de la politique de quotas du syndicat, leur conclusion met en cause l’efficacité de ces solutions à long terme. Ils appellent à un changement plus profond : ce qui doit être remis en cause, c’est la culture organisationnelle du syndicat dans son ensemble.

 

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©Editions le Cherche Midi

 

Pour l’article complet

Monney Vanessa et al., « Les souffrances de la femme-quota », Travail, genre et sociétés2/ 2013 (n° 30), p. 33-51

 

Crédit image : CC/Flickr/ALDEADLE Alliance of Liberals and Democrats for EU & ©Editions le Cherche Midi

 

Note: dessin extrait avec autorisation de l’ouvrage « Le Bonheur au travail ? Regards croisés de dessinateurs de presse et d’experts du travail », sous la direction de Sophie Prunier-Poulmaire, maître de conférences en ergonomie (université Paris Ouest Nanterre La Défense), éditions le Cherche Midi, 2013.

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