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par Nina Maruani et Gérard Neyret

Le 14 mai dernier, l’incendie d’une mine de charbon à Soma, en Turquie, causait la mort de 301 mineurs. Cette tragédie suscite depuis colères et manifestations dans le pays. Metis revient dans cet article sur les causes possibles de cet accident et en particulier la non-application des diverses règlementations et préconisations internationales sur le travail minier.

 

Mine turque

Cette catastrophe si elle choque et émeut ne surprend pourtant pas. En effet, comme l’a déploré le député turc Erkan Akcay,
« en 2013, 5 000 accidents ont eu lieu dans le district de Soma. 90% d’entre eux se sont produits dans les
mines ». La sécurité dans ces mines était déjà contestée par des syndicats de mineurs en lutte pour une réforme de la sécurité des travailleurs ; une étude avait même été demandée deux semaines auparavant sur les incidents répétés dans les mines de Soma. Pourtant, la direction de l’entreprise a privilégié la rentabilité de la mine, son PDG se félicitant même en 2012 d’avoir considérablement baissé les coûts de production, et ce vraisemblablement au détriment des objectifs de santé et de sécurité des travailleurs.

 

L’exploitation souterraine de charbon est pénible, onéreuse et dangereuse. Outre les risques miniers généraux (éboulements, inondations), la présence d’un combustible tel que le charbon expose aux risques bien connus dans l’histoire de la Mine du « coup de grisou », du « coup de poussière » et de l’incendie, particulièrement présent dans le cas de l’exploitation souterraine de lignite comme à Soma.

 

Deux hypothèses sont à l’étude concernant les causes de l’accident :

La première privilégie l’explosion du transformateur de puissance. Depuis l’interdiction d’utilisation d’huiles ininflammables dangereuses pour l’environnement (PCBs), ce composant électrique haute tension est rempli d’huile minérale inflammable, il est donc vulnérable aux incendies. Le respect des Bonnes Pratiques en matière de sécurité exige sur le plan de l’installation d’un transformateur que celui-ci soit dûment protégé contre les surtensions, surintensités, échauffements anormaux et dégagements gazeux internes. Sur le plan de l’exploitation, il exige une surveillance régulière de l’état de l’huile minérale isolante par prélèvement périodique et analyse d’un échantillon de l’huile, les courts circuits de transformateurs pouvant provenir de l’usure des isolants. Rien n’assure que la surveillance de ces transformateurs ait été effectuée.

 

Une seconde hypothèse est celle d’un incendie provoqué par la combustion spontanée de charbon entré en contact avec l’air. La parade essentielle pour éviter un tel type de déclenchement d’incendie est une mesure régulière de la teneur en monoxyde de carbone dans la mine, qui permet de détecter un début de combustion lente. Le rapport d’expertise préliminaire sur l’accident a mis en exergue plusieurs manquements graves aux mesures de sécurité, dont un manque de détecteurs de monoxyde de carbone. Le jour de l’accident, le niveau de monoxyde de carbone était supérieur aux normes de sécurité. L’augmentation de la teneur en CO est un indice d’échauffement spontané et d’un risque de feu de mine. Nous savons que les trois jours précédant l’accident ont été marqués par une forte chaleur dans la mine.
Le rapport préconise dans le même temps la construction en fond de mine des points d’appui (postes de secours médicaux, chambres de refuge…). Ceux-ci doivent être localisés dans des « bunkers » bien protégés, et dotés de moyens permettant d’assurer une certaine autonomie (oxygène, nourriture…). Le sinistre a détruit le fonctionnement de la cage d’extraction, la possibilité d’évacuation des travailleurs par les puits d’extraction (équipés d’ascenseurs) a donc été coupée. Or, la mine de Soma n’était pas dotée d’une chambre de refuge, les mineurs sont donc restés dans les galeries équipés d’un masque à gaz d’une autonomie inférieure à 45 minutes. Ils auraient dû avoir des masques auto-sauveteurs qui permettent une autonomie de plus d’une heure sans être asphyxié. C’est l’émanation de monoxyde de carbone qui a causé la mort de la plupart des ouvriers de la mine.

 

Par ailleurs, il importe également de former le personnel minier aux dispositifs d’alarme et aux itinéraires d’évacuation en cas de sinistre, par des exercices adéquats. Selon les témoignages des mineurs, ils n’ont suivi aucune formation à la sécurité au travail et n’étaient pas préparés à la survenue d’accidents. Aucun protocole en cas d’incendie n’avait été mis en place, certains survivants racontent qu’ils ont dû désobéir aux ordres de leur encadrant, qui leur demandait d’attendre dans la mine au lieu de les évacuer. Et ce alors que selon les préconisations d’une étude européenne[1] réalisée en 2009, « les issues et itinéraires d’évacuation en cas de danger immédiat (soient) signalés de façon apparente, un signal sonore (indiquant) l’ordre d’évacuation ».

 

Une enquête judiciaire est ouverte et le gouvernement turc a déclaré être « très déterminé à faire le nécessaire pour remédier aux lacunes en matière de règlement et prendre les mesures adéquates. ». Les dirigeants de l’entreprise exploitant ces mines vont être jugés sur leur responsabilité concernant ces « lacunes » ayant provoqué la plus grave catastrophe industrielle de l’histoire de la Turquie. L’Etat turc n’a pas encore ratifié la convention internationale sur la sécurité minière (OIT – C176). Elle lui a pourtant été soumise dès 1998. Sa responsabilité est donc engagée. On ne peut que souhaiter que la candidature de la Turquie à l’Union Européenne, indépendamment de son dénouement, s’accompagne d’un engagement à respecter la législation européenne du travail et notamment son application à l’industrie minière. Peu importe le pays, la course à la baisse des coûts de production ne peut en aucun cas justifier que des éléments essentiels de la sécurité des mineurs ne soient pas mis en place.

 

[1] Etude européenne sur la sécurité minière réalisée en 2009 par Technologia.

 

A propos des auteurs

Nina Maruani – économiste pour Technologia

Gérard Neyret – experts industriel pour Technologia- vice-président de l’Association française des ingénieurs de maintenance

 

Crédit image : CC/Flickr/canonim

 

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