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par Dagmar Soleymani

L’hôpital est par définition un lieu d’expression du fait religieux, ne serait-ce que parce que les étapes de la vie, de la naissance à la mort, et les représentations mentales de la maladie sont connotées religieusement. Cette approche, qu’elle soit consciente ou inconsciente, se cristallise dans le contexte des soins, puisque le patient est en partie dépossédé de l’expression religieuse de par la prise en charge médicale et la structure laïque de l’hôpital public.

 

Hôpital de paris

Les soignants, quant à eux, sont confrontés à la gestion du fait religieux exprimé par le patient, à leur propre lien ou non à la religion et au respect de la laïcité imposé par l’employeur. Ces quelques lignes montrent qu’à l’hôpital le fait religieux s’exprime à travers la relation soignants/soignés et celle entre soignants. Si la première impacte directement les soins en raison de l’observance ou non du traitement, la seconde est reléguée au registre de la gestion du personnel. Une double lecture entre diversité et laïcité sera notre fil conducteur.

 

« La personne hospitalisée est traitée avec égards »

Le patient bénéficie à travers les chartes du patient d’un respect de ses croyances. Ainsi peut-on lire dans la « Charte de la personne hospitalisée », éditée par le ministère de la santé et des solidarités en 2006 : « L’établissement de santé doit respecter les croyances et convictions des personnes accueillies. Dans les établissements de santé publics, toute personne doit pouvoir être mise en mesure de participer à l’exercice de son culte (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, rites funéraires). » « Il y est également rappelé que « tout prosélytisme est interdit, qu’il soit le fait d’une personne hospitalisée, d’un visiteur, d’un membre du personnel ou d’un bénévole ». L’expression des convictions religieuses ne doit « porter atteinte ni au fonctionnement du service, ni à la qualité des soins, ni aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches ».

 

La chambre seule, solution de terrain pour gérer le fait religieux, est jugée « confortable pour tout le monde » (cadre de santé). « Pour ce genre de patient on sait très bien que ça ne sert à rien de le mettre en chambre double. On va aller au devant de certains problèmes, on respecte au maximum voilà, on anticipe. … Si je le sais, je préfère même carrément décaler son intervention, voir avec le chirurgien et en discuter, plutôt que l’hospitaliser et être en difficulté quand il va venir » (cadre de santé, ophtalmologie, courts séjours).

 

Evacué par la solution spatiale, le fait religieux revient sur le devant de la scène lors de la prise en charge thérapeutique. Pour ne citer que deux exemples dans la diversité des expressions religieuses : observance du traitement, problématique du genre. « Il ne faut pas que ça porte atteinte à la bonne marche, ou bien au patient. On va respecter certaines choses mais d’autres ça va lui porter tort. Il faut que ça soit quand même encadré. Dans la limite de l’acceptable » (cadre de santé, soins palliatifs). On pense également aux refus de soins prodigués par un homme que peuvent formuler certaines patientes et leurs proches eu égard à leurs convictions religieuses.

 

Les professionnels se réclament de la définition de la santé de l’OMS (1946) : « un état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Ou citent Virginia Henderson, infirmière américaine ayant défini les 14 besoins fondamentaux du patient dont celui « de pratiquer sa religion et d’agir selon ses croyances : nécessité pour chaque individu, d’être reconnu comme sujet humain, de faire des liens entre événements passés, présents, à venir et se réapproprier sa vie, de croire en la continuité de l’homme, de chercher un sens à sa vie et s’ouvrir à la transcendance ». En même temps, le respect des croyances et convictions impose qu’elles soient connues ce qui n’est pas chose aisée dans un établissement de santé laïc. Pour preuve le témoignage rapporté par Vincent Boggio[1] : « …, je me sens incapable d’énumérer les attitudes à tenir face à un patient de ma propre religion. Vous imaginez facilement mon ignorance concernant les autres. »

 

Des formations émergent sur la pratique religieuse dans le contexte du soin tel que « Diabète et habitudes alimentaires », « Religions : aide ou obstacle à la prise en charge du VIH ». Et le recours aux associations se généralise pour pallier ce que l’hôpital public ne sait faire : « Oui, j’ai une personne bénévole qui passe. … Je sais qu’elle fait du bénévolat, mais en quoi…, enfin elle est vraiment aidante pour toutes les religions » (cadre de santé). Mais sans échange avec les soignants et sans éducation thérapeutique du patient leur apport s’avère peu pérenne.

 

La laïcité pour les professionnels

Le fait religieux est rapporté de façon stéréotypée. Dans le contexte des relations soignants/soignés les professionnels citent les comportements problématiques des patients (refus de soin) et au niveau de la communauté des soignants elle-même sont évoqués les signes ostentatoires religieux contraires à la laïcité, définie comme suit par la circulaire DHOS/G n° 2005-57 : « Le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations. » Cette focalisation sur les signes ostentatoires, qui se veut neutre car laïc, se cristallise sur la religion musulmane. Le fait religieux que l’on peut nommer chez le patient en se référant à l’OMS ou Virginia Henderson ne peut s’exprimer dans le contexte professionnel qu’en évoquant la laïcité, car seule cette neutralité a été définie par loi et permet de qualifier le fait religieux sans être discriminant tout en le devenant par ce biais. Dans le document de synthèse des Semaines sociales de Haute-Normandie en 2008 on peut lire : « La culture religieuse des personnels hospitaliers se réduit à la connaissance de quelques signes extérieurs, tandis que des rituels ayant une signification symbolique pour les croyants sont repris dénués de sens… Cette inculture des personnels hospitaliers… favorise un repli…[2] »

 

Du point de vue du gestionnaire hospitalier, le fait religieux, qualifié d’expression culturelle par certains, relève presque du non-sujet car réglé par la loi que ce soit pour le port de signes ostentatoires ou la prise de congé pour fête religieuse.

 

« Voilà, après là où moi je suis le plus confrontée à la culture, c’est avec les étudiants … J’ai eu des personnes en fait, des étudiants d’origine maghrébine régulièrement notamment des femmes qui voulaient garder le foulard etc., donc moi ce qui est clair c’est que dès que l’étudiant arrive, ok je respecte hein, mais en tout cas elles peuvent pas garder le foulard, alors moi ce que j’ai trouvé, c’est que je vais leur chercher une cagoule au niveau du bloc. … la cagoule voilà ça peut être comme la charlotte, c’est plus un ustensile de soin. De toute façon ici on est dans un hôpital public donc on doit avoir aucun signe ostentatoire au niveau de la religion. Et c’est pareil, une fois aussi j’avais une aide-soignante qui avait une petite croix voilà je lui demande qu’elle le cache sous la blouse. Voilà ça va aussi dans un sens que dans un autre » (cadre de santé, service ophtalmologie).

 

« Une infirmière portant le foulard et embauchée avant février 2005 a obtenu gain de cause devant les tribunaux. Elle peut garder le foulard sur le lieu de travail. Les infirmières arrivées depuis doivent retirer le foulard sans exception. » (cadre de santé, service maternité)

 

« Maintenant au niveau cadre où on s’appuie si on a des problèmes c’est au niveau de la loi. Même que ce soit dans la religion juive ou musulmane, ils ont des jours fériés autres. Après où ça peut poser problème c’est si j’avais que des personnes avec une culture juive [musulmane, chrétienne], après on se base quand même sur la législation du travail, c’est-à-dire un tiers en vacance et deux-tiers présents et après ce sera à tour de rôle. » (cadre paramédical de pôle)

 

D’un côté le fait religieux est considéré comme faisant partie de la prise en charge, de l’autre il relève de la simple gestion RH : respect des textes de loi relatifs à la laïcité et équité en matière de congé pour fêtes religieuses. Le sujet ne semble guère épuisé en se confinant à ces deux approches, car le seul angle du gestionnaire appauvrit une réalité multiple. Il empêche un partage de savoir-faire et de savoir-être qui sont minorés et réduits à l’expression juridique. Cette réduction se trouve justifié par le fait qu’elle met le patient au centre du dispositif dont le respect des croyances est garanti par les chartes du patient.

 

Références

[1] Boggio, Vincent (2012). « ‘‘Médecine et religions » : un enseignement optionnel à la Faculté de médecine de Dijon », dans Laënnec, 3, 39-49.

[2] Semaines sociales de France, session 2008 (dernière consultation 9 mai 2014).

 

Crédit image : CC/Wikipedia

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