Le mouvment Occupy Central campe depuis maintenant plus d’un mois dans les rues de Hong Kong. Une membre du comité de rédaction de Metis vous livre ses impressions, récoltées lors d’une visite sur l’île chinoise début novembre.
« Juste une image », disait Godart. Alors détaillons cette image. Sur la côte Nord de l’île de Hongkong, la baie Victoria parcourue d’un intense trafic de navires de toutes sortes. Serrés le long des quais et à l’assaut des reliefs montagneux, des buildings tous très hauts. La moyenne serait de 45 étages sur tout le territoire de la « Région administrative spéciale », y compris les immeubles d’habitation. En haut des tours, les enseignes lumineuses qui dansent : HSBC bien sûr, Bank of China, Toyota, Canon, Honda, Cosco, Meryll Linch…Un haut lieu du capitalisme mondial et mondialisé. Au premier plan, environ 2000 petites tentes carrées (modèle Quetchua, celles qui se déplient en un clic), bien alignées. C’est le quartier dit « Central » au pied des immeubles du gouvernement et les tentes sont celles du mouvement Occupy Central with Peace and Love (OCPL). Nous sommes dimanche matin, la nuit a dû être longue et active. Beaucoup de jeunes dorment encore. Tout est très calme, très rangé et organisé, on peut s’y promener en franchissant une « barricade » faite de ces barrières métalliques que l’on utilise pour canaliser les foules lors de spectacles.
Les petites tentes sont répertoriées, numérotées comme dans une rue ordinaire, tout est très propre, certains balaient devant leur habitat protestataire comme les commerçants devant leur boutique. Sous une bâche un peu plus grande, un atelier pour confectionner affiches et posters, un restaurant, un point de coordination des commandes. Impression d’ordre et d’organisation, comme dans tout Hongkong, où 150 ans de colonisation anglaise ont laissé des traces, et pas seulement de conduire à gauche.
Conduire : voilà justement bien le problème. Ce que les habitants et touristes ressentent du mouvement des étudiants, ce sont surtout les embouteillages. Les « occupations » pacifiques en plusieurs points de la péninsule et de l’île se situent toutes sur des « nœuds » de circulation, des croisements et entrecroisements de voies rapides. Pas du tout sur des places comme pourrait le faire penser nos conceptions urbaines occidentales. Les petites tentes, les points de rassemblement sont sur des autoroutes et des échangeurs. Donc exactement au cœur de ce qu’est Hongkong, un gigantesque hub commercial fait de tunnels (6 déjà qui passent sous la mer), de « subways » ou passages souterrains pour les piétons, de ponts gigantesques (dont celui en construction qui reliera Hongkong et Macao, 38 kilomètres…). Tout communique, les centres d’affaires et les galeries commerciales. On entre par l’une des énormes boutiques Chanel pour trouver la passerelle du quai où accostent les grands paquebots de croisière. Un univers de flux de circulation et d’échanges, de commerce et on le devine de flux financiers. Et les petites tentes Quetchua qui sont là au milieu, suspendant pour un temps ces va-et-vient incessants et rémunérateurs.
La protestation citoyenne des jeunes n’a pas été spontanée, elle s’est préparée pendant toute l’année dernière, une grande manifestation a ressemblé 500 000 personnes le 1° juillet dernier, professeurs et étudiants bataillant pour faire prévaloir un vrai suffrage universel pour les prochaines élections en 2017. Le système politique de Hongkong est complexe, combinant l’héritage anglais et la représentation corporatiste des « professions » – autant dire l’élite économique parfaitement en ligne avec le pouvoir chinois de Pékin. En République Populaire de Chine, les élections se font sur listes libres dans les villages depuis 2007 mais dans toutes les villes importantes, elles restent contrôlées par le Parti Communiste. Le mouvement concerne directement le système politique mais on entend aussi dire que les étudiants s’inquiètent pour leur avenir, Hongkong a le même PIB par habitant que les Etats-Unis, Hong Kong est riche mais les inégalités y sont de plus en plus grandes et le logement épuise les ressources des habitants.
Une formule entendue lors d’une discussion entre une Hongkongaise et un Chinois de Guilin qui communique en français car ici on parle cantonnais et pas le mandarin : « Nous avons la liberté et nous voulons la démocratie »…A réfléchir.
Le dimanche soir à l’aéroport international, il y a un vol toutes de demi-heures pour rejoindre Shanghai, sans parler de Shenzen qui est juste à proximité, et de Canton (avec ses 80 millions d’habitants dans le district) et tous les Chinois qui rentrent d’un week end à Hongkong sont pourvus de nombreux sacs : Prada, Berlutti, Dior…et compagnie. Qui a dit que le commerce avait besoin de la démocratie ?
Crédit image : Danielle Kaisergruber
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