par Jan Czarzasty
Le comité d’entreprise est aujourd’hui une pièce centrale des systèmes de relations collectives en Europe. Pour autant, bien des pays n’en disposent pas. Tandis que d’autres, notamment en Europe centrale, s’y sont mis récement. Dans une interview exclusive pour Metis, Jan Czarzasty spécialiste des relations professionnelles à l’Ecole de Commerce de Varsovie (SGH) fait le point sur la destinée de cette institution introduite en Pologne il y a 8 ans.
Le concept de comité d’entreprise est relativement récent en Pologne : qu’en est-il aujourd’hui ?
Les comités d’entreprise sont apparus en Pologne en 2006 sous l’influence de la Commission Européenne, du fait que l’application de la directive sur l’information et la consultation était à la traine. Le projet de loi avait été soumis à un processus de consultation de la Commission des affaires économiques et sociales, l’organisme tripartite principal en Pologne. Le fait est que ni les salariés, ni les syndicats n’étaient à l’origine enthousiastes de voir se créer ces comités : cette nouvelle loi avait par exemple supprimé l’obligation de créer des comités d’entreprises pour les employeurs qui avaient auparavant signé un accord pour la représentation des salariés stipulant que les conditions d’information et de consultation ne pouvaient être inférieures à celles prévues par la loi. A l’origine, le seuil nécessaire pour l’établissement d’un comité d’entreprise était de 100 employés, mais à partir de 2008 les patrons à la tête d’une cinquantaine de salariés se voyaient obligés d’en permettre la création. Jusqu’à 2009, la loi prévoyait deux possibilités pour leur établissement : dans les entreprises non-syndiquées, le comité devait être élu via un scrutin général, tandis que dans les autres, les membres devaient être désignés par les syndicats au niveau de l’entreprise. Cependant, suite à un arrêt de la Cour Constitutionnelle en 2008 qui a jugé que ces dispositions n’étaient pas conforme à la constitution, la loi a dû être amendée. Ce fut chose faite en 2009 : tous les comités d’entreprise sont maintenant élus via un scrutin général, même si dans les entreprises syndiquées ils sont généralement restés sous le contrôle des syndicats. Il n’est cependant pas rare pour les patrons d’exploiter des failles juridiques pour ne pas avoir à créer un comité d’entreprise.
Comment expliquez-vous l’échec relatif de ce concept dans votre pays ?
Il est vrai qu’au vu de la situation polonaise aujourd’hui, on peut parler d’échec. Selon les statistiques officielles, seuls 657 comités ont été ré-élus pour un second mandat (alors qu’il y en avait à l’origine 3401). Le problème, c’est qu’ils sont légalement mal équipés, leur compétence est trop restreinte. C’est pourquoi les salariés témoignent peu d’intérêt pour l’établissement de ce qu’ils perçoivent comme un organisme sans aucun pouvoir réel. Les tendances autocratiques des patrons ne font que renforcer la situation : du fait du climat hostile qui accueille toute initiative de représentation collective de la part des salariés, ces derniers craignent souvent des représailles s’ils osent se démarquer en demandant des élections (les protections légales dans ce cas de figure sont généralement considérées comme insuffisantes). Dans le cas des entreprises syndiquées, il est vrai que les syndicalistes jouissent d’une plus grande protection, mais ils n’ont pas beaucoup de raisons de demander l’élection d’un comité d’entreprise vu que le seul avantage qui pourrait les inciter à le faire est le droit du comité à obtenir des informations sur la situation économique de l’entreprise (les syndicats n’ont pas ce privilège).
Quelle stratégie pourrait-on adopter en Pologne et en Europe de l’Est pour promouvoir le dialogue social et développer une véritable « démocratie industrielle » ?
Il n’y a pas de réponse toute faite. C’est l’idée même du dialogue social qui doit faire son chemin, malgré les échecs du tripartisme et des allégations corporatistes illusoires au cours des dernières années. Heureusement, les partenaires sociaux polonais de part et d’autre de la table semblent comprendre le problème. Ils ont essayé de relancer le dialogue social et ont surtout commencé à croire qu’ils pourraient le faire de façon bipartite.
Le concept de « démocratie industrielle » est tout autre. Le climat dans l’entreprise n’y est pas favorable au vu de l’ancrage des styles de gestion autoritaires à tous niveaux – des PMEs aux multinationales – ainsi que de l’état avancé du processus de décollectivisation. Les gens ont du mal à voir au-delà de leur propre intérêt. Il faudra donc qu’il y ait une pression légale constante pour que les choses changent sur le long terme. Cela semble la seule stratégie viable, du fait de la faible capacité de mobilisation sociale qui existe aujourd’hui.
A propos de l’auteur
Le docteur Jan Czarzasty est professeur associé de l’Institut de philosophie, de sociologie et de sociologie économique à l’Ecole d’Economie de Varsovie (SGH), ainsi que correspondant pour l’Observatoire des Conditions de Travail et des Relations Industrielles de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail. Il est également rédacteur en chef adjoint d’un journal intitulé le « Forum de Sociologie Economique de Varsovie ».
Traduit de l’anglais par Metis Europe
Crédit image : CC/Flickr/Dawid Krawczyk
Laisser un commentaire