5 minutes de lecture

Le Conseil européen du 18 décembre 2014 a entériné le « plan Juncker » de relance pour l’Europe et appelé à la création, au sein de la Banque Européenne d’Investissement, d’un nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFIS), qui serait doté de 21 milliards d’euros, et viendra en soutien dudit plan. Les propositions législatives de la Commission européenne sont attendues pour début 2015, et la mise en place du Fonds pour le milieu de l’année. Comment tout cela se combinera-t-il avec la mise en oeuvre des réformes dites structurelles ?

 

Juncker

Une attention particulière devrait être apportée aux critères qui seront retenus pour l’octroi de la garantie publique, en particulier en termes de conditionnalité de l’accès à la réalisation de réformes structurelles. L’une des décisions du Conseil européen passée en effet peu un plus inaperçue est que les chefs d’Etat ont approuvé le principe du « triangle vertueux » défendu par la Commission européenne, selon lequel la « responsabilité bugdgétaire » des Etats, la mise en œuvre des réformes structurelles et la mise en place du futur dispositif de soutien financier constituent les trois piliers de la stratégie de relance de l’investissement en Europe. Si les conclusions du Conseil ne mentionnent pas la question de la conditionnalité des subventions publiques, ce point est par exemple clairement présent dans les propositions remises fin novembre 2014 par Henrik Enderlein et Jean Pisani-Ferry aux ministres français et allemand de l’économie.

 

Le principe consistant à conditionner le bénéfice des dispositifs de solidarité européenne est une composante essentielle du nouveau cadre de gouvernance économique qui s’est mis en place à compter du printemps 2010 en contrepartie de l’adoption du mécanisme d’aide aux pays de la zone euro en difficulté. Pour les trois pays (Grèce, Irlande et Portugal) qui ont bénéficié de l’aide du Mécanisme Européen de Stabilité, il s’est traduit dans les engagements pris en faveur des réformes structurelles dans le cadre du Mémorandum of Understanding signé avec la BCE, le FMI et la Commission Européenne. L’idée de généraliser à l’ensemble des pays le principe d’un accès conditionnel, lié à la mise en œuvre de réformes structurelles, aux mécanismes européens de solidarité est apparue dès la fin de 2012, portée par les présidents de l’Eurogroupe, de la Commission Européenne, de la BCE et du Conseil Européen (les « big four »). Sur le plan de la politique européenne de cohésion, cela s’est traduit dans l’introduction fin 2013 d’un principe de conditionnalité macro-économique liant des « fonds structurels et d’investissement à une gouvernance économique adéquate dans l’UE ». Ce principe de conditionnalité est au cœur de la proposition, très controversée, des dispositifs d’« arrangements contractuels ».

 

Les conclusions du conseil européen de décembre 2013, qui reportaient à fin 2014 l’examen des arrangements contractuels, évoquaient ainsi clairement le lien entre la mise en œuvre de réformes structurelles et la possibilité « d’encourager les investissements dans des politiques destinées à favoriser la croissance et l’emploi ». Si à certains égards on peut penser que le plan d’investissement Juncker a pris fin 2014 la place des arrangements contractuels dans l’agenda européen, la question de l’accès conditionné des aides reste largement ouverte. 

 

Il n’est dans ce contexte pas inutile de se pencher sur les enseignements que l’on peut tirer de la littérature économique sur les effets attendus des réformes structurelles sur la croissance. Les publications, discours et documents de travail émanant tant de la BCE, que des services de la Commission européenne, et du FMI mettant en avant, sur la base d’estimations économétriques, les effets positifs des réformes structurelles sur la croissance économique, se sont récemment multipliés. Dans un Economic Brief de juin 2014 de la DG ECFIN, les auteurs insistent ainsi sur la nécessité pour les gouvernements de ne pas renoncer à ces réformes, dont les effets positifs ne se manifesteront qu’à long terme : « Their full benefits, however, may take years to materialise, which means that governments must avoid the temptation to give up on them now that the economic situation is somewhat more comfortable ». 

 

Mais au-delà des incertitudes sur le timing des effets des réformes structurelles, un récent document de travail du BIT nous invite à une prudence un peu plus générale dans l’interprétation des résultats de ces études économétriques. Ce document de travail passe en revue un certain nombre d’études récentes réalisées par le FMI, qui ont mis en évidence un « lien fort » entre les réformes structurelles visant à flexibiliser le marché du travail et les performances du marché du travail ». Le document montre que les résultats des études du FMI sont entachés d’erreurs méthodologiques conséquentes, conduisant à mettre en cause la validité de leurs conclusions. Le document de travail du BIT signale en effet que que des lacunes importantes dans le traitement des données (erreurs d’agrégations, absence de prise en compte de ruptures dans les indicateurs) amènent les auteurs des études du FMI a interpréter comme des réformes structurelles des simples ruptures dans les séries, rendant au final impossible l’identification des processus effectifs des réformes, alors même que ces réformes peuvent avoir des conséquences économiques et sociales de grande ampleur (« Rather they risk encouraging policymakers to make hasty and ill-informed reforms on sensitive political issues with far-reaching economic and social consequences »). Comme aurait pu le dire Bernard Maris, les économistes sont (décidément loin d’être) au-dessus de tout soupçon

 

Crédit image : CC/Flickr/European Parliament

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Economiste, chercheuse à l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et coordinatrice du réseau Sharers & Workers