6 minutes de lecture

par Jello Clerc, Albane Flamant

A la fin des années 70, Jello Clerc commence sa carrière d’artiste comme guitariste du groupe de rock progressif Starshooter. Le groupe ne dure pas, mais Jello fera au fil des années des centaines de concerts avec différents partenaires avant de finalement raccrocher sa guitare. Depuis lors, il continue son chemin dans le monde artistique en tant que régisseur d’artistes tels que Miossec, Kyo, et actuellement Etienne Daho. L’ancien rockeur partage aujourd’hui ses réflexions dans les colonnes de Metis.

 

StarshooterL’activité artistique implique une idée de liberté et d’autonomie, et même peut être d’engagement total. Comment réconciliez-vous cela avec le fait qu’il s’agit en fait d’un travail ?

Au préalable, il faut que vous sachiez que le fondement même de mon travail actuel en tant que directeur de production ou régisseur général n’implique en aucune manière de se mêler d’artistique, même si la matière sur laquelle nous oeuvrons l’est en grande partie. Je dois tenir compte des desideratas des artistes et de l’entourage « artistique » (scénographes, metteur en scène etc., qui eux sont spécifiquement engagés pour ce pan du travail) et proposer les solutions techniques, logistiques et financières les plus appropriées.

 

Après, et selon mon expérience personnelle préalable à mon métier actuel, ainsi que mes observations au cours de ma carrière dans le spectacle, il est clair que le fondement de la pratique de l’art reste la liberté.

 

Liberté de choix, liberté de penser, liberté d’imagination et liberté de vie. Toute la difficulté réside dans le nécessaire compromis avec le système dans lequel cette pratique s’inscrit. En effet, pour acquérir ou conserver les libertés que je viens d’évoquer, il est également indispensable d’avoir ou de se donner les moyens de ces choix. Ca peut être en choisissant des modes de vie hors des schémas généraux, ou en utilisant ceux-çi. Mais tout compromis peut également conduire à une perte de l’essence, de l’âme.

 

A l’inverse, l’absence de compromis peut figer les velleités créatrices si la réalité quotidienne de la survie prend le dessus. Le dosage est donc subtil et délicat et demande beaucoup de perspicacité dans les choix. Si je prends « activité rémunératrice » comme définition de travail, on est effectivement au coeur du sujet. La liberté doit pouvoir se situer dans ce cadre contraignant d’échanges , ce qui n’est pas simple. En étant lapidaire, et sous forme de plaisanterie sans cynisme aucun, mon conseil aux aspirants artistes serait : « passe ton bac d’abord ». La pratique de l’art devant rester un violon d’Ingres afin de lui conserver toutes ses possibilités.

 

Vous avez été si l’on peut dire des deux côtés de la barrière en tant qu’artiste, et aujourd’hui en tant que régisseur. Comment les métiers artistiques de la musique ont-ils évolué au cours de votre carrière ? Comment ont évolué les relations professionnelles entre les différents acteurs impliqués ?

Depuis que je fréquente professionnellement le milieu de la musique et du spectacle (débuts professionnels en 1977), j’ai pu assister, voir participer, à une professionnalisation radicale et presque complète de l’ensemble des acteurs (artistes, musiciens, techniciens, producteurs, organisateurs, prestataires, salles etc.) qui composent cette branche.

 

Il faut dire que nous partions de très loin, la vague initiale étant la bousculade de la fin des années 70 avec l’arrivée des punks , puis de la new wave, qui à ouvert les lieux et attiré le public. A l’origine, rien ou presque. Nous héritions de très maigres structures artisanales générées par la variété française des années 60. En suivant l’exemple des anglo-saxons, qui avaient plusieurs années d’avance dans tous ces domaines, et en surfant sur les nouvelles demandes, peu à peu chacun a pu se former et les structures exister. A l’origine ce fut uniquement via l’expérience sur le terrain, puis, pour face aux demandes, des organismes ont été crées afin de pourvoir aux formations. Tant et si bien qu’actuellement je vois régulièrement débarquer de jeunes musiciens ou techniciens forts de bagages théoriques très solides. Bien entendu, et comme dans tous métiers, la plus grande part de la formation restant l’expérience du terrain et comme chacun le sait l’expérience ne se transmets pas, elle s’acquiert.

 

Du coup, et après tous ces changements, le profil des artisans des métiers du spectacle a beaucoup évolué également. A l’époque, la tournée restait avant tout une aventure humaine pleine de surprises, bonnes ou mauvaises vu l’état d’amateurisme des structures et des acteurs, mais dont la première des motivations était le plaisir pur.

 

Depuis, nous sommes devenus capables d’en apprendre à nos maîtres Anglais et Américains dans presque tous les domaines, sauf bizarrement la musique elle-même, mais la pratique ultra-professionnelle est devenue sans surprise et pour tout dire assez répétitive et ennuyeuse. Ce n’est pas seulement mon opinion de vieux routier blasé, mais visiblement je suis largement rejoint par tous ceux qui ont suivi le même parcours. Les sociétés (productions, prestataires) sont de devenues de grosses machines très rentables (les autres sont mortes fautes d’avoir su amorcé le virage) et donc les rapports entre créateurs, financiers et exécutants, ont suivi les modes de fonctionnement de n’importe quelle autre industrie. A noter toutefois, que malgré l’éventail des formations proposées aujourd’hui, aucune n’aborde la notion de recherche d’emploi, négociation financière et gestion des relations avec les détenteurs du pouvoir financier. A chacun de se débrouiller selon sa culture et ses convictions.

 

Comment la société doit-elle soutenir le travail artistique ?

A mon sens, la société doit se garder le plus possible d’intervenir dans le travail de l’art vivant, afin d’en préserver l’énergie et la vitalité et surtout d’éviter les tentations de censure ou de dirigisme. On observe depuis bien longtemps un endormissement des structures culturelles financées par l’Etat ou les collectivités locales, faute de bonne répartition et gestion des subventions et autres aides. Bien sûr, ces apports de moyens sont très confortables, mais je ne crois pas que le confort soit un moteur à la créativité et au renouvellement.

 

De même, le système des intermittents du spectacle participe en bien et en mal à un soutien direct ou indirect. Bien qu’il s’agisse à la base d’une assurance chômage, ce système d’allocation a servi de subvention déguisée à la culture pendant bien longtemps. L’intérêt étant justement une distribution sans distinction de genre, de choix artistique etc. Mais ces allocations doivent aujourd’hui reprendre uniquement leur destination initiale en tant qu’assurance chômage, ce qui est la moindre des choses vu le contexte du monde du travail.

 

Sur le fond, je reste persuadé que l’émergence de mouvements artistiques n’est que le reflet d’un « craquage » de la société à un moment donné. En effet, les « artistes » (je n’aime pas beaucoup ce mot bien galvaudé) ne sont que les vecteurs , les cristalliseurs, de leur époque et profitent, suivent, bien souvent à leur insu, des changements d’équilibre. L’histoire du 20 ème siècle nous l’a montré. A chaque rupture culturelle correspond une période très créative que ce soit dans la musique, mais bien aussi toutes les autres formes d’expression artistique (arts plastiques, littérature, cinéma…). Reste à attendre la prochaine vague qui nécessairement arrivera avec son cortège de créateurs surprenants…Et dans le meilleur des cas, les voir venir, ce qui n’est jamais le cas de l’Etat et ni des entreprises spécialisées.

 

Pour en savoir plus

Starshooter 

 

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts