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par Jules-Mathieu Meunier, interviewé par Pierre Maréchal , Pierre Maréchal

LOgement 1%

Le dispositif dit « 1% logement » est une participation des entreprises, aussi appelée « Participation des employeurs à l’effort de construction » (PEEC). Elle représente 0.45% de la masse salariale de l’année précédente. Aujourd’hui, l’heure est au bilan. Quels résultats ? Quelles mutations ? Quels enjeux ? Pierre Maréchal s’est entretenu avec Jules Mathieu Meunier, docteur en urbanisme et auteur d’une thèse sur le 1% logement.

 

 

– Le 1% logement, qui permettait de financer la construction de logements destinés aux salariés est une institution paritaire. Est-ce que le paritarisme a fonctionné ? Est-ce que les syndicats se sont réellement impliqués ? Ne peut-on dire que cela a principalement favorisé les salariés qualifiés des grandes entreprises et peu les salariés des petites entreprises, précaires…

 

Quand on s’intéresse à l’histoire du 1 % logement, on se rend compte que le paritarisme n’a jamais véritablement fonctionné comme prévu. Le dispositif semble remplir son office pendant les années 1953-1973, période marquée par une convergence de l’Etat, du patronat et des syndicats de salariés autour d’une même approche productiviste s’incarnant dans l’accroissement de l’offre de logements HLM et la construction des « grands ensembles ». Mais cette convergence est alors l’expression d’un consensus par défaut. Elle masque les limites qui caractérisent très tôt l’action des organisations syndicales et patronales à la tête du 1 % logement. Ces limites, qui se manifesteront à partir des années 1970-1980, tiennent aux divisions qui traversent la sphère interprofessionnelle sur un certain nombre de sujets et se traduisent par un déficit de portage politique du dispositif par les acteurs paritaires.

 

Les syndicats représentant les salariés ont une part de responsabilité certaine dans ce défaut de la gestion paritaire. Leur intervention témoigne de la difficulté que représente pour eux le fait de mener de front action revendicative et présence dans des institutions telles que le 1 % logement. Cette difficulté tient aux faiblesses symptomatiques du syndicalisme français : morcellement du paysage syndical qui pousse les organisations à se faire concurrence entre elles, permanence dans certaines organisations d’une culture révolutionnaire peu disposée à jouer le jeu du paritarisme ou à prendre en charge la question du logement, propension des syndicats à méconnaître les aspirations de certaines catégories de salariés. Mais cette difficulté résulte également de facteurs exogènes aux syndicats de salariés.

 

Parmi ceux-ci, on peut mentionner le conservatisme d’un patronat français majoritairement peu enclin à associer pleinement les représentants des salariés à la gestion des comités interprofessionnels du logement (CIL). L’architecture institutionnelle du paritarisme joue également un rôle décisif, l’inscription des acteurs paritaires dans la sphère interprofessionnelle ayant tendance à les couper de l’expression des besoins en logements émanant des individus dans les entreprises.

 

Les limites du paritarisme du 1 % logement sont à l’origine d’une série de dysfonctionnements qui entameront progressivement la légitimité de l’institution à partir des années 1980. L’existence d’inégalités dans l’accès des salariés aux aides délivrées par les CIL constitue l’un d’eux. En effet, il apparaît progressivement que les modalités de gestion de la Participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC) conduisent à traiter prioritairement les besoins en logements des salariés des grandes entreprises au détriment d’autres catégories (les salariés des PME, les ouvriers peu qualifiés et les travailleurs migrants notamment), quand elles n’excluent pas purement et simplement certaines composantes du salariat du champ des bénéficiaires – les jeunes en insertion professionnelle et les demandeurs d’emploi.

 

Plusieurs autres aspects de l’intervention du 1 % logement sont pointés par les critiques. Elles ciblent en particulier l’inertie à l’œuvre dans l’offre de prestations délivrée par le 1 % logement – en complet décalage avec la transformation des besoins en logement qui s’opère au même moment. Elles pointent également le déficit démocratique qui caractérise le fonctionnement des instances politiques du 1 % logement, conséquence des difficultés rencontrées par les représentants des salariés pour peser sur des processus de prise de décision contrôlés par les représentants des employeurs et surtout la technostructure des CIL.

 

 

– Depuis 2009, le 1% a subi (et continue à subir) de grandes mutations. Lesquelles et pourquoi ?

 

Le 1 % logement est engagé depuis plusieurs décennies dans un processus de transformation qui se nourrit à la fois d’une perte de légitimité de l’institution et de l’émergence au sein de l’Etat d’une tentation de reprise en main du dispositif. Cette tentation connaît périodiquement des traductions en actes à partir du milieu des années 1980. Dans les faits, la reprise en main du 1 % logement procède de trois dynamiques interdépendantes : la concentration du pouvoir de décision en matière d’orientation des fonds au profit des acteurs nationaux de l’institution, le transfert d’une partie du coût de la politique du logement vers la PEEC et le renforcement du rôle de l’Etat dans la définition des emplois du 1 % logement.

 

Les mutations survenues depuis 2009 peuvent s’interpréter au regard du rapport qu’elles entretiennent avec chacune de ces dynamiques. Une caractéristique notable concernant les réformes récentes provient du fait qu’elles ne se situent pas nécessairement dans le prolongement des épisodes précédents. C’est le cas en particulier de la réforme insérée dans la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) qui modifie la répartition du pouvoir de décision en matière d’affectation des fonds issus de la PEEC entre l’Etat et les acteurs paritaires. En réinscrivant la définition des emplois du 1 % logement dans un espace de négociation entre l’Etat et les partenaires sociaux, cette réforme tranche en effet avec la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (MOLLE) du 25 mars 2009 qui avait transféré au pouvoir législatif et réglementaire la responsabilité d’élaborer la politique nationale d’emploi des fonds du 1 % logement.

 

Cette inflexion s’explique alors en partie par la volonté de l’exécutif issu de l’alternance politique de 2012 de se démarquer du précédent gouvernement au niveau de l’exercice du pouvoir. Alors que le volontarisme politique du pouvoir sarkozyste et l’ambition affichée de lutter contre « l’impuissance publique » pouvaient conduire ce dernier à court-circuiter les corps intermédiaires, le gouvernement socialiste a très tôt fondé une partie de sa légitimité sur sa propension à renforcer le dialogue social et à associer pleinement les partenaires sociaux à la production de l’action publique dans les domaines les concernant.

 

À cette exception près – qui n’a cependant rien de négligeable -, les transformations récentes à l’échelle d’Action Logement s’inscrivent dans un rapport de continuité évident avec les dynamiques à l’œuvre depuis plusieurs décennies. C’est le cas par exemple des réformes portant sur l’utilisation des fonds issus de la PEEC. Sur ce point, il est en effet manifeste que la contrainte budgétaire pèse sur les choix de l’exécutif quelles que soient les majorités se succédant à la tête de l’Etat. L’instauration en 2012 d’une contribution d’Action Logement au Fond national d’aide au logement (FNAL) et les débats actuels sur la délimitation des publics bénéficiaires du futur dispositif de sécurisation des risques locatifs témoignent que la position de l’Etat reste largement guidée par la tentation de transférer sur Action Logement une part substantielle du financement de la politique du logement.

 

Une forme de continuité comparable se manifeste sur la question de la répartition des responsabilités en matière de gestion et d’affectation des fonds entre acteurs locaux et acteurs nationaux d’Action Logement. À l’instar de la réforme de 1996 portant création de l’Union des Entreprises et des Salariés pour le Logement UESL, ou de celle de 2014 qui visait à conférer à cette même UESL les moyens d’une autorité renforcée sur les CIL, la réforme de structure amorcée par les partenaires sociaux en avril 2015 participe clairement d’une logique de transfert du pouvoir de décision vers les échelons centraux de l’institution. Cette réforme est actuellement en cours d’élaboration mais on sait déjà qu’elle modifiera en profondeur l’architecture d’Action Logement.

 

L’organisation actuelle, conçue autour d’une tête de réseau (l’UESL) et d’une vingtaine d’organismes territoriaux chargés de la collecte et de l’utilisation des fonds (les CIL), sera supprimée. À la place sera créée une organisation structurée autour de trois entités nationales – une structure faîtière pilotant l’ensemble du groupe, un pôle unique de services chargé de la collecte et de la distribution des aides aux entreprises et un pôle immobilier chargé de mettre en œuvre la politique immobilière du groupe – et de délégations régionales ayant vocation à garantir la déclinaison des politiques nationales au niveau des territoires. Cette réforme, qui a été décidée au nom de la nécessaire harmonisation des interventions d’Action Logement et de la volonté de juguler les dysfonctionnements de l’institution, marque donc une nouvelle étape dans la concentration du dispositif et la réduction de l’autonomie des acteurs paritaires territoriaux.

 

 

– Quels sont les enjeux ?

 

L’avenir d’Action Logement dépend étroitement de la capacité des acteurs paritaires de réformer ce dispositif dans le sens d’une efficacité accrue de ses interventions. Faute de quoi la perte de légitimité d’Action Logement aura pour effet de maintenir cette institution sous la menace d’une budgétisation des fonds issus de la PEEC – menace qui semble aujourd’hui devoir être prise au sérieux compte tenu de la vigueur de la contrainte budgétaire.

 

L’intervention des partenaires sociaux est attendue en particulier sur deux enjeux centraux. Le premier concerne le positionnement d’Action Logement vis-à-vis des territoires. La légitimité d’Action Logement repose notamment sur sa propension à articuler ses interventions avec les politiques mises en œuvre par les collectivités territoriales en matière d’habitat. Cet impératif a été accentué par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui, en ouvrant la possibilité de déléguer aux collectivités la définition de la programmation neuve d’HLM, a sensiblement renforcé leurs prérogatives dans ce domaine de l’action publique.

 

L’enjeu n’est pas mince pour Action Logement, dans la mesure où ses membres ont toujours manifesté pour la plupart une réticence à amorcer des logiques partenariales avec les élus locaux, ceci par peur de perdre la maîtrise de l’orientation des fonds issus de la PEEC. Il n’est pas certain que la réforme en cours d’élaboration apporte une réponse probante sur ce point. Elle a en tout cas indéniablement tendance à créer un facteur d’incertitude quant à la capacité de la future organisation centralisée d’Action Logement de préserver l’ancrage territorial de l’institution et de cultiver un lien de proximité étroit avec ses partenaires locaux que sont les entreprises et les collectivités.

 

Le second enjeu engageant l’avenir d’Action Logement concerne l’emploi des fonds issus de la PEEC. Pour la plupart des observateurs, la perte de légitimité de l’institution tient largement au fait que les acteurs paritaires se montrent incapables depuis plusieurs décennies de faire évoluer l’utilisation des fonds en relation avec la transformation des besoins en logement. Tout porte à croire aujourd’hui que le renforcement de la légitimité d’Action Logement passe par la réactualisation de l’offre de prestations au regard des risques sociaux qui apparaissent depuis une quinzaine d’années au croisement de l’emploi et du logement. Sur ce point également, les implications de la réforme amorcée il y a trois mois sont relativement difficiles à apprécier. Les artisans de cette réforme mettent en avant sa propension présumée à apporter des réponses à quelques-uns des dysfonctionnements majeurs de l’institution (développement de pratiques concurrentielles autour de la collecte de la PEEC, tendance à engendrer des inégalités entre les salariés dans l’accès aux aides).

 

Au-delà des discours de justification, il est cependant malaisé d’identifier une orientation attestant que la réforme est l’expression d’un projet politique fort émanant des partenaires sociaux. Ainsi, plusieurs dispositions interrogent quant au sens des objectifs poursuivis. On est par exemple en droit de se demander en quoi la constitution d’un pôle immobilier unique à l’échelle d’Action Logement est de nature à produire une plus-value en direction du logement des salariés. Or, on peut estimer que la manifestation d’une capacité des partenaires sociaux à bâtir un projet politique clair autour du lien entre emploi et logement est essentielle à la légitimation de leur présence à la tête de l’institution. À défaut, la réforme actuelle pourrait se révéler à double tranchant, la concentration des instruments de pilotage du dispositif à l’échelle nationale étant par essence de nature à favoriser la mise en œuvre opérationnelle d’un éventuel projet de budgétisation de la ressource financière.

 

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Un parcours professionnel varié dans des centres d’études et de recherche (CREDOC, CEREQ), dans
des administrations publiques et privées (Délégation à l’emploi et Chambre de commerce et
d’industrie), DRH dans des groupes (BSN, LVMH, SEMA), et dans le conseil (BBC et Pima ECR), cela à
partir d’une formation initiale d’ingénieur X66, d’économiste-statisticien ENSAE et d’une formation
en gestion IFG.
Une activité associative diverse : membre de l’associations des anciens auditeurs de l’INTEFP, ex-
président d’une grosse association intermédiaire à Reims, actif pendant de nombreuses années à
FONDACT (intéressé par l’actionnariat salarié), actuellement retraité engagé dans les questions de
logement et de précarité d’une part comme administrateur d’Habitat et Humanisme IdF et comme
animateur de l’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts-de-Seine.
Toujours très intéressé par les questions d’emploi et du travail.