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En Allemagne, on compte en fonction de la nationalité d’origine, mais aussi les « personnes issues de l’immigration », à la fois dans les registres des municipalités et dans les statistiques fédérales. Ceci de manière tellement large qu’il devient difficile de s’en servir pour penser des politiques spécifiques. Nicola Düll , économiste associée du Cabinet Economix à Munich, fait le point sur le sujet.

 

Le contexte

migrants en allemagne

Pendant longtemps, l’Allemagne ne se considérait pas comme un pays d’immigration (« Einwanderungsland »). Mais ces dernières années, on peut observer un changement dans le débat pour trois raisons. Premièrement, l’Allemagne a dû reconnaître qu’il y avait des problèmes dans l’intégration des jeunes de la première, deuxième et parfois même de la troisième génération, aussi bien dans le système éducatif que sur le marché du travail. Selon les résultats de l’étude PISA de l’OCDE, l’Allemagne fait partie des pays dans lesquels l’origine socio-démographique des élèves a le plus d’impact sur la réussite scolaire. De plus ces jeunes sont largement sous-représentés autant dans les universités que dans le système de formation professionnelle initiale.

 

Deuxièmement, la crainte d’un manque de main d’œuvre à moyen et long terme est de plus en plus présente pour cause démographique. En effet selon les prévisions le nombre de personnes en âge de travailler (15-65 ans, voire 67 ans d’ici 2030) va diminuer de 2 millions d’ici 2030 (en partant de l’hypothèse d’un solde migratoire de 210.000 personnes par an en moyenne). Dans certains métiers, le manque de main-d’œuvre se fait déjà ressentir et les entreprises commencent à avoir du mal à recruter suffisamment d’apprentis dans certaines régions et secteurs.

 

Troisièmement, la structure de l’immigration a beaucoup changé. La part des immigrants de niveau universitaire a augmenté de 18% à 42% en l’espace d’une dizaine d’année (1997-2007) . Les politiques et perceptions de ces changements ont influencé la méthode utilisée pour compter les migrants. Pourtant, des questions sur la pertinence des indicateurs en place doivent être soulevées. Cette note donne un aperçu des méthodes et bases de données utilisées pour compter « les migrants » en Allemagne.

 

Qui sont les migrants ?

Les statistiques différencient surtout les catégories suivantes :

(a) La population résidente ayant une nationalité étrangère.
(b) Les personnes « ayant une origine migratoire » (Personen mit Migrationshintergrund)
(c) Les flux et le solde migratoires

 

(a) La population résidente avec une nationalité étrangère:

L’indicateur principal pour mesurer la part des migrants en Allemagne dans les statistiques est la nationalité. Pendant très longtemps, c’est la loi du sang qui ouvrait droit à la nationalité allemande. La naturalisation par le droit du sol ne fut introduite qu’en 2000 et la possibilité de double nationalité pour des personnes nées en Allemagne de parents d’une nationalité étrangère n’existe que depuis 2014.
Dans beaucoup de domaines, il n’existe que des statistiques par nationalité, c’est le cas par exemple des statistiques de la scolarité et des universités ainsi que des statistiques du marché du travail (chômage, emploi).

 

(b) La population « issue de l’immigration » :


Reconnaissant que les statistiques par nationalité ne fournissaient pas des informations suffisamment différenciées, un nouveau concept fut introduit : les « personnes avec une origine migratoire » (équivalent de la notion française de population « issue de l’immigration »). Il s’agit de personnes qui sont nées ou non en Allemagne et dont au moins un parent est immigré en Allemagne. La définition exacte dépend des institutions qui élaborent les statistiques et de leurs bases de données. Ce concept a aussi été retenu lors du dernier recensement de la population en 2011.

Dans la définition de l’enquête sur les forces du travail (Mikrozensus) de l’Office fédéral de la statistique, les personnes avec une origine migratoire comprennent (Bundesagentur für Arbeit 2014):

– des personnes avec une nationalité étrangère ou des personnes naturalisées, indépendamment de leur lieu de naissance
– des allemands (dont ceux qui ont une double nationalité), nés en Allemagne, mais dont un parent est étranger, naturalisé ou rapatrié (de l’Europe de l’Est « Spätaussiedler » soit des personnes qui ont obtenu la nationalité allemande sur la base de la loi du sang après la chute des régimes communistes dans les pays de l’Est et de l’Asie Centrale, où elles avaient vécu souvent depuis plusieurs siècles).
La définition du service public de l’emploi prend en compte toute personne née à l’étranger et ayant immigré en Allemagne après 1945.

On considère les personnes nées à l’étranger comme « personnes avec une expérience migratoire » (Personen mit Migrationserfahrung) ou comme des migrants au sens strict. Par contre des allemands qui sont nés à l’étranger de parents allemands ne sont pas considérés comme personnes issue de la migration. Les données de l’enquête sur les forces de travail permettent cette différenciation.

 

Avec cette définition, des personnes avec un parent allemand et nées en Allemagne sont considérées comme « personnes avec une origine migratoire ». En tout, un cinquième de la population vivant en Allemagne ou près de 16,4 millions de personnes ont une « origine migratoire » (et plus d’un tiers dans certaines grandes villes). La proportion des personnes avec une nationalité étrangère vivant en Allemagne s’élevait à 9%, soit 7,4 millions de personnes en 2012, et la part des allemands avec une « origine migratoire » à 11%, soit 9 millions de personnes.

 

Environ deux-tiers des personnes avec une origine migratoire ont eux-mêmes une expérience migratoire, dont 11% de personnes naturalisées, 36% d’étrangers et 20% de rapatriés. 9% des personnes avec une origine migratoire qui n’ont pas d’expérience migratoire sont des étrangers, 21% des allemands et 3% sont des personnes naturalisées. L’enquête sur les forces de travail recueille aussi la nationalité des personnes ayant une « origine migratoire » en différenciant entre la nationalité actuelle ou antérieure (dans le cas de la naturalisation).

 

Les rapports du gouvernement sur la migration ainsi qu’un nombre de rapports sur la situation sociale publient, dans la mesure du possible, leurs données selon le concept de personnes issues de la migration ainsi que par nationalité uniquement. Plus rares sont les rapports publiés qui contiennent les détails sur les origines migratoires par nationalité, et montrent quelles sont les nationalités les plus répandues (par exemple « l’origine » turque).

 

(c) Les migrants : le solde migratoire


Les données officielles sur les flux migratoires et le solde migratoire varient selon la manière dont elles ont été collectées :

– Les statistiques de l’Office fédéral de la statistique qui sont basées sur les données fournies par les registres des municipalités (toutes personnes, allemands et étrangers, doivent en principe s’enregistrer auprès des services municipaux et se faire radier en cas de déménagement – Einwohnermeldewesen). Les informations retenues concernent le lieu de domicile précédent (ou futur), le genre, l’âge, la nationalité, la religion et l’état civil. Un problème avec cette base de données est que, surtout parmi les allemands et les ressortissants de l’Union Européenne un certain nombre de personnes ne s’enregistrent pas tout de suite ou ne se font pas radier lorsqu’ils partent, (et le volume des départs est donc sous-estimé). Cette base de données contient donc des inexactitudes.
– Les statistiques du registre central des étrangers (Ausländerzentralregister) de l’Office fédéral de la migration et des réfugiés. Ce registre différencie les migrants par statut.

 

La différence entre ces deux bases de données est importante, les flux migratoires dans la base de données des municipalités peuvent être 1,5 à deux fois supérieurs à ceux du registre central des étrangers. Cette différence peut s’expliquer par la durée de la migration prise en compte. Alors que les migrants de courte durée, principalement les travailleurs saisonniers et des étudiants Erasmus par exemple, ne sont pas enregistrés dans le registre central des étrangers, ils peuvent être comptés plusieurs fois dans l’année dans les registres des municipalités.

 

De 2010 à 2013 le solde migratoire s’élevait au total à environ 1,2 millions de personnes qui ont occupé environ 700 000 postes de travail (Vogler-Ludwig, et al. 2014). Par contre, pendant les années qui ont précédé la crise économique le solde migratoire n’était pas loin de zéro (bien que les flux migratoires aient été élevés).

 

Conclusions


Les statistiques sur l’immigration ne sont pas suffisamment précises quand elles font référence à la seule nationalité. L’immigration est surestimée dans les données des municipalités. De plus les statistiques par nationalité ne permettent pas d’identifier des groupes cibles plus spécifiques tel que des migrants de première ou deuxième génération. La deuxième définition par contre semble être trop vaste, puisque des personnes dont un parent est allemand peuvent avoir une « origine migratoire » même si elles n’ont pas eu « d’expérience migratoire ». Le groupe est donc plus vaste que la « deuxième génération » de migrants. Dans certaines grandes villes la part des jeunes de moins de 18 ans « avec une origine migratoire » représente déjà la majorité dans leur classe d’âge. Peut-on supposer qu’ils représentent un groupe « à part » ? Est-ce que les personnes dont les parents ne sont pas tous les deux allemands posent des problèmes et doivent représenter un groupe cible pour les différentes politiques ? Ce n’est qu’en analysant les données plus finement que l’on peut identifier ceux dont les deux parents sont immigrés (et leurs pays d’origine). Souvent ce détail n’est pas publié. Par contre, les immigrés de troisième génération ne sont pas comptés : peut-on supposer qu’ils sont déjà parfaitement intégrés dans la société ? On peut demander effectivement si le concept de personnes « avec une origine migratoire » est pertinent pour mettre en place des politiques ou des mesures spécifiques.

 

Sources 

 

– Kurt Vogler-Ludwig, Nicola Düll, Ben Kriechel unter der Mitarbeit von Tim Vetter (2015), Arbeitsmarkt 2030, Die Bedeutung der Zuwanderung für Beschäftigung und Wachstum. Prognose 2014, Studie im Auftrag des Bundesministeriums für Arbeit und Soziales, W. Bertelsmann Verlag
– Hänisch, C. Kaliowski, M. (2010), Ausbildung, Berufswechsel, Migration: Übergänge im Arbeitsangebot und Implikationen für die Belastbarkeit mikrozensusbasierter Projektionen zum künftigen Arbeitskräfteangebot, Abschlussbericht Fraunhofer Fit, Oktober 2010.

– Bundesagentur für Arbeit (2014), Analyse des Arbeitsmarkts für Ausländer. Statistik. Oktober
– Statistisches Bundesamt, Bevölkerung mit Migrationshintergrund – Ergebnisse des Mikrozensus 2012
– Statistisches Bundesamt, Bevölkerung mit Migrationshintergrund – Ergebnisse des Mikrozensus 2012
– Bundesministerium des Inneren, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (2015), Migrationsbericht 2013
Sachverständigenrat deutscher Stiftungen für Integration und Migration (SVR) (2013), Erfolgsfall Europa? Folgen und Herausforderungen der EU-Freizügigkeit für Deutschland. Jahresgutachten 2013 mit Migrationsbarometer, online: www.svr-migration.de/content/wpcontent/

 

 

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Économiste du travail, Associée Economix Research & Consulting, Munich