The Lesson, de Kristina Grozeva et Petar Valchanov avec Margita Gosheva.
Coproduction Bulgarie et Grèce.
Photo Tristan Nitot, Creative Commons.
La Bulgarie n’est pas (hélas) un pays au cinéma aussi riche que son voisin roumain. Et le cinéma, en général, parle assez peu de tolérance avec justesse et intelligence. The Lesson, coproduction gréco-bulgare sortie le 9 septembre dernier, contredit ces deux constats. Un film qui évite les travers du pathos et de la sensiblerie avec une élégance certaine.
Les films bulgares sont rares et la curiosité souvent bonne conseillère. La mienne a été récompensée : The Lesson, de Kristina Grozeva et Petar Valchanov avec Margita Gosheva, est une très bonne surprise. Nadia enseigne l’anglais dans le collège d’une petite ville en Bulgarie. Elle est énergique et plutôt stricte. Dans le couple, son mari assure à lui seul la part d’insouciance et de fantaisie. À lui les jeux avec leur fille unique et à Nadia le respect des horaires et les copies à corriger.
Deux évènements indépendants viennent perturber le cours de sa vie quotidienne. Un vol a lieu pendant la récréation, dans sa classe et dans son sac. Il s’agit d’une somme d’argent modeste mais Nadia n’entend pas laisser passer. Elle revient cours après cours sur l’incident en alternant menaces, bluff (je sais qui c’est, mais je veux qu’il, ou elle, se dénonce) et surtout leçons de morale. L’enfer semble promis à celui, ou celle, qui a fauté et ne se repentirait pas. Mais rien, aucun indice n’aide Nadia. Comme elle, nous scrutons avec la plus grande perplexité les visages fermés de pré-adolescents en y voyant plus d’ennui que de culpabilité ou de honte.
La vie n’est pas un long fleuve tranquille
La deuxième histoire la concerne elle, son mari et leur banquier. Un huissier se présente à leur domicile : la banque réclame des mensualités impayées. Nadia découvre la situation en même temps que les nombreuses lettres de rappel que son mari lui a cachées. La maison sera saisie et vendue si le couple ne trouve pas en quelques jours les sommes dûes. Pour Nadia, la course contre la montre s’engage. La vente du camping-car est un échec : il est trop délabré et les bricolages du mari ne font pas illusion. L’entreprise qui lui doit de l’argent pour un travail de traduction est en faillite et ne paiera pas. Son père pourrait lui avancer les 8000 leva nécessaires, mais il faudrait que Nadia se réconcilie avec sa belle-mère, une femme jeune sexy et adepte de sciences occultes (« les chakras c’est sérieux »). Après plusieurs tentatives et des excuses présentées à la nouvelle épouse, c’est presque fait. Mais un geste mal compris et la situation dégénère. Nadia n’aura pas l’argent. La banque est inflexible. Il reste l’usurier mafieux, cynique, libidineux et protégé par la police.
Pendant tout ce temps, Nadia continue ses cours et ses exhortations pour que l’élève coupable du vol avoue. Sans succès. Jusqu’à ce que les deux histoires se dénouent de façon inattendue – on ne dira pas comment ! Nadia rembourse la dette et conserve sa maison. L’élève finalement démasqué échappe à toute sanction.
Un conflit de valeurs
Le film peut être vu et apprécié à plusieurs niveaux. Il nous rappelle le cinéma néo-réaliste avec son mélange de problèmes matériels et de dilemmes moraux. Les plus cinéphiles penseront peut-être au Voleur de bicyclette de Vitttorio de Sica (1949), même si The Lesson n’atteint pas la même intensité dramatique. Au moment où Dheepan, de Jacques Audiard, Palme d’or à Cannes, nous ressert, sous couvert de réalisme, la fable des classes dangereuses, des banlieues à feu et à sang aux mains de dealers qui s’entretuent, et d’immigrés à qui la France donne du travail, sans comprendre que la violence vécue dans leur passé les rattrapera toujours, cela fait du bien de voir un film qui se penche avec humanité et générosité, sans oublier un peu d’humour, sur ceux qui vivent et galèrent aujourd’hui dans un pays proche, membre de l’Union européenne depuis 2007 et que nous connaissons mal, la Bulgarie.
Mais c’est loin d’être le seul intérêt du film. Son originalité réside plutôt dans la mise en scène du hiatus, et finalement de la confrontation, entre les principes, aussi nobles que désincarnés, et la vie telle qu’elle va. Le dénouement n’a rien à voir avec la prise en compte de « circonstances atténuantes » qui inciteraient à la clémence, ni avec une justification sociologique de la délinquance. Le voile jeté sur les délits tient plus, toutes proportions gardées, de l’esprit des commissions « Vérité et réconciliation » mises en place par Nelson Mandela en Afrique du Sud après 1995 : il faut savoir privilégier la vie qui continue lorsque la punition, toute méritée quelle soit, ne règlerait rien.
Hannah Arendt voyait dans le pardon « une grande audace et une incomparable fierté » et un progrès lorsque « pardonner les offenses » a cessé d’être une prérogative divine pour être celle des hommes. C’est que « le fait de pardonner tente cette gageure apparemment impossible de défaire ce qui a été fait et que cela réussit à créer un nouveau commencement là où les commencements semblaient désormais ne plus être possibles » (in Qu’est-ce que la politique ? Seuil, 2014 pour la traduction française).
Je ne sais pas ce que The Lesson doit à Nelson Mandela et sa gestion politique de la transition, bien différente de celle que les pays de l’ex-URSS ont connue, ou ce qu’il doit à Hannah Arendt. À moins qu’il ne s’inspire plutôt de la phrase de Carl Jung, selon laquelle « il faut parfois se montrer indigne pour réussir simplement à vivre ». Kristina Grozeva et Petar Valchanov ont certainement plutôt puisé dans leur observation quotidienne de la vie aujourd’hui en Bulgarie. Leur sagacité et leur propre imagination ont fait le reste. Mais à l’heure où domine la croyance dans les vertus radicales du châtiment et de la tolérance zéro, ce rappel des vertus de la magnanimité et de la solidarité est salutaire.
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