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Photo Jean-Pierre Bazard. Creative commons

Paris I

Comment l’université forme-t-elle les futurs gestionnaires RH ou emploi ? Avec quels objectifs, quels métiers cibles, quelles méthodes, quels débouchés ? Parmi les nombreuses formations Bac + 5 du domaine, Metis s’est penché sur le Master « Anticipation et gestion de l’emploi et des compétences – AGEC » de Paris I pour essayer d’en savoir plus. Entretien avec Valérie Neveu, maître de conférences en Gestion à Paris 1 et directrice de ce Master professionnel.


Vous êtes l’actuelle directrice de cette formation, aujourd’hui presque trentenaire. Pouvez-vous nous la présenter à grands traits ?


Elle appartient sans conteste à la nombreuse famille des Masters RH, mais avec un double positionnement qui fait sa spécificité. Elle prépare en effet aux fonctions RH classiques dans les entreprises ou les organisations, mais aussi, et c’est plus rare, aux métiers d’intermédiation de l’emploi, dans dans le service public (Pôle emploi, missions locales…) comme dans le travail temporaire ou chez les consultants spécialisés (recrutement, restructurations, etc.). Nous avons ainsi depuis l’origine pour fil directeur une approche transversale des métiers de l’emploi, qui englobe recrutement, formation, gestion des compétences, accompagnement des mobilités, des mutations économiques et des restructurations. Tout en mettant un accent particulier sur la négociation, comme méthode privilégiée du changement.

C’est pourquoi les débouchés du diplôme sont eux-mêmes multiples : en premier les entreprises, privées ou (ex)publiques, en majorité de grande taille, puis les cabinets de conseil en développement RH (ou en « ingénierie sociale »), enfin les intermédiaires de tout type sur le marché du travail. Pour la même raison les postes occupés à l’embauche sont diversifiés : assistance RH classique, mais aussi, et de plus en plus, conseil en développement RH (gestion des compétences, formation) et accompagnement des mobilités et des restructurations – plus souvent dans ce dernier cas en cabinet de conseil que dans le service public.
Sur la base de ces objectifs, le Master recrute chaque année environ vingt-cinq étudiants parmi plus de deux cents candidats au profil et au parcours varié, à l’issue d’une sélection en deux étapes : sur dossier accompagné d’une lettre de motivation, puis par entretien individuel. Si nous ne souhaitons pas dépasser cet effectif, c’est pour garantir à nos promotions un encadrement et un accompagnement de qualité.

Du côté des enseignements, nous offrons en parallèle des cours fondamentaux (droit, économie, politiques publiques), assurés par des enseignants titulaires, et des cours professionnalisants (management RH, négociation, formation) confiés à des professionnels. S’y ajoute une série de vingt ateliers thématiques d’une journée, entièrement animés par les étudiants, dont l’après-midi est chaque fois consacrée au témoignage d’un professionnel expert et praticien dans le domaine. Enfin, pour sensibiliser nos étudiants à l’action publique en matière d’emploi, nous organisons chaque année un stage d’immersion d’une semaine dans le service public de l’emploi. Au total, les deux tiers du temps de formation sont confiés à des intervenants professionnels. L’ensemble de ces éléments nous vaut d’ailleurs d’être très bien évalués à l’aune des critères émis par le Ministère, l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) nous ayant attribué la note A dans sa dernière revue des formations de Paris I.

 

S’agit-il d’une formation en alternance ?

Le Master n’a pas attendu la montée en puissance des formations universitaires en alternance au cours des années 2000 pour tisser des liens étroits avec le monde professionnel des RH et de l’emploi. Outre les ateliers hebdomadaires, nous avons longtemps pratiqué une alternance universitaire classique, avec un stage long (au moins 6 mois) de fin d’études débouchant sur la soutenance d’un mémoire approfondi. Mais nous avons basculé ces dernières années dans un modèle d’alternance formalisé via un contrat de travail : aujourd’hui, ceux de nos étudiants qui choisissent l’alternance lorsqu’ils sont recrutés en mai sont embauchés dès la rentrée universitaire en contrat de professionnalisation et alternent chaque semaine trois jours de travail rémunéré en entreprise et deux jours d’enseignement à l’université. Le lien entre les deux volets repose principalement sur les contacts réguliers que nous entretenons avec les tuteurs en entreprise, depuis le recrutement jusqu’à la soutenance du mémoire – à laquelle ils participent – en passant par le suivi en cours d’année. S’y ajoute au sein du cursus un module consacré à l’accompagnement de l’alternance, grâce auquel plusieurs points d’étape sont réalisés sur le déroulement des missions en entreprise.

L’alternance en contrat de travail facilite l’insertion des étudiants dans l’emploi ; les entreprises et organisations d’accueil se montrant très demandeuses du profil de nos étudiants, qui ne rencontrent d’ailleurs aucune difficulté pour signer, dès le début de l’année, un contrat de professionnalisation qui s’inscrive pleinement dans leur projet professionnel. A l’issue de leur formation, l’insertion professionnelle de nos étudiants est solide: 80 % des sortants sont en emploi dans l’année qui suit pour un salaire moyen de 33 000 euros annuels; le chiffre frôle les 100 % après deux ans.

En outre, l’alternance représente un apport de ressources significatif pour l’université, avec 3 500 euros par étudiant et par an – tarif très modeste au regard de celui que pratiquent les organismes de formation privés (écoles, etc.) – versés par les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) des employeurs, dont une moitié abonde le budget général de l’université et l’autre le budget propre du Master. La rémunération des enseignants titulaires et des intervenants extérieurs reste quant à elle entièrement prise en charge par l’université.

 

Le passage à l’alternance en contrat de travail a-t-il modifié votre pédagogie ?

Il nous conduit à réajuster la charge de travail personnel demandée aux étudiants en sus de la présence aux enseignements : mener de front deux jours de travail universitaire (sans compter les temps de préparation et les travaux de groupe nécessaires) et tois jours de travail professionnel s’avère une tâche lourde et exigeante pour l’étudiant.

En revanche nous n’avons pas reconsidéré en profondeur les contenus et les modalités de nos enseignements, car nous restons convaincus que l’objectif du cursus justifie toujours le besoin d’une formation de fond, assise sur de solides acquis conceptuels. L’alternance n’a fait que nous conforter dans le constat que les entreprises attendent non seulement des opérationnels, mais aussi des « cerveaux », capable à la fois de distance critique vis-à-vis des outils du management et de leurs effets de mode, et de curiosité intellectuelle. Au demeurant, elles leur confient d’emblée des fonctions de responsabilité : nous n’observons pratiquement jamais de pratiques de type « stage photocopieuse » – c’était d’ailleurs déjà le cas du temps des stages de fin d’études.
C’est pourquoi nous voulons laisser à nos étudiants le temps de réfléchir, pouvoir leur dire en quelque sorte : « c’est votre dernière année d’études, faites-vous plaisir ». Loin que cela nuise à leur efficacité professionnelle à venir, nous pensons qu’un bon directeur des ressources humaines (DRH) doit être à la fois juriste, économiste, gestionnaire et sociologue, et rester critique vis-à-vis d’outils de gestion qui ne sont en soi ni bons ni mauvais, mais réclament un usage distancié. Aussi encourageons-nous nos jeunes à s’en saisir, à « mettre les mains dans le cambouis » pour pouvoir réfléchir efficacement à leur amélioration. Encore une fois, les entreprises d’accueil n’attendent pas que nous leur fournissions des « moutons sages » mais bien des futurs responsables capables de prendre des décisions éclairées.

À cela s’ajoute le fait que figurent chaque année dans nos promotions deux ou trois salariés en formation continue (parfois au titre d’une VAE, validation des acquis de l’expérience) qui eux ont soif de théorie. Réciproquement, nous observons que la pratique de l’alternance fait gagner nos jeunes en maturité, qu’elle les rapproche du profil de salariés en formation continue, appuyés sur une pratique professionnelle à laquelle ils peuvent constamment se référer en cours de cursus.

 

Qu’en est-il à ce propos de vos étudiants, de leurs profils, de leurs attentes, de leur devenir ?

Le recrutement du Master a toujours recherché la diversité des profils. Il est ouvert depuis l’origine à des étudiants issus de filières variées : droit, économie, gestion, sociologie, psychologie… Leurs parcours aussi sont différenciés : la majorité vient toujours d’une première année de Master, suivie à Paris I ou ailleurs, mais nous accueillons plus fréquemment qu’autrefois des étudiants sortant d’une année de césure (souvent passée à l’étranger), ou déjà titulaires d’un Master dans une autre spécialité. Sans oublier les quelques actifs expérimentés (parfois venus du service public de l’emploi) qui choisissent notre cursus pour monter en compétence ou se réorienter.

Quant aux attentes, j’observe que la vision qu’ont des métiers RH nos étudiants débutants se fait moins naïve au fil du temps : la simple motivation compassionnelle en faveur des métiers du « social » ou de la relation d’aide recule au profit d’une vision plus mûre, qui prend la mesure de la complexité du métier qui les attend et les conduira à devoir négocier aussi bien avec les salariés qu’avec la direction. Ils sont mieux conscients du fait qu’il ne sera pas possible de satisfaire tout le monde, qu’il faudra «être au service de, sans être servile ».
Il me semble d’ailleurs que du côté des entreprises aussi, les attentes évoluent, avec au moins trois préoccupations montantes :

• La négociation : elles souhaitent pouvoir conduire au mieux, en s’appuyant sur des négociateurs bien formés, les multiples négociations périodiques auxquelles la loi les appelle ;
• Les risques psycho-sociaux, auxquels elles doivent apporter des réponses construites ;
• La confiance, une question désormais perçue comme cruciale en ce qu’elle commande la réussite de tous les projets dans une organisation.

 

 

À vous entendre, l’université est donc au total bien outillée pour former des DRH ?

Je suis persuadée qu’en effet, compte tenu de ce qu’elle attend de ses étudiants et plus largement de son niveau d’exigence, l’université peut former de très bons DRH. J’entends par là qu’il ne doit pas s’agir de former simplement de bons techniciens – ce qui relève plutôt à mon sens des filières Bac + 2/Bac+3 – mais de construire de réelles capacités à réfléchir, se projeter, anticiper, toutes dimensions où elle dispose des atouts requis pour armer ses étudiants.

Dans la pratique, cela ne va bien sûr pas sans obstacles ni problèmes ; outre la question lancinante des moyens, l’un des principaux est à mon sens l’absence de reconnaissance statutaire, dans le métier et la carrière des enseignants, des compétences et responsabilités d’animation, d’orientation

 

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Socio-économiste, Jean-Louis Dayan a mené continûment de front durant sa vie professionnelle enseignement, étude, recherche et expertise dans le champ des politiques du travail, de l’emploi et de la formation. Participant à des cabinets du ministre du travail, en charge des questions d’emploi au Conseil d’analyse Stratégique, directeur du Centre d’Etudes de l’Emploi… Je poursuis mes activités de réflexion, de lectures et de rédaction dans le même champ comme responsable de Metis.