par Denis Pennel
Denis Pennel.
Directeur général de la fédération européenne des employeurs du travail temporaire (Eurociett), Denis Pennel est également l’auteur du livre
Travailler pour Soi : quel avenir pour le travail à l’heure de la révolution individualiste dont Metis a rendu compte. il est par ailleurs rédacteur du rapport de Génération Libre, texte qui s’est invité dans le débat français sur la réforme du droit du travail. Il nous livre ici ses principales pistes pour le droit du travail du futur.
L’emploi vit moins une crise qu’une révolution. « Ubérisation » du marché du travail, fragmentation des modes de production et émergence d’une « entreprise éclatée », individualisation de la relation d’emploi : une nouvelle réalité du travail est en passe d’advenir, caractérisée par la fin de son unité de temps, de lieu et d’action. Avec pour conséquence le développement de nouvelles formes de travail, en dehors du salariat. À une relation de travail basée sur le salariat et la subordination va se substituer de plus en plus une prestation de service effectuée par des travailleurs indépendants.
Pour que le droit du travail continue de répondre à son double objectif – protéger tous les travailleurs tout en favorisant le développement de l’activité économique et donc de l’emploi – il est impératif de l’adapter à l’émergence de la société post-salariale et à la fin d’un modèle prédominant, le CDI à temps plein défini comme « la forme normale et générale d’emploi ». Le code du travail actuel, élaboré pour le modèle de l’usine fordiste, ne répond plus aujourd’hui aux besoins de l’économie du savoir et des services. Il est à la fois hypertrophié (on compte par exemple plus de 90 articles pour réglementer le CDD !) et incomplet, car il ne couvre pas le travail hors salariat.
Il faut donc prendre acte que le point culminant du salariat a été atteint en France, et d’engager une profonde refonte de la réglementation du travail en France, qui pourrait s’appuyer sur trois idées force :
1. L’instauration d’un Droit de l’Actif couvrant tous les travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants, basé sur 15 principes intangibles;
2. La mise en place d’un Statut de l’Actif, détaillant les conditions de travail à travers des articles supplétifs et non normatifs ;
3. Un renversement de la hiérarchie des normes entre loi et contrat, accordant la primauté à l’accord d’entreprise.
Droit de l’actif
L’hybridation croissante entre salariat et travail indépendant impose d’instaurer un droit du travail qui s’applique à toutes les formes d’activité professionnelle, salariée ou indépendante. Baptisé Droit de l’Actif, il regrouperait un socle de droits et principes fondamentaux inaliénables dont tout travailleur – salarié ou indépendant – doit pouvoir bénéficier. Ces principes se basent d’une part sur les conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) couvrant quatre domaines essentiels : l’abolition effective du travail des enfants, la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire et la suppression de la discrimination en matière d’emploi et de profession. D’autre part, les principes incluent les directives européennes que la France, en tant que membre de l’Union européenne (UE), doit obligatoirement transposer dans sa législation nationale, et qui portent sur les droits fondamentaux au travail tels que la durée du temps de travail ou la santé et la sécurité au travail. Un nouveau droit à la déconnexion est également incorporé, reflétant l’impact des nouvelles technologies sur la porosité croissante entre vie privée et vie professionnelle (invasion des e-mails, travail en réseau).
Ce socle de droits fondamentaux serait du ressort exclusif du législateur et ne pourrait pas faire l’objet de négociations de la part des partenaires sociaux dans leur formulation. Cette approche reprend celle de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen développée dans leur livre Le Travail et la Loi à la différence que ces principes couvriraient tous les actifs, salariés ou indépendants. C’est le reproche essentiel que l’on peut faire à la réflexion des deux auteurs : elle ne prend pas en compte l’essor du travail indépendant.
Statut de l’Actif
Suite à la création d’un Droit de l’Actif, regroupant les droits et principes fondamentaux qui s’appliquent à tout travailleur, le Code du Travail devra être revisité pour en alléger son contenu et déterminer ce qui sera désormais couvert par ce nouveau Droit de l’Actif. L’objectif est de passer au peigne fin les 3 000 pages et plus de 10 000 articles du Code du Travail afin de définir ce qui est du ressort du Droit de l’Actif, et dont la formulation doit rester simple et compréhensible par tous. Conséquence, un Statut de l’Actif se substituerait au Code du Travail, définissant un cadre général pour les conditions d’emploi et de travail de la personne au travail, qu’elle soit salariée ou indépendante. Allégé des principes fondamentaux désormais couverts par le Droit de l’Actif, le contenu du Statut de l’Actif apportera des précisions complémentaires sur la mise en œuvre des 15 articles du Droit de l’Actif et détaillera les modalités pratiques des conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de contrat, de temps et d’espace de travail mais aussi en terme de rémunération, de formation professionnelle, de litiges du travail et de rupture de contrat. Mais ces dispositions inscrites dans le Statut de l’Actif seront supplétives et non normatives.
Renversement de la hiérarchie des normes
L’instauration d’un Droit de l’Actif et la transformation du code du travail en Statut de l’Actif s’accompagneront d’un renversement de la hiérarchie des normes : c’est prioritairement au niveau de l’entreprise que seront définies, via la négociation entre les représentants des travailleurs et des employeurs, les conditions d’emploi et de travail. En dehors des normes sociales fondamentales définies dans le Droit de l’Actif, le principe sera celui de la liberté conventionnelle et du renvoi en priorité au dialogue social dans les entreprises, ou au niveau des branches professionnelles si le contenu des négociations le rend pertinent. Le droit conventionnel est en effet plus à même que le droit réglementaire de favoriser l’émergence de compromis permettant de concilier la protection des travailleurs et l’efficacité économique, tout en collant mieux aux réalités du terrain. Ceci étant, si aucun accord ne peut être conclu au sein de l’entreprise (ou de la branche professionnelle), alors les dispositions stipulées dans le Statut de l’Actif s’appliqueront.
L’idée d’un renversement de la hiérarchie des normes fait son chemin, puisqu’elle a été soutenue par les 3 rapports sur la nécessaire réforme du Code du travail publiés à la rentrée (Combrexelle, Institut de l’Entreprise et Terra Nova). Pour être efficace, cette réforme nécessite néanmoins deux conditions : une refondation des règles du dialogue social afin de redynamiser la négociation collective au sein de l’entreprise et un renforcement de la représentation des travailleurs.
Le renversement de la hiérarchie des normes ne pourra être efficace que si les partenaires sociaux s’approprient au niveau de l’entreprise les opportunités qui leur sont proposées. Une solution pour y arriver est de favoriser les accords majoritaires au sein de l’entreprise mais également de réduire la juridisation et la judiciarisation des relations sociales. Enfin, en instaurant une durée de vie maximale aux conventions collectives (entre 3 à 5 ans), les représentants de l’employeur et des travailleurs auront l’obligation de revenir de façon régulière à la table des négociations pour dialoguer.
Enfin, il est impératif de créer des nouveaux collectif nomades pour une population active dispersée et se situant en dehors du CDI. En effet, à quelques rares exceptions, CDD et intérimaires, sans parler des travailleurs indépendants, sont exclus des effectifs des syndicats. C’est pourquoi les syndicats doivent mettre en place des structures nouvelles qui favoriseront l’émergence d’une représentation spécifique pour les formes d’emploi atypique, car celles-ci ne rentrent pas dans le cadre sectoriel de l’organisation des syndicats.
L’évolution du droit du travail à la société post-salariale verra probablement le développement des formes de tiers employeurs : travail intérimaire, portage salarial, groupements d’employeurs, coopératives d’activités et d’emploi, prêt de main d’œuvre etc. En effet, dans un marché du travail de plus en plus complexe et volatile, où la notion d’emploi à vie n’existe plus, le recours à l’intermédiation via un tiers employeur permet de réintroduire de la sécurité et de la stabilité dans les parcours professionnels.
Il s’agit là d’une autre façon d’organiser une représentation plus large et plus moderne de tous les actifs. Cette intermédiation pourra dans certains cas se transformer en coopératives professionnelles, ayant vocation à accompagner l’actif tout au long de sa vie professionnelle, tout d’abord en le formant, puis en lui trouvant des opportunités de travailler, en défendant ses conditions de travail (ces structures se rétribuant généralement en fonction de la rémunération de l’actif, elles ont intérêt à obtenir le meilleur salaire possible pour la personne qu’elles veulent placer) et en lui procurant des filets de sécurité qui l’inciteront à rester. Dans la mesure où ils respectent les lois sur la libre-concurrence, ces nouvelles formes de coopératives professionnelles doivent être encouragées car elles répondent à la nécessité, sur un marché du travail devenu transitionnel, de combiner flexibilité et sécurité.
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