Dans la situation d’urgence économique et sociale qui est celle de la France et au-delà, de toute l’Europe, l’école est un enjeu central. En pistant le rôle de l’argent sous la forme d’euros sonnants et trébuchants dans de multiples aspects du système éducatif, à la manière d’un détective, Arnaud Parienty, dans son ouvrage School business comment l’argent dynamite le système éducatif, donne à voir de manière vivante et documentée le visage nouveau de l’école. En somme tout ce qui fait de l’égalité un vain mot !
Arnaud Parienty se sert de sa double expérience de professeur d’économie en ZEP pendant de longues années, puis dans l’un des lycées les plus réputés de Paris. On s’était habitué dans le monde des chercheurs et experts à des analyses « à la Bourdieu » : les mécanismes de reproduction sociale font que les enfants d’ouvriers et d’employés vont peu à l’université, les enfants de « parents issus de l’immigration » se voient majoritairement orientés vers l’enseignement professionnel et l’apprentissage même lorsqu’ils ne le veulent pas (voir Note France Stratégie, Favoriser l’insertion économique des jeunes issus de l’immigration, mars 2015). Tous ces mécanismes sont toujours à l’œuvre, mais s’y ajoute de plus en plus le poids massif et direct de l’argent. Ce livre raconte des histoires d’euros et de dollars, tout crûment…
La libre circulation des étudiants
Observer l’après-bac est riche d’enseignements maintenant que presque 80% d’une classe d’âge atteint ce niveau-là. Vous n’êtes pas assez bon pour « faire » médecine, dentaire ou kiné, ou simplement peu porté vers les efforts considérables qu’il vous faudra faire ? Il suffit pour 10 000 ou 30 000 euros par an de faire ce cursus en Roumanie (les premières années d’enseignement sont en français), en Espagne ou ailleurs. Devenir « pilote de ligne », une profession prestigieuse et rémunératrice qui demande une formation exigeante, c’est l’affaire de 82 000 euros au Canada ou en Belgique pour un cursus de 21 mois. Bien sûr tous les étudiants en médecine qui suivent ce parcours ne deviendront peut-être pas chef de clinique, mais tout le monde ne veut pas être chef !
Si vous choisissez de faire des études supérieures difficiles en classes préparatoires aux grandes écoles, ou d’entrer à Sciences Po, point de salut sans l’aide de Medisup, Ipesup ou autre, moyennant quelques chèques (10 000 euros par an à plus).
Mais si vous n’avez pas envie (ou la possibilité de) faire les classes prépas, alors les BBA (Bachelors of Business Administration) se proposent à vous : devenus le principal débouché des élèves des bacs ES (Economie et Social), ce sont des formations en quatre ans en Ecoles de commerce accessibles directement après le bac sur concours communs et entretiens. C’est juste très cher : 12 000 euros de frais de scolarité annuels auxquels s’ajoutent les frais de logement, de transport et autres. S’y ajoutent aussi les frais à engager pour effectuer une partie des cursus (tracks) à l’étranger qui attirent beaucoup et sont ensuite très valorisés sur les CV, Singapour pour l’ESSEC qui y a installé un campus, ou San Francisco.
Idem pour les Ecoles d’ingénieur post-bac qui sont nombreuses maintenant. Se développent ainsi, contrairement au discours égalitaire et méritocratique qui reste de mise, des filières faiblement liées aux résultats scolaires mais fortement liées à la « capacité contributive » de papa et maman, et offrant de belles carrières ensuite.
Ecoles privées et petits cours
Pour l’enseignement secondaire, le constat est vite fait : les établissements privés sont devenus les meilleurs : parmi les 156 lycées ayant obtenu 100% de réussite au bac, 143 sont privés. Leur succès reste important si l’on quantifie la « valeur ajoutée » des établissements. Une bonne méthode mise au point par l’Education Nationale pour mesurer les résultats en les rapportant aux caractéristiques des élèves qu’ils accueillent. Pour cause de nombre d’élèves par classe, de possibilités d’innovations et de méthodes pédagogiques.
On pourrait aussi parler de l’envolée des loyers et des prix du mètre carré aux abords des « établissements réputés ». L’auteur a analysé les sites d’annonces immobilières pour conclure à « la loi d’airain de l’adresse ». Tout est bon, du classique certificat d’hébergement à la boîte à lettres avec ré-expédition du courrier. « Un studio à proximité du Lycée Héléne Boucher à Paris revient à 20% de plus que dans le reste du 20° arrondissement ». Mais il semble que le ministère soit devenu vigilant sur les tricheries.
On pourrait aussi parler du marché du soutien scolaire, sujet sensible puisqu’il implique bon nombre d’enseignants. Il est en phase d’industrialisation au travers d’entreprises florissantes (Acadomia, Complétude et dès la maternelle, les minischools) et maintenant d’entreprises en ligne. 38% des élèves de 15 ans suivent des « petits cours » de maths! Le total représenterait 40 millions d’heures ! (Note du Centre d’Analyse Stratégique n° 315, janvier 2013). Des millions d’heures financées par des exonérations fiscales…Rien de plus facile que d’obtenir des exercices corrigés ou des dissertations toutes prêtes sur Internet, on peut même payer par SMS surtaxés pour les ados. Ni vus ni connus…
L’enseignement est un business, et ce n’est pas juste une métaphore critique ! Arnaud Parienty en a recherché les acteurs : massivement des fonds d’investissement, du type de ceux qui investissent dans les maisons de retraite, parfois ce sont les mêmes. IONIS : une vingtaine d’écoles ; STUDIALIS ; PIGIER, une marque connue, compte 28 écoles. Certains de ces groupes ont une dimension internationale et comptent des établissements dans de nombreux pays. On apprend aussi dans ce livre comment Singapour ou Dubaï comptent devenir des « hubs éducatifs » et lucratifs pour le monde entier…
Les établissements publics ne sont pas en reste : les frais de scolarité s’envolent dans bon nombre d’entre eux. A tous les niveaux : passer l’agrégation ou devenir aide-soignante peut coûter très cher. De très nombreuses familles des classes moyennes se trouvent ainsi prises au dépourvu lorsque les enfants grandissent alors qu’elles sont très impliquées dans l’éducation de leurs jeunes. De quoi nourrir de forts ressentiments. Et plus encore lorsque les mêmes familles sont chassées des centres-villes par les prix de l’immobilier. « Elles vivaient sur l’image de l’Ecole de Jules Ferry » – les ministres aussi, apparemment !
Pour en savoir plus
Lisez ce livre fait de récits, d’exemples et d’analyses précises et chiffrées : certes pour reprendre les propos de l’auteur, « il est difficile de construire une école égalitaire dans une société qui ne l’est pas ». Mais les pistes peuvent être nombreuses si la société choisit de parier sur sa jeunesse, toute sa jeunesse.
Arnaud Parienty : School business, comment l’argent dynamite le système éducatif, Editions La Découverte, 2015
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