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« Le rôle du management est de créer les conditions à l’épanouissement des femmes et des hommes dans l’entreprise pour créer de la performance économique, sociale et sociétale ». Oui mais comment ? Entretien avec un homme de terrain et d’expérience, Pierre Deheunynck. Ayant récemment intégré ENGIE en vue de devenir à l’été DGA en charge des ressources humaines, il éclaire aujourd’hui le rôle clé du manager, analyse les pratiques et comportements managériaux dans un environnement en mutation et propre à chaque entreprise.

 

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Comment s’est construite votre vision du management ?

J’ai commencé mon parcours dans l’industrie lourde, au sein d’une unité de production de verre chez BSN. Cette première expérience a contribué à éclairer ma vision du management. Le poids des statuts, le nombre de niveaux hiérarchiques ou encore la répartition des compétences dans l’organisation m’avait questionné. Je n’avais pas pour mission de proposer une organisation alternative à ce modèle traditionnel, cependant, cette organisation me semblait lourde, séquencée, peu collective.

 

Pouvait-elle produire le meilleur niveau de performance et d’engagement individuel ?

L’autre dimension du management qui m’avait interrogé était relative à l’échange. La crise énergétique des années 80 et l’évolution du coût de l’énergie nécessitait de faire évoluer le modèle économique, pourtant les managers de premiers niveaux ou les opérateurs étaient assez peu associés aux débats, qu’il s’agisse du partage du nouveau contexte économique et du changement de modèle économique que ceci imposait pour rester compétitif face aux concurrents des pays en développement.

Comment peut-on partager un changement de modèle profond avec les conséquences associées en matière d’emploi, d’organisation de travail, de performance économique si nous ne partageons pas avec les parties prenantes, managers, représentants du personnel, salariés l’analyse et les informations dont la Direction dispose.

 

Comment obtenir l’engagement des équipes ?

Différents travaux et expérimentations m’ont amené à observer que quatre conditions principales permettent l’engagement :

– La vision, la compréhension des messages et de la stratégie de la direction
– La participation, l’appartenance à une communauté
– La reconnaissance (reward en Anglais), qui n’est pas seulement financière
– Le plaisir « fun » qui est aussi la synthèse des précédents points
Lorsque ces quatre critères sont observés dans une organisation, alors, l’engagement des salariés permet de faire « l’extra mile » !
C’est exactement ce que nous observons dans les entreprises de type « start up » ou entrepreneuriales, les salariés appréhendent plus globalement les enjeux, qu’ils soient liés aux clients, à la concurrence, à l’équation économique…. ce qui induit une culture différente de celle des grandes entreprises. L’appropriation de la stratégie, l’appréhension du rôle que chaque acteur de l’entreprise joue pour y contribuer, la reconnaissance qui en découle, tout ceci participe à l’engagement individuel et in fine à la performance collective.


Que pensez-vous de l’entreprise libérée ?

Les ingrédients qui font le succès de ces entreprises sont si particuliers qu’il est difficile d’imaginer que le modèle puisse être facilement dupliqué ou constituer même un modèle d’organisation des entreprises. Ce qui m’intéresse dans ces entreprises, c’est la notion de responsabilité. Elle est partagée et n’est pas concentrée autour d’un groupe restreint de managers. Ceci crée de la performance durable en ce sens que tous les acteurs de l’entreprise y contribue et pas seulement quelques-uns.

 

Comment le management peut-il évoluer pour s’adapter aux organisations actuelles ?

Antoine Riboud dans un rapport au Premier Ministre « Modernisation, mode d’emploi », décrivait les clés de la performance durable, celle qui profite à tous les acteurs de l’entreprise, actionnaires, dirigeants, salariés, clients.

A partir d’études managériales et d’organisation, j’ai participé à construire un modèle basé sur l’observation de Business Units (BU). Toutes n’étaient pas performantes ou durablement performantes.
Nous avions constaté que les BU performantes étaient inclusives de 5 éléments clés, tous de la responsabilité du management :
– L’existence d’une vision claire, la direction à suivre par la communauté des salariés
– La compréhension de l’organisation et l’existence de processus connus de tous
– Un lien constitutif de la cohésion de tous les salariés de la communauté, autrement dit une culture commune, forte et différentiante
– Une équipe de Direction diversifiée et complémentaire
– Un alignement de tous les acteurs, c’est-à-dire la capacité à participer à la décision puis l’adhésion quel qu’en soit le résultat.
Lorsqu’un seul des éléments était absent, la performance du management s’en trouvait affectée.
Cependant je ne crois pas au modèle unique. Chaque entreprise est constituée d’une histoire, d’une culture propre. Son produit ou service est dépendant d’un marché, de la concurrence. Ses clients et leurs attentes sont différents. Il est donc nécessaire que chaque entreprise définisse son propre modèle prenant en compte son écosystème.
Celui-ci doit d’ailleurs évoluer avec le temps, pour tenir compte de l’évolution de l’environnement qu’il s’agisse des concurrents, des attentes clients…
Il n’en demeure pas moins que subsistent à toutes ces entreprises qui « surperforment leur secteur », des pratiques et comportements managériaux, décrits plus hauts qui créent les conditions de l’engagement individuel et collectif et participent ainsi à la performance.

 

Créer les conditions de la performance et attendre les résultats…
Sur chacun des secteurs de l’économie, des entreprises battent leur concurrence, pourtant, elles partagent les mêmes clients, souvent les mêmes technologies, les mêmes systèmes d’information et sont soumises aux mêmes réglementations.
La différence est faite par le management qui a su définir 1) une stratégie en associant le plus grand nombre des salariés, 2) donner les moyens de réaliser les objectifs avec une organisation compréhensible et des processus maîtrisés par tous, 3) créer du lien entre toutes les parties prenantes, une culture forte et inclusive, 4) recruter une équipe diversifiée et complémentaire, 5) aligner l’intérêt des parties prenantes.
La complexité extrême de la fonction de manager réside dans la gestion de l’incertitude, il tente d’imaginer le futur, c’est impossible, tout bouge sans cesse. Il lui faut donc construire des organisations agiles et adaptables
Le manager performant va prêter autant l’attention à la façon d’atteindre le résultat qu’au résultat lui-même.

 

Existe-t-il une bonne façon de former les managers ?

La question est difficile, les managers doivent-ils être détenteurs d’expertises, de compétences métiers, ou attendons-nous d’eux qu’ils soient les animateurs des communautés de managers pour atteindre les résultats fixés par la Direction Générale ?

Je ne crois pas qu’il faille opposer ces compétences, la connaissance et l’expertise permettent à chacun de s’adapter, d’évoluer, de délivrer. Lorsqu’il s’agit de manager, une équipe, il faut associer, accompagner, développer, partager, décider, récompenser… C’est bien l’association de compétences et de comportements qui produit le manager performant. La formation qui m’apparaît la plus adaptée est celle qui créera les débats et la confrontation, le frottement entre les acteurs, l’échange d’expériences. C’est donc nécessairement un processus de formation et de développement personnel continu et tout au long de la carrière.
Existe-t-il des indicateurs pour mesurer la qualité du management ?
Le premier de tous m’apparaît être la performance économique de l’entreprise. Quelle serait l’utilité d’un manager qui ne délivre pas de performance économique. Mais, elle ne suffit pas, la performance doit aussi être sociale et sociétale.
Les indicateurs d’engagements et de performance qui consistent à interroger les salariés régulièrement donnent une bonne lecture de la performance managériale, pas dans un format spot mais en dynamique.

 

Pour en savoir plus

Pierre Deheunynck est, depuis le 1er février, nommé Directeur Adjoint à la Direction des Ressources Humaines du groupe ENGIE. A l’été 2016, il deviendra Directeur Général Adjoint en charge des Ressources Humaines du groupe. Depuis 2009, il était Directeur des Ressources Humaines du groupe Crédit Agricole.

 

 

 

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Fanny Barbier, éditrice associée au sein de la Smart Factory d’Entreprise&Personnel (réseau associatif qui mobilise, au service de ses adhérents, les expertises de consultants RH et la recherche en sciences humaines). Elle étudie en quoi les évolutions de la société ont un impact sur le travail et les organisations et propose des pistes pour la transformation heureuse de ces évolutions au sein des entreprises. Elle dirige le service de veille et recherches documentaires d’E&P. Elle a co-créé et animé des think tanks internes au sein d’E&P, BPI group et Garon Bonvalot et publié de nombreux ouvrages et articles sur le travail et le couple travail/société.