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Comme chaque année depuis 4 ans, la Commission européenne a publié en septembre 2015 sous le titre « Education and Training Monitor 2015 » son analyse de la mise en oeuvre de la politique européenne de l’éducation et les recommandations formulées à l’égard de chacun des pays. C’est un véritable panorama des systèmes et des politiques d’éducation et de formation en Europe en 2015. En voici les principales conclusions.

 

4ecole

Un instrument essentiel de cette analyse est l’examen des performances de l’ensemble des pays vis à vis de six cibles majeures fixées pour l’horizon 2020 qui concernent les sorties sans qualification, l’accès à l’enseignement supérieur, la préscolarisation des enfants, les performances des élèves à la fin du premier cycle du secondaire, le taux d’emploi des jeunes (20-34 ans), et enfin l’accès à la formation continue des adultes. Un intérêt majeur de cette analyse est d’avoir ventilé les résultats de chaque pays selon les niveaux socio-économiques.

Au total, cela donne :

– la part des 18-24 ans peu ou pas qualifiés n’ayant bénéficié d’aucune formation formelle ou non-formelle dans les 4 semaines précédant l’enquête (nommés de façon discutable « early school leavers » ce qui correspond à nos « décrocheurs ») : cible au plus 10 % en 2020, moyenne 11,1 % en 2015 contre 13,4 % en 2011
– la part des 30-34 ans diplômés de l’enseignement supérieur : cible 40 %, moyenne 37,9 % (34,8 % en 2011)
– la part des enfants entre 4 ans et l’âge de la scolarité obligatoire : cible 95 %, moyenne 93,9 % en 2013 comme en 2012 (92,9 % en 2010)
– la part des 15 ans en dessous du niveau 2 de l’enquête PISA (en 2012): cible 15 %, moyennes : 17,8 % en lecture (19,7 % en 2010), 22,1 % en mathématiques (22,3 % en 2010) et 16,6 % en sciences (17,8 % en 2010)
– le taux d’emploi des 20-34 ans ayant acquis une qualification de niveau moyen ou supérieur dans les trois dernières années : cible 82 %, moyenne 76,1 % (77,1 % en 2011)
– la part des 25-64 ans ayant bénéficié d’une formation formelle ou non dans les 4 semaines précédant l’enquête : cible 15%, moyenne 10,7% (8,9% en 2011)

Ces données montrent que les performances moyennes de l’ensemble des pays s’améliorent quoique très lentement dans la plupart des domaines, à l’exception notable du taux d’emploi des jeunes de 20 à 34 ans qui recule. On reste cependant très loin des objectifs en ce qui concerne la formation continue des adultes, et le niveau des jeunes en mathématiques. À l’inverse, l’accès à l’enseignement supérieur continue à se développer rapidement et la cible devrait être atteinte avant 2020.

Mais le rapport 2015 exprime d’autres inquiétudes. L’investissement dans l’éducation recule et l’on observe des coupes répétées depuis 3 ans dans le budget de 7 pays (Pays-Bas, Finlande, Italie, Portugal, Espagne, Irlande et Royaume-Uni). Les systèmes éducatifs ne parviennent pas à enrayer les inégalités sociales : dans aucun pays le taux de décrocheurs parmi les jeunes issus de statuts socio-économiques défavorisés ne se situe au dessous de 15 % et les performances de ces jeunes sont particulièrement basses dans six pays (Bulgarie, Chypre, Roumanie, Grèce, Slovaquie et Hongrie). La plupart des adultes qui ont reçu une qualification insuffisante sont cantonnés dans des métiers ou occupations de faible niveau de qualité et n’ont pas la capacité à améliorer leur carrière ni la motivation pour entreprendre une formation continue ; le rapport parle d’une « trappe à basses qualifications » (low-skills trap).

Trois orientations devraient permettre de promouvoir une éducation plus inclusive : l’éducation et les soins apportés à la petite enfance (early childhood education and care), notamment par le biais de l’éducation préscolaire et scolaire avec un accent plus fort sur l’enseignement des langues vivantes, la formation des enseignants, et le renforcement des passerelles entre les différents modes et niveaux d’éducation et de formation, ainsi qu’entre la formation des adultes et le marché du travail. Il importe aussi d’améliorer la qualité de la formation professionnelle notamment en combinant les apprentissages à l’école et sur le lieu de travail, y compris dans l’enseignement supérieur. Par ailleurs, l’élaboration et le développement des politiques de l’éducation devraient s’appuyer plus fortement sur les preuves (evidence based policies, c’est à dire des politiques fondées sur les résultats de la recherche, les expérimentations, des indicateurs pertinents …) et sur les apprentissages mutuels. Enfin, la Commission engage les États membres à repenser leurs interventions en matière de formation des adultes avec l’objectif d’en améliorer l’accès et les performances.

Lien formation initiale/emploi : les succès de l’alternance

Un des grands intérêts du rapport réside dans la considération des interactions du système éducatif avec le marché du travail. Un des tableaux particulièrement instructif donne les taux d’emploi des diplômés récents (un à trois ans avant l’enquête) en 2008 et en 2014. C’est ainsi qu’entre ces deux dates, tandis qu’il baissait de 82 % à 76 % en moyenne européenne, il chutait de 24 points (68 % à 44 %) en Grèce, de 20 points (65 % à 45 %) en Italie, de 18 points en Roumanie et de 17 points en Croatie et à Chypre. Il restait stable voire en légère augmentation en Suède, au Royaume-Uni, et en Lituanie, et il grimpait de plus de trois points (86,5 % à 90 %) en Allemagne. Et dans ce contexte, les plus qualifiés ont moins souffert que les moyennement qualifiés (et probablement que les peu qualifiés mais qui n’apparaissent pas dans ce tableau), mais l’écart entre les taux observés dans ces deux catégories s’est accru considérablement particulièrement en Bulgarie, en Irlande, en Croatie, à Chypre et en Lettonie, tandis qu’il restait stable en France, en Finlande, en Suède et au Royaume-Uni et même qu’il diminuait en Allemagne, en Autriche et au Luxembourg.

À propos des taux d’emploi

Un autre tableau compare les taux d’emploi en 2014 des 20-34 ans de niveau moyen de qualification (niveau ISCED ou CITE 3 ou 4, CAP, BEP ou Bac en France), selon qu’ils viennent de l’enseignement professionnel ou général. La comparaison est en faveur des titulaires d’une formation professionnelle dans tous les pays à l’exception du Portugal et de la République tchèque. L’avantage est particulièrement net en Allemagne, à Malte, aux Pays-Bas, en Estonie, en Hongrie, en Belgique, en Lettonie et en Bulgarie. Ce phénomène est sans relation avec l’importance prise par la formation professionnelle initiale au sein de l’enseignement secondaire, qui reste très variable selon les pays, allant d’un peu plus de 10 % à Malte et un peu moins de 30 % en Hongrie, jusqu’à plus de 60 % en Belgique et aux Pays-Bas.

Les systèmes éducatifs préparent-ils bien à l’emploi ?

En revanche, la part prise par les formations en apprentissage ou alternance au sein de la formation professionnelle initiale semble avoir une influence positive sur le taux d’emploi des titulaires d’une qualification de niveau moyen. C’est ainsi que les 7 pays où l’importance de l’apprentissage/alternance est le plus élevée (95 % au Danemark, 85 % en Allemagne, 70 % en Hongrie, plus de 40 % en République tchèque, en Slovaquie, en Autriche et au Royaume-Uni) se retrouvent dans les premiers rangs (1er pour l’Allemagne, 3ème pour l’Autriche, 5ème pour la République tchèque, 6ème pour le Danemark, 8ème pour le Royaume-Uni)… sur les 29 pays considérés.


Un regard sur la France et quelques grands voisins

Dans cet ensemble, les performances de la France sont plutôt modestes. Malgré une préscolarisation à 3 ans quasiment universelle, des dépenses publiques d’éducation qui restent élevées, et une série de réformes ambitieuses en cours, les résultats restent dans la moyenne de l’ensemble des pays. En même temps, les inégalités liées au statut socio-économique ont augmenté considérablement et les disparités régionales restent élevées. Comme le dit la Commission, trop de jeunes – en particulier parmi ceux issus de l’immigration – quittent l’école munis au mieux d’un bas niveau de qualification tandis que les perspectives que leur offre le marché du travail se sont considérablement détériorées. L’apprentissage a augmenté aux niveaux supérieurs tandis qu’il reste insuffisamment développé pour les bas niveaux. Enfin, les niveaux de littératie et de numératie sont parmi les plus bas d’Europe parmi les adultes faiblement qualifiés et parmi les plus âgés. Pour la Commission, la lutte contre le décrochage scolaire est la priorité.

Comparons ces enseignements avec les évaluations de quelques grands pays d’Europe, nouveaux ou anciens, voire ex-anciens : le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne et la Roumanie :

Le Royaume-Uni enregistre de bons résultats dans les domaines de l’éducation des enfants les plus jeunes, du développement de la culture numérique (informatique) à l’école (avec en particulier l’introduction dans le primaire du développement des compétences en matière de codage), de l’engagement des enseignants dans leur développement professionnel continu, de l’accès à l’enseignement supérieur et des développements de la formation continue des adultes. Les défis restent la préscolarisation avant 4 ans, l’amélioration de la littératie des 18-24 ans sortis avec la fin du premier cycle du secondaire pour tout bagage, la diminution sensible du décrochage scolaire, et le besoin de développer la formation professionnelle et technique dans l’enseignement supérieur.


En Allemagne
, les performances des élèves (dans les enquêtes PISA) continuent à s’améliorer, la cible 2020 fixée au plan national pour le décrochage scolaire a déjà été atteinte et la préscolarisation se développe. Le système dual de formation professionnelle continue à bien répondre aux besoins du marché du travail. Cependant des pénuries de personnels hautement qualifiés se font sentir dans certains secteurs et certaines régions. C’est pourquoi il est crucial d’améliorer encore les résultats de tous les étudiants quel que soit leur statut. Ceci passe en particulier par un effort accru dans le traitement des enfants les plus jeunes ainsi que dans la formation des moins qualifiés. Enfin, un défi majeur consiste dans l’éducation des réfugiés et leur préparation au marché du travail.

La Pologne exhibe un des plus faibles taux de décrochage ainsi que de sous qualification dans les compétences clefs. En même temps, les progrès ont été rapides dans l’accès à l’enseignement supérieur ainsi que dans l’éducation des plus jeunes enfants. Ces succès s’expliquent par les profonds changements entrepris dans la structure et les modalités d’organisation et de gestion du système éducatif, ainsi que dans les contenus des programmes. Il reste cependant plusieurs défis à relever : la qualité de l’éducation préscolaire particulièrement pour les moins de 3 ans, l’enseignement des compétences transversales, l’attractivité de l’enseignement et de la formation professionnels, et la pertinence de l’enseignement supérieur en regard des besoins du marché du travail. Par ailleurs, le faible niveau de participation des adultes à la formation continue ainsi que leur bas niveau de compétences particulièrement dans les domaines des technologies d’information et de communication restent des sources d’inquiétude.


Quant à la Roumanie
, elle enregistre une augmentation considérable de l’accès à l’enseignement supérieur, mais la décroissance de la scolarisation notamment parmi les groupes désavantagés risque d’enrayer cette hausse. Plusieurs stratégies ont été adoptées depuis 2014 concernant la formation tout au long de la vie, le décrochage scolaire, et l’enseignement supérieur, et des structures et mécanismes appropriés ont été mis en œuvre. Cela devrait permettre de traiter les problèmes tels que l’accroissement récent du décrochage scolaire à un niveau bien supérieur à la moyenne européenne, l’accès limité à l’éducation préscolaire particulièrement dans les zones rurales et pour les Roms, la participation des adultes à la formation continue qui est la plus basse dans toute l’Europe, et le faible niveau d’investissement public dans l’éducation.


En conclusion

L’article n’a donné à voir qu’un petit nombre des analyses développées dans ce rapport riche d’éléments susceptibles de nourrir la réflexion de nos gouvernants notamment quant aux solutions propres à améliorer le taux d’emploi des jeunes. Peut être aurait il donné lieu à de plus amples commentaires dans la presse s’il était publié également en langue française ? Il y aurait sans doute d’autres leçons à tirer, d’autres questions à se poser. De ce point de vue, on continue à s’étonner depuis plusieurs années de la présence intermittente d’un(e) secrétaire d’État – voire d’un ministre – capable de prendre ces sujets à bras le corps au sein du gouvernement français, alors même que la formation professionnelle et l’apprentissage ont fait l’objet de déclarations ambitieuses dont on se demande bien comment elles vont être mises en oeuvre.

 

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.