« Merci patron ! » est une comédie documentaire satirique de François Ruffin avec Jocelyne et Serge Klur, Bernard Arnault et quelques autres, dans leur propre rôle.
Samedi soir dans un cinéma du centre de Paris. La salle est comble. Les spectateurs applaudissent à tout rompre alors que défile le générique de fin de « Merci patron ! ». La machination montée et filmée par François Ruffin a fonctionné au delà de toutes les espérances. Les acteurs se sont surpassés. Bernard Arnault dans le rôle du clown blanc, élégant, sûr de lui, s’est fait rouler dans la farine. La famille Klur associée à François Ruffin a donné une version émouvante et intelligente de l’Auguste, faux benêt et vrai malicieux. Ils nous mettent dans la confidence de leurs stratagèmes. Le spectacle de ceux que le pouvoir et la prétention aveuglent au point de foncer tête baissée dans les pièges qui leur sont tendus est irrésistible.
La machination
Reprenons. Jocelyne et Serge Klur ont été licenciés de l’usine textile où ils travaillaient tous les deux et à qui LVMH a retiré la fabrication des vêtements pour homme. Plusieurs années ont passé et ni l’un ni l’autre n’a retrouvé du travail. Serge a beau être un bon jardinier et un bon bricoleur, les minima sociaux ne suffisent pas. La banque et l’huissier ont envoyé leur ultimatum. Il faut rembourser 25 000 € sinon c’est l’expulsion, la chute dont il sera impossible de se relever. Serge Klur le dit sans détour : autant tout faire sauter et disparaître. À moins que…
François Ruffin a créé il y a quelques années Fakir, « le journal fâché avec tout le monde ou presque ». Il a travaillé avec Daniel Mermet à France Inter pour l’émission « Là bas si j’y suis ». C’est un journaliste militant et facétieux. Au début de « Merci patron ! » il déclare œuvrer au dialogue et à la réconciliation entre patrons et ouvriers, entre riches et pauvres. Son T-shirt et sa voiture arborent le même slogan « I love Bernard ». Le ton est donné. Le sujet est sérieux, l’ironie mordante.
Au départ c’est à peine un stratagème. Bernard Arnault tient à son image et les Klur à leur maison. Il rembourse la dette et la presse ne saura rien de leur situation désespérée et des responsabilités de LVMH dans cette situation. Le mépris pour ces ouvriers qui demandent de l’aide est aussi abyssal qu’aveuglant. En partant du principe qu’avec un peu d’argent accordé comme on donne une aumône il est facile d’amadouer ces gens là, qu’en parlant « peuple » avec eux il possible de les mettre dans sa poche, les responsables de LVMH mettent le doigt dans un engrenage auquel ils ne comprennent rien. Bien des rebondissements plus tard – je laisse les spectateurs les découvrir – nous assistons à une victoire par KO. Le dernier piège tendu au secrétaire général du groupe est certainement le plus savoureux.
Nous rions de bon cœur au spectacle des puissants à qui des misérables donnent des coups de pied au derrière. « Merci patron ! » est totalement filmé dans le monde réel et traite d’un sujet grave. On pense néanmoins au couple jubilatoire du clown blanc et de l’Auguste qui nous fait rire pour mieux nous rappeler l’inanité des prétentions de ceux « qui se croient vêtus d’or et de pourpre ».
On pense aussi, dans un tout autre registre, à Cynthia Fleury. À ce qui gangrène les démocraties, la fascination pour le pouvoir, le narcissisme qui piège les individus, les procédures qui nous prennent pour des clones interchangeables plutôt que des sujets singuliers et irremplaçables. Elle oppose l’imagination, créatrice et éthique, qui permet de remplir l’obligation de l’engagement, le courage de celui qui « assume le fardeau et le devoir des cent tentatives, des cent tentations de la vie : il se risque continuellement lui-même, il joue le jeu dangereux » et est prêt à en payer le prix fût-il celui de la douleur. Et enfin la vis comica : « L’humour ne se résigne pas, il défie, il implique non seulement le triomphe du moi, mais encore du principe du plaisir qui trouve ainsi moyen de s’affirmer en dépit de réalités extérieures défavorables. » (Freud cité par Cynthia Fleury, voir article Metis de Fanny Barbier « Les irremplaçables »)
À malin, malin et demi
« Merci Patron ! » est un film étrange. Le scénario de la machination, l’intrigue, le suspens, la consistance et l’opposition des personnages, sont ceux d’une fiction. Pourtant ce qui est filmé, souvent en caméra cachée, s’est réellement produit. L’histoire est incroyable. Le ton est proche de la farce mais le stratagème a des effets réels. Il change la vie de la famille Klur et les change eux-mêmes. Le film développe un point de vue politique aussi facétieux que radical tout en s’en tenant à un cas particulier qui par principe ne peut pas être généralisé. Les organisations syndicales sont présentes dans le film, quelques personnalités politiques y font une apparition, mais la solution apportée à la détresse des Klur est éminemment individuelle.
Il faut prendre ce film comme il est. Il ne donne pas les clefs de nouvelles formes d’action ni une analyse documentée de la désindustrialisation dans le nord de la France. Derrière le jeu des protagonistes se cachent pourtant des leçons essentielles sur notre époque. La première est un impératif de respect absolu pour les perdants de l’histoire en cours. Ils ont plus besoin d’impertinence que de compassion. L’histoire de Jocelyne et Serge Klur mise en scène par François Ruffin, n’est pas l’histoire d’une revanche sociale ni une illustration de la résilience dont nous sommes censés faire preuve. C’est un conte qui rappelle qu’au delà des différences de position, des différences de richesse, nous sommes fondamentalement égaux. À l’oublier nous risquons d’être les dindons de la farce et de faire rire à notre détriment, pour le plus grand plaisir du public !
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