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par Gernot Mühge, Kathrin Filipiak, traduit de l’Anglais par Eva Quéméré

Quelle est la bonne approche pour conseiller les employés après un licenciement économique et les soutenir dans la recherche d’un nouvel emploi ? À la fin des années 1990 l’Allemagne ainsi que d’autres pays occidentaux ont commencé à réformer leurs politiques du marché du travail et leur système de protection sociale, pour aller vers des programmes privilégiant le retour au travail, y compris dans l’approche des « droits et devoirs » et de la recherche d’emploi.

Ainsi, l’allocation chômage a été de plus en plus liée à la volonté et à l’activité de recherche d’emploi, les « comportements déviants » étant sanctionnés. Cette idée d’ « activation » en faisant pression sur les chômeurs était l’ « image de marque » des réformes du marché du travail en Allemagne (Reis / Siebenhaar 2015). Par conséquent, un débat critique sur le paradigme d’activation dans la politique du marché du travail a immédiatement pris place avec le processus de réformes. Critiquant l’hypothèse de base de l’approche, son efficacité, ses conséquences sociales et ses répercutions sur le système d’emploi. D’autres approches de l’appui apporté aux des demandeurs d’emploi ont donc été introduites, soulignant l’extension de l’autonomie de l’individu (Bothfeld) et de la gamme des possibilités d’actions (Reis / Siebenhaar 2015), en particulier pour les travailleurs ayant perdu leur emploi en raison de restructurations. Ainsi, l’approche d’un « parcours social » (Kahn / Antonucci) a été introduite dans le débat, en tenant compte du choc psychologique déclenché par le licenciement (Kieselbach / Beelmann).

Pour ce groupe de chômeurs – victimes de restructurations d’entreprise – le droit du travail allemand a alors fournit un instrument particulier : les entreprises de transfert, Transfergesellschaft en allemand. Elles fournissent des services d’appui à la transition d’un emploi à l’autre par le conseil, la formation et le soutien à la recherche d’emploi. Ces services sont exploités par des sociétés d’outplacement privées. Le service de consultation, les activités de formation et les frais généraux sont financés par l’ancien employeur. Son cadre, la durée et les moyens à engager sont prévus dans un plan social entre le comité d’entreprise et l’employeur. Les travailleurs concernés reçoivent de une allocation du service public de l’emploi (Bundesagentur für Arbeit) au cours de leur passage dans la société de transfert, son montant correspond aux prestations de chômage (voir Knuth / Mühge / Kirsch 2015 pour plus de détails).

Un vaste projet de recherche a examiné l’aide apportée aux salariés en transition vers un nouvel emploi après avoir été licenciés d’une entreprise de commerce de détail allemande, Praktiker AG. Cette entreprise, dont l’insolvabilité a été déclarée à l’été 2013, était l’un des leaders du marché dans le secteur du « do-it-yourself » allemand. Ainsi, 15 000 travailleurs de plus de 300 magasins de bricolage Praktiker dans toute l’Allemagne ont perdu leur emploi, 8 000 d’entre eux cotisaient à l’assurance sociale. Ces derniers ont pu passer par une société de transfert pendant trois à six mois, en fonction de leur ancienneté. Sur la base de données à la fois qualitatives et quantitatives cet article décrit brièvement les caractéristiques nécessaires à un conseil de qualité, approprié à la restructuration d’une entreprise. Il commence par quelques données sur le choc psychologique comme une condition préalable au processus d’accompagnement, suivi par des informations sur les différents besoins des demandeurs d’emploi après la restructuration et les types de conseils nécessaires. Enfin, cet article attirera l’attention sur les facteurs de succès pour des conseils appropriés.

En ce qui concerne le choc psychologique en raison de la situation de licenciement, nos données montrent que la perte d’emploi a un impact négatif important sur l’état émotionnel et la santé des travailleurs. Par exemple, sur la base de notre enquête, la « colère » était l’émotion prédominante des travailleurs concernés : environ deux tiers des travailleurs ont déclaré qu’ils se sentaient « très en colère » (49%) ou même « en colère » (17%), seulement 18 % se sentait totalement ou partiellement « équilibrés émotionnellement ». En outre, une comparaison entre les 300 magasins de la société montre que la qualité du management est un facteur significatif. Le niveau de l’équité dans la gestion de la crise, telle que perçue par les travailleurs, impacte à la fois l’état émotionnel et la santé : plus la gestion de l’information et le respect de l’équité par le management sont mis en œuvre au cours de la crise et meilleur sera l’état psychologique et physiologique des travailleurs. Ceci aura aussi un impact positif sur leur motivation dans la recherche d’emploi et sur leur optimisme en l’avenir. Par exemple, la figure 1 montre la relation entre un traitement équitable tel que perçu par les travailleurs licenciés et leur santé.

 

fig 1

En ce qui concerne la santé et la profondeur du choc due au licenciement, mais aussi selon les données structurelles (telles que l’âge, le sexe, le niveau de qualification, ancienneté, etc.), le conseiller en recherche d’emploi doit faire face à une grande variété de « clients » ayant alors chacun différents besoins, obstacles et chances sur le marché du travail. En plus du programme de recherche quantitative, des entrevues qualitatives ont été menées à la fois avec les participants et les consultants de sociétés de transfert. Le but de l’analyse qualitative a été l’identification des différentes stratégies d’adaptation ainsi que des différentes approches de conseil. Au niveau des participants, les résultats montrent que les réactions face à la perte d’emploi sont très différentes. Certaines personnes commencent à chercher un nouvel emploi tout de suite et montrent un haut niveau de recherche d’informations et une ouverture au changement, alors que d’autres personnes sont davantage paralysées par le licenciement. Ces dernières ont une vision négative de leurs compétences et de leurs capacités et montrent aussi une plus importante réticence au changement. Chose intéressante, les stratégies d’adaptation ne sont pas déterminées par la facilité d’accès au marché du travail. Même les gens qui sont très susceptibles de trouver un nouvel emploi peuvent être terrassées par l’expérience du chômage après une longue phase de précarité de l’emploi. Par conséquent, le choix des approches de conseil appropriées ne peut pas compter uniquement sur l’identification des exigences liées au marché du travail, mais doit aussi prendre en compte les indicateurs de stress individuels. Toutefois, ces stratégies ne reflètent que la réaction initiale face à la perte d’emploi, les attitudes peuvent changer lors du processus de recherche d’emploi.

Nous avons pu identifier deux approches différentes de l’accompagnement. La première peut être qualifiée de conseil socio-psychologique, où l’accent est mis sur l’appréhension de la perte d’emploi comme une expérience traumatique et comprend donc l’aide à l’autonomisation. L’hypothèse sous-jacente de cette approche est que le chômage est une question multidimensionnelle, qui affecte non seulement la situation économique des personnes, mais inclut aussi des difficultés personnelles ou familiales. Par conséquent, le processus d’orientation est similaire à une approche systémique où les problèmes personnels et les structures environnantes sont considérées comme étant interdépendants. La seconde approche est caractérisée par la responsabilisation et les structures d’incitations extérieures des participants. Cette dernière approche s’apparente à une stratégie de conseil, s’appuyant sur des transferts de connaissances et des techniques spécifiques. Elle peut être située dans la tradition des approches cognitivo-comportementales, où les techniques d’apprentissage par observation et stimulis externes sont habituelles.

Les gens qui sont affectés de façon moins négative par la perte d’emploi, et qui montrent un niveau élevé d’activité, bénéficient plutôt de la deuxième approche. Ils ont, en effet, besoin de conseils essentiellement stratégiques pour améliorer leurs méthodes de recherche, et de techniques pour passer les entretiens. Ils ont tendance à trouver l’approche de counseling redondante et parfois même inappropriée. D’autre part, les personnes plutôt traumatisées par l’expérience de la perte d’emploi ont besoin de conseils socio-psychologiques comme condition préalable à leur habilitation à participer au marché du travail. Pour une consultation réussie, il est essentiel d’identifier dès le départ les stratégies d’adaptation individuelles des participants et de les suivre tout au long du processus. Sur cette base, les consultants peuvent adapter leur approche en fonction des besoins spécifiques des participants.

Enfin, et pour revenir à notre programme de recherche quantitative, nous avons essayé de mesurer le niveau général de qualité du service et d’identifier les facteurs de réussite par des méthodes multi-facteurs. L’un des principaux indicateurs pour mesurer la qualité est la satisfaction individuelle des travailleurs vis-à-vis du service de transition « emploi-à-emploi » (64,9 % dans le cadre de Praktiker AG) et de leurs conseillers (69,4 %).

 

fig33

 

Environ deux tiers des travailleurs ont obtenu un nouvel emploi après être passés par la société de transfert et 25 % étaient restés au chômage. Étonnamment, nous n’avons pas pu mesurer une différence significative concernant la satisfaction individuelle selon leur situation sur le marché du travail. Les participants ayant eu un nouvel emploi sont aussi satisfaits du service que les travailleurs étant restés au chômage. Basé sur une analyse multi-facteurs d’un ensemble de variables d’influence, seul le nombre de consultations individuelles a eu un impact significatif sur la perception subjective de la qualité. En effet, la figure 3 montre la relation entre le nombre de consultations et l’indicateur de qualité : « Dans quelle mesure les consultations ont-elles été d’une aide importante après votre perte d’emploi ? ». Le résultat apparaît clairement : la perception de la qualité augmente rapidement avec le nombre de consultations.

 

fig 2

 

En conclusion, les travailleurs ayant perdu leur emploi après une restructuration apprécient un bon support de transition d’emploi-à-emploi, indépendamment de leur position sur le marché du travail, qui dépend d’un certain nombre de facteurs individuels et structurels. Une analyse plus approfondie des taux de satisfaction révèle que les chômeurs ont une grande motivation à accepter un nouvel emploi et sont conscients de leur employabilité sur le marché du travail local. Indépendamment de la question de savoir si les travailleurs souffrent d’un choc traumatique dû au licenciement ou non et en fonction de leur situation sociale individuelle, ils peuvent être caractérisés comme exigeants, actifs et sûrs d’eux. Leurs besoins sont différentiés et peuvent demander des conseils larges portant sur la qualification et la recherche d’emploi, ou encore une offre de conseils socio-psychologiques, où l’accent est mis sur la perte d’emploi comme expérience traumatique. Ils ont donc besoin de conseillers hautement motivés et sachant s’adapter.

 

Pour en savoir plus :

Gernot Mühge et Kathrin Filipiak sont chercheurs à Helex institut-Bochum qui mène des recherches en Allemagne sur l’emploi

 

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