Lorsque les premiers robots ont été installés en France, c’était dans les usines automobiles et dans des cages. Les systèmes de sécurité immobilisaient automatiquement le fonctionnement du robot en cas de détection d’une présence humaine dans la cage. Hommes et robots : tout les opposait, depuis la révolte des canuts à Lyon ou des Luddites dans le Nord de l’Angleterre, détruisant leurs machines pour préserver le travail humain. Or aujourd’hui, un changement majeur intervient à bas bruit : nous apprenons à travailler AVEC le robot ; nous passons d’une relation de substitution à une relation de complémentarité. Mais que se passe-t-il lorsque le robot sort de sa cage ?
Les canuts comme les Luddites ont mal fini : les premiers ont été emprisonnés ; les seconds ont été exécutés. Mais d’autres, avant eux, s’étaient déjà opposés à l’automatisation. Dans La Vie des douze César, Suétone nous montre l’empereur Vespasien, visitant l’atelier d’un grec et s’inquiétant des conséquences économiques de sa machine… qu’il décide donc de faire briser. De même, la construction du premier aqueduc fut un grand progrès pour Rome, mais alors qu’un quart des habitants de la ville travaillaient comme porteurs d’eau, son malheureux bâtisseur dû subir le courroux des foules. La notion de robot, qui apparaît dans les années 1920, n’a pas bonne presse. Le terme est dérivé du tchèque «robota », qui signifie « travail forcé ». Aujourd’hui comme hier, l’automatisation a du mal à se faire accepter…
Les robots en mutation, étendent leur sphère d’influence
Dans le cadre de son projet « Santé au travail en 2040 », qui vise à préfigurer les « modes et méthodes de production en 2040 et d’en tirer les enseignements en matière de santé et sécurité », l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) a organisé plusieurs ateliers de prospective. Ces ateliers permettent de repérer les lignes de continuité ou de discontinuité en structurant un dialogue (et une controverse) entre experts et praticiens. J’ai participé avec un vif intérêt à l’atelier intitulé « Dans un monde robotisé, quelle place pour le travail de l’homme ? », qui s’est tenu le 19 janvier 2016. Il s’est ouvert par une introduction des éléments de diagnostic déjà réunis par l’INRS et par une présentation méthodologique par François de Jouvenel (Futuribles).
Cet atelier a mis en évidence plusieurs évolutions de la présence des robots :
1. Des grandes entreprises aux PME : En 2015, le Boston Consulting Group (BCG) a publié une série de rapports consacrés au développement de la robotique avancée à l’échelle mondiale à l’horizon 2025 (voir les références à la fin de cet article, « pour aller plus loin »). La robotique « avancée » change la donne en fournissant des « équipements capables d’adopter un mode opératoire préprogrammé en fonction des données que leurs capteurs leur permettent d’acquérir et ce dans un environnement qui n’est pas parfaitement structuré et dans lequel leurs capacités d’acquisition des données lui permettent d’appréhender le positionnement des objets avec lesquels ou sur lesquels ils doivent intervenir ». Le BCG table sur une croissance annuelle de l’investissement de 10 % dans ce domaine, dans un contexte d’augmentation continue de la performance des équipements et d’une baisse significative de leur prix (plus de 20 % sur la période). Cette robotisation ne concernera plus seulement les plus grandes entreprises, mais s’étendra aussi aux PME. On entend désormais parler de « low-cost robots ».
2. Extension des secteurs industriels concernés : Les différents secteurs industriels seront inégalement touchés : ce sont les équipementiers de l’automobile et du transport, les fabricants de composants électriques et électroniques, et les producteurs de biens d’équipement industriels qui sont concernés au premier chef, puisqu’ils devraient concentrer 75 % des investissements en robotique. Ces investissements auront pour effet de faire baisser fortement les coûts unitaires de production et de relativiser fortement le poids du coût de la main d’œuvre dans le prix de revient du produit final. Selon le BCG, les compétitivités des différents pays seront fortement conditionnées par leur capacité à investir dans cette nouvelle révolution industrielle. La question des relocalisations d’activité pourrait prendre une nouvelle dimension dans un tel contexte.
Même un pays à fortes ressources en main d’œuvre, comme la Chine, fait résolument le choix de la robotisation de sa production industrielle : elle enregistre une augmentation de 50 % du nombre des robots installés entre 2013 et 2014, avec pour perspective d’être en 2017 le pays qui déploiera le plus de ces équipements. Foxconn, le principal fabricant des IPhone d’Apple en Chine, a annoncé son intention d’installer plus d’un million de robots dans ses usines. La question du devenir de la main d’œuvre disponible se pose dès lors avec une forte acuité dans ce pays où il n’existe pas de réel système de protection sociale (chômage, maladie, retraite) susceptible d’amortir au moins pendant une période transitoire la baisse du niveau d’emploi surtout si celle-ci devient structurelle.
3. Intrusion dans les services : C’est notamment le fruit de l’hybridation de la robotique avancée avec le développement de l’intelligence artificielle. La robotisation déborde du monde de l’industrie pour investir celui des services, dont on imaginait précisément qu’il pourrait accueillir une partie de la main d’œuvre dont l’industrie n’aura plus besoin. Dès aujourd’hui, un secteur comme l’aide à la personne (personnes handicapées et/ou âgées) est clairement identifié comme un domaine dans lequel des applications de robots d’assistance physique sont utilisées (avec un effet encore indéterminé sur l’emploi, mais espéré favorable en termes de prévention des risques professionnels). De même, des réflexions sont déjà en cours sur les possibilités de robotiser massivement les activités de la logistique (qui ne figure pas dans la liste des secteurs prioritaires identifiés par le BCG).
Les robots changent notre rapport à l’emploi et aux qualifications
Les robots restent-ils menaçants ? Absorbent-ils le travail (« le logiciel dévore le monde » s’exclamait Marc Andreesen) ? Jouent-ils contre l’emploi ? Ou au contraire, libèrent-ils des gains de productivité source de croissance et de développement d’activités nouvelles ? Les débats sur le lien entre robotisation et destruction d’emplois, lancés par le célèbre ouvrage d’Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, The Second Machine Age – Work, Progress, and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies (Norton, January 2014), continuent à faire rage. Je recommande sur ce point la lecture d’une bonne synthèse réalisée par « La Fabrique de l’Industrie » (voir références et lien dans la rubrique « pour aller plus loin »).
Deux économistes, Pierre Cahuc et Francis Kramarz, ont étudié les mouvements sur le marché du travail et indiquent dans leur rapport (De la Précarité à la Mobilité : Vers une Sécurité Sociale Professionnelle, 2 décembre 2004) qu’il y a en France, chaque jour, quelque 30.000 embauches, en grande majorité en contrat à durée déterminée et aussi 30.000 départs de l’emploi, départs s’effectuant dans des conditions souvent difficiles. Ce chiffre illustre bien la nature « schumpetérienne » du marché du travail, qui repose sur un phénomène de création destructrice permanent. Rapporté à la population en emploi, ce chiffre de 30.000 mouvements d’emploi quotidiens se traduit par un taux de rotation de 15%. C’est pourquoi ces auteurs indiquent qu’il y a quelque pertinence à invoquer une « loi des 15% » qui s’énoncerait de la manière suivante : à l’échelle d’une nation, chaque année environ 15% des emplois disparaissent et chaque année environ 15% d’emplois nouveaux apparaissent (Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le chômage : fatalité ou nécessité, Collection Champs, Flammarion, 2005). Cette compréhension du fonctionnement du marché du travail relativise la charge sensationnelle des prédictions mises en avant par les Cassandre de la robotisation : ainsi, en septembre 2013, un article de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, chercheurs à l’université d’Oxford, avait alerté le monde entier en affirmant que « 47 % de l’ensemble des emplois aux Etats-Unis » risquaient de disparaître d’ici à vingt ans à cause de l’automatisation. Les prévisions sur la France, réalisées par les cabinets Roland Berger et McKinsey, se fondent (bien imprudemment) sur les mêmes prémices. Si nous reprenons les 15% de Cahuc – Kramarz – Zylberberg, la période nécessaire pour recomposer 47% de l’emploi n’est même pas de 20 ans mais seulement d’à peine le cinquième ! La force de recomposition de Schumpeter est bien supérieure à celle des robots !
Comme évoqué plus haut, la baisse des coûts des robots permet le rapatriement de tout ou partie de chaînes de valeur industrielles autrefois délocalisées dans des pays à bas coûts de main d’oeuvre, ce que l’on appelle la «robocalisation», c’est-à-dire l’association de la robotisation à la relocalisation. Phénomène aujourd’hui limité, il pourrait prendre de l’ampleur si la baisse des coûts (acquisition et utilisation) des robots se poursuit. Le robot signé Rethink Robotics coûte 5,1 dollars de l’heure quand le coût du travail horaire dans l’industrie atteint 8,2 dollars en Pologne, 35,7 dollars aux Etats-Unis et 39,8 dollars en France, d’après les chiffres du Bureau of Labor Statistics portant sur l’année 2012 (« Le robot collaboratif, un collègue qui vous veut du bien », Journal du Net, 5 novembre 2014).
Sortis de leur cage, les robots ne détruisent pas des emplois mais des tâches. De ce fait, ils transforment le travail et l’emploi plus qu’ils ne les détruisent. Les créations d’emplois concerneront beaucoup moins des tâches d’exécution et bien davantage les activités de conception ou de maintenance (robotique, informatique, mécatronique, etc.). La montée en puissance de la robotique, de l’intelligence artificielle et du « machine learning » (algorithmes capables de s’améliorer sans intervention humaine) va entraîner la disparition de certains emplois, ou en tout cas la substitution d’emplois humains par des robots ou des logiciels… et la création d’emplois que nous ne connaissons pas aujourd’hui !
Comme toute innovation, c’est par la transformation des usages que les mutations opèrent. De grandes entreprises de services s’investissent dans la production de robots pour développer leurs usages en leur sein. Amazon a acheté la société Kiva Systems en 2012 pour 775 millions de dollars. Quelques années plus tard, les robots Kiva ont envahi les immenses entrepôts d’Amazon et l’entreprise réfléchit aussi à leur utilisation pour les livraisons, notamment pour résoudre la problématique des fameux « derniers kilomètres » (plateformes d’éclatement, drones, etc.). Google joue également un rôle important pour structurer un secteur de « nouvelle robotique ». Dans la seule année 2013, elle a acheté la société japonaise Schaft, un acteur clé de la robotique intelligente, puis Boston Dynamics, une société issue du MIT fondée en 1992 et connue pour les robots qu’elle conçoit pour la Darpa, le centre de recherche de l’armée américaine… et six autres entreprises de robotique.
Le débat anxiogène, catastrophiste et déterministe posé par les tenants des robots destructeurs nets d’emplois est mal posé pour deux raisons.
1. Il masque le fait que la France a totalement raté la révolution robotique. En matière de densité de robots industriels, la France ne se situe qu’au 11ème rang des 43 pays étudiés par l’IFR Statistical Department. Elle ne compte que 125 robots pour 10.000 salariés de l’industrie (chiffres pour 2014), un niveau très éloigné du recordman en la matière, la Corée du Sud, qui en compte presque quatre fois plus (437 pour le même nombre de travailleurs). Loin, aussi, de la performance de l’Allemagne (qui en affiche 282) ou de l’Italie (150). A l’inverse de ce que prétendent les Cassandre de l’automatisation, on constate que les pays les plus denses en robots, Corée, Allemagne, Japon, Suède, sont aussi ceux qui ont le mieux préservé, voire développé leur industrie.
2. Il réduit la problématique à ses aspects quantitatifs alors que l’enjeu est qualitatif : comment accompagner efficacement les salariés dans ce processus de destruction créatrice permanent, alors que les qualifications associées aux nouvelles tâches sont très différentes de celles des tâches qui disparaissent ? Didier Kayat, Directeur général délégué de l’entreprise Daher, l’a pointé avec force dans son article intitulé « La robotisation n’est pas l’ennemi de l’emploi » (Lettre de la DGE, juin 2015) : « L’un des enjeux majeurs est la formation des salariés car ils n’exercent plus le même métier. Chez Daher, les ouvriers programment, pilotent les robots par ordinateur et supervisent les processus. Ils ne font plus de tâches contraignantes et peuvent ainsi se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée comme la production de nos pièces. L’année dernière, sur un effectif de 8 600 salariés, un salarié sur deux est allé en formation. Ce qui a représenté plus de 85.000 heures. Cet investissement est indissociable de celui de la robotisation. Il est indispensable de former les salariés à ce nouvel environnement industriel ».
Sur ce plan, force est de constater, malheureusement, que les deux moteurs efficaces sont en panne : celui de l’Etat (les politiques de filières) comme celui de l’entreprise (la GPEC).
Les robots changent notre rapport au travail
Le robot ne remplace pas des « business process » mais vient s’y insérer. Par exemple, dans le process « recrutement », certaines phases sont d’ores et déjà robotisées (sollicitation de recrues potentielles, examen des CV rédigés sous une forme standardisée, etc.). Le robot poursuit son mode de développement originel : il remplace les tâches routinières, pénibles ou dangereuses. Mais il le fait de plus en plus aux côtés de l’homme, inséré dans le processus de travail.
Le robot sait de mieux en mieux se faire accepter. Il nous ressemble ; il est autonome ; il se coule dans notre environnement quotidien. Loin des êtres bioniques inquiétants, il est humanoïde. Les robots androïdes reproduisent l’apparence humaine en termes de couleur, matière, voix, mouvements. A l’hôpital, il tient le rôle d’un partenaire en imitant les gestes, les postures et en reproduisant la voix des patients. Le robot-majordome leur apporte leur café, leur prodigue des attentions et des soins, répond de mieux en mieux à leurs questions. On parle de « robotique conviviale ».
Cette collaboration est à l’origine du développement de la cobotique, terme créé en 1999 par deux professeurs à la Northwestern University, Edward Colgate et Michael Peshkin. Wikipédia nous précise qu’elle est « une branche émergente de la technologie, à l’interface de la cognitique et du facteur humain (comportement, décision, robustesse et contrôle de l’erreur), de la biomécanique (modélisation du comportement et de la dynamique des mouvements) et de la robotique (utilisation d’artefacts dans un but de production de comportements mécaniques fiables, précis et/ou répétitifs à des fins industrielles, de santé ou de convivialité).
Vis-à-vis du travail humain, le robot intervient de trois façons :
1. La substitution, mode privilégié durant le XXème siècle : le robot fait à la place de l’homme ; il le remplace.
2. Le complément : le robot effectue une partie des tâches que l’homme ne peut (veut ?) plus faire (voir l’exemple ci-dessus du recrutement).
3. La suppléance : le robot aide l’homme à faire ce qu’il continue à faire (durant une opération chirurgicale ou en contexte de télémédecine, le robot effectue l’opération en apportant des mouvements d’une précision et d’une durée dont l’être humain peut s’avérer incapable, mais le médecin pilote l’opération et continue d’en assumer la responsabilité).
L’extension actuelle de la robotisation repose sur les deux derniers modes, qui se développent dans de très nombreux secteurs d’activité. La France est restée à la traîne de cette mutation, sans doute pour des raisons technologiques. Mais je pense qu’il y a une seconde raison, moins citée mais tout aussi importante : la piètre réputation dont jouit le travail manuel en France. Le travail manuel étant fortement déconsidéré, on cherche surtout à l’éliminer, beaucoup moins à composer avec lui, à le soutenir…
La robotique sort de son univers contraint caractérisé par les 4 D : « dull, dirty, dumb, dangerous », qui qualifiaient les tâches ennuyeuses, sales, stupides et dangereuses, pour se couler dans notre quotidien. Comment se manifeste cette robotique d’assistance ? Dans l’assistance aux malades ou aux personnes âgées, les exosquelettes assistent en direct le geste de l’opérateur, en démultipliant ses capacités en termes d’efforts pour « manipuler » le patient. La même logique est appliquée en milieu industriel par des cobots qui manipulent avec sûreté et précision des pièces chaudes, lourdes ou encombrantes, ou au contraire trop petites pour être saisies naturellement avec la précision nécessaire, tout en s’adaptant aux caractéristiques de l’utilisateur.
En contrepartie de leurs apports indéniables, les deux derniers modes posent des problèmes inédits, par exemple celui de la dépendance : si le robot tombe en panne, le médecin prendra-t-il le risque d’opérer et dans l’affirmative, en a-t-il toujours la capacité ? Autre problème nouveau, celui de la responsabilité juridique : lorsque l’on programme la voiture automatique à réagir face à la perte de contrôle de sa trajectoire, faut-il préférer écraser plusieurs piétons ou s’écraser sur un mur en tuant ses passagers ? Pierre-Yves Oudeyer, directeur de recherche à l’INRIA, met l’accent sur le risque de voir « le lien social introduit grâce au robot contribuer à réduire encore le lien social effectif avec les autres humains, et donc à renforcer à moyen terme, l’isolement social des sujets concernés » (« Robotique : les grands défis à venir », Futuribles, No 399, avril 2014). Il nous faudra sans doute une éthique des robots. Enfin, le problème de la cybercriminalité : qui dit robot connecté dit cible pour les hackers.
Quels seront les apports des robots en matière de conditions de travail ? Les tâches à faible valeur ajoutée, répétitives, dangereuses et pénibles continueront à être fortement diminuées, prises en charge par les robots pour la production industrielle, les imprimantes 3D pour la fabrication de prototypes et les avatars pour la production servicielle. La mise en œuvre des cobots favorise une diminution de l’absentéisme résultant des TMS (troubles musculo-squelettiques) consécutifs à certaines tâches répétitives exécutées par les salariés (voir par exemple l’industrie agro-alimentaire). Son apport est avant tout ergonomique car si l’opérateur pilote le cobot, c’est ce dernier qui absorbe le poids des pièces, leur température, leur vibration, et bloque tout mouvement potentiellement dangereux.
Elle permet ainsi de revaloriser certains postes ou métiers. Un membre de l’IRT Jules Verne donne un exemple : « Grâce aux cobots, les opérateurs pourront se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée. Un soudeur ne perdra plus 70% de son temps à préparer son matériel et le métier de soudeur deviendra celui de coboticien-soudeur » (« La cobotique : grande vedette du salon Innorobo », Industrie et technologies, 6 juillet 2015).
Mais en contrepartie, le travail humain, celui qui résiste à l’automatisation, devient de plus en plus cognitif… tellement cognitif, subjectif, émotif et relationnel qu’il ne se détache plus de moi : mon travail, c’est moi. Les phénomènes de saturation, voire de surmenage, d’intensification du travail, peuvent s’en trouver renforcés.
Les cobots sont moins contraignants, moins chers et plus intuitifs d’utilisation (simplicité et rapidité de programmation), plus versatiles (capacité à changer de poste de travail rapidement) que leur ancêtre le robot industriel. Ils contribuent ainsi à l’automatisation dans les PME. Flexibles, ils permettent également d’aller plus loin dans la personnalisation des produits, de plus en plus demandée par les consommateurs. Ils s’adaptent bien aux environnements organisationnels qui se développent le plus, la « mass-customization » (production de masse à la demande). Ils pourraient ainsi casser les organisations taylorienne et donner place à l’enrichissement du travail. L’humanisation des machines serait-elle la réponse à la machinisation des hommes ?
Comme la plupart des technologies, la robotisation est entrée d’abord dans la grande entreprise industrielle, puis dans les PME, et atteindra ensuite la maison. La convergence entre la robotique, les assistants cobots et la domotique ouvre de nombreuses perspectives. Vous aussi, vous adopterez bientôt votre premier robot domestique…
Dans ce nouvel environnement, j’apprends naturellement mon travail à mon robot. Sur un bras robotique tel que l’Universal Robots UR5 ou le Baxter de Rethink Robotics, « l’opérateur programme son nouveau compagnon en le prenant par la main. Littéralement. Il lui montre les mouvements à accomplir. Le robot mémorise les points de passage, les actions à faire. Il est immédiatement opérationnel. Plus besoin de faire appel à un programmeur. Et comme un cobot peut facilement être déplacé et s’adapter à une nouvelle tâche, il est possible de le changer de poste de travail, au gré des besoins » (« Adopter un robot collaboratif », Usine Nouvelle, 10 juillet 2014). Le robot apprenant peut ensuite, à son tour, transmettre son savoir, ses gestes et postures, aux hommes. On entrevoit ici quelques perspectives pour une révolution de la formation professionnelle : une formation sur le lieu de travail, en contexte de travail. On se forme avec nos robots.
Aujourd’hui les robots quittent l’usine – un lieu conçu pour eux – pour investir d’autres environnements de travail. Par exemple, des robots montés sur roues circulent dans l’hôpital pour apporter les médicaments aux médecins et aux infirmières. Deviendront-ils des machines apprenantes ? Qu’est ce qui fait que nous sommes prêts à les accueillir dans nos vies ? Probablement la dégradation des relations sociales, qui nous amène à ressentir déception et frustration dans les relations interpersonnelles que nous entretenons avec les humains. La ressource rare que nous recherchons est l’attention : la trouverons-nous auprès de ces machines ?
Le management intermédiaire jouera un rôle majeur dans l’acceptation, l’assimilation et l’appropriation des robots dans les entreprises. Comme l’a montré Denis Segrestin (Centre de sociologie des organisations), une condition essentielle de l’appropriation est la capacité de modifier les technologies qui font l’objet d’une mise en œuvre, de prendre la main sur les choix d’implantation. C’est au management de mettre à disposition des salariés les espaces de dialogue, les capacités d’accompagnement pour faciliter ces transitions.
L’INRS entrevoit « une rupture fondamentale dans le rapport de l’homme à la robotique. Il ne s’agirait plus de l’intervention d’un équipement de travail dans un contexte conçu par et (au moins théoriquement) pour l’homme et des conséquences de cette intervention pour la sécurité et la santé de cet homme, mais au contraire de la présence d’un homme dans un univers où il n’est plus forcément majoritaire numériquement et où la production n’est peut-être pas organisée en première instance en fonction de lui et de ses capacités. Toutes sortes de risques (et leur prévention) devraient être repensées en fonction de ce nouveau contexte ».
Ce scénario ressemble à « l’usine sans homme », plus probable que « l’entreprise sans usine », le rêve extravagant formulé en 2001, dans les vapeurs de la nouvelle économie par Serge Tchuruk, ancien président peu regretté d’Alcatel. Il peut se réaliser dans certaines productions de masse et répétitives mais il est peu probable qu’il se généralise. Quoi qu’il en soit, l’être humain est, et sera sans doute toujours, constamment aux commandes pour les décisions les plus importantes, directement, par des paroles ou des gestes ou indirectement, par la programmation des comportements lors de l’élaboration des robots.
Enfin, l’INRS pointe une tendance de fond : un travail plus isolé et commandé à distance. La robotisation et la commande à distance peuvent permettre d’éloigner l’opérateur du lieu de travail proprement dit. Cette faculté pourrait peut-être permettre par exemple l’industrialisation de réactions chimiques aujourd’hui proscrites en raison de leur dangerosité ou plus de souplesse dans la gestion des combustibles nucléaires. La télé-opération peut aussi permettre des relocalisations partielles, avec des emplois situés à des milliers de kilomètres des installations.
Mais à l’inverse de ce scénario, le robot pourrait aussi miser sur ses nouvelles capacités collaboratives pour aider les collectifs de travail à refonder la coopération sur des bases nouvelles (voir : « Travailler ensemble : pour une intelligence de la coopération » http://management-rse.com/2014/11/10/travailler-ensemble-pour-une-intelligence-de-la-cooperation/).
Conclusion
Nous n’avons vu que le début de l’histoire. Car une fois sorti de sa cage, le robot va continuer à s’hybrider avec d’autres technologies comme l’intelligence artificielle, les senseurs virtuels, la vision 3D et 4D, les capteurs, le big data et le data mining, les assistants virtuels, la connectique, les imprimantes 3D, les systèmes cognitifs (qui permettent aux machines de percevoir, d’apprendre et de s’adapter aux changements), le « quantified self » (qui consiste à mesurer, collecter et exploiter les données corporelles comme le poids, activité physique, heures de sommeil, etc.), le « wearable computing » (appareils numériques que l’utilisateur porte sur lui en permanence), les biotechnologies, les nanotechnologies (les médecins envisagent des nano-robots, qui circulent dans le sang), les logiciels collaboratifs, les neurosciences, etc. (voir : Colin Sloman and Robert J. Thomas, « Workforce of the Future: Humanizing Work through Digital », Accenture report, March 2015).
Ces robots intelligents seront interconnectés sur Internet avec des objets (IOT : Internet Of Things), des capteurs et des automatismes. Nos amis les robots n’ont pas fini de nous surprendre… Quant à moi, je certifie que cet article n’a pas été écrit par un robot…
Pour aller plus loin :
– Thibaut Bidet-Mayer, » Automatisation, Emploi et travail : Le robot tue-t-il l’emploi ? « , Les synthèses de La Fabrique de l’Industrie, Numéro 1, Décembre 2015
– Les trois principaux rapports du BCG :
« The shifting economics of global manufacturing: How a Takeoff in Advanced Robotics will power the next Productivity Surge », février 2015
« Man and Machine in Industry 4.0. How Will Technology Transform the Industrial Workforce Through 2025? », septembre 2015
« The Robotics Revolution: The Next Great Leap in Manufacturing », septembre 2015
– Un premier exercice de prospective réalisé par l’INRS sur » Utilisation des robots d’assistance physique à l’horizon 2030 en France ; Prospectives en santé et sécurité au travail «
– » Les robots sont à nos portes « , Albane Flamant, Metis, 20 Janvier 2014
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