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par Tanja Milevska, Philippe Van Parijs

Dans une interview donnée à EurActiv’ (que nous reproduisons) après la conférence sur le « revenu de base inconditionnel » organisée au sein du Comité économique et social européen (CESE), Philippe Van Parijs a fait valoir que l’UE devrait mettre en place un revenu de base pour tous ses citoyens. Ce qu’il nomme « euro dividende » devrait voir le jour pour deux raisons essentielles : aider l’Europe à amoindrir la crise, et montrer que c’est une communauté qui se « soucie » enfin de ses membres

 

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Philippe Van Parijs est un philosophe belge et professeur à l’Université Catholique de Louvain ( UCL ). Cette interview réalisée par Tanja Milevska est parue en anglais sur EurActiv.com en avril 2014.

 

 

Pouvez-vous tout d’abord résumer les idées que vous avez présentées pendant de la conférence?

J’ai répété mon plaidoyer pour un « euro dividende », c’est-à-dire la mise en place, au niveau de l’Union européenne, d’un revenu de base inconditionnel – individuel, universel et inconditionnel, de 200 € et financé par une taxe au niveau européen. Je plaide pour cette proposition sur la base de plusieurs arguments, le plus immédiat étant de sauver la monnaie européenne, et de permettre un certain degré de redistribution à travers les différents Etats membres de l’UE. Cela devrait prendre une forme simple, notamment sur le plan du financement. La proposition la plus réaliste en ce sens, est à mon avis un revenu de base financé par une taxe européenne.


Sur quoi fondez-vous vos recherches? Comment avez-vous trouvé ces chiffres particuliers et les moyens de financement ?

La réflexion commence à partir d’un questionnement sur ce qu’ont été les conditions nécessaires pour la viabilité de la zone dollar. Pourquoi le dollar a pu survivre deux siècles malgré les immenses différences de développement entre les différents états des Etats-Unis ? Parce qu’il y a deux mécanismes de stabilisation. Le premier est la migration entre les différents états. En Europe, cette migration à travers les frontières des Etats membres est environ six fois plus faible qu’aux États-Unis. Deuxième mécanisme : les transferts interpersonnels à travers les frontières aux États-Unis, dont on estime qu’ils sont entre 20 et 40 fois plus élevés aux États-Unis que dans l’UE.

Quand on y réfléchit, on réalise que la migration peut augmenter, mais que nous ne serons jamais au niveau des États-Unis à cause de nos différences linguistiques. Par conséquent, vous devez transférer, plus qu’aux États-Unis. Mais quelle forme durable cela peut-il prendre ? Ensuite, vous pensez à comment cela fonctionne dans nos Etats-nations. L’Allemagne, par exemple, a un degré élevé de redistribution entre les États. Certains de ces transferts se font des états les plus riches vers les plus pauvres. Cela a tendance à être controversé, et c’est à un niveau bien inférieur au niveau de redistribution qui existe à travers le système de sécurité sociale, qui est la solidarité interpersonnelle entre les gens – les pensions, les allocations familiales, l’assurance sociale de toutes sortes.

Donc, nous devons réfléchir à ce qui pourrait être fait au niveau de l’Union européenne. Ce ne sera pas une sorte de méga État-providence couvrant les soins de santé, les pensions, etc. Cela doit être très simple. Et donc être quelque chose comme un revenu socle pour tous les Européens, et financé par le plus européanisé de tous les impôts, qui est la TVA. Mon raisonnement commence par les besoins fonctionnels de l’union monétaire, et procède par élimination des divers programmes que vous pourriez avoir, pour aboutir avec une seule proposition qui peut avoir de nombreuses variantes. Vous pouvez par exemple moduler le montant de 200 € selon le pouvoir d’achat dans les différents pays.


Ce ne sera pas une sorte de méga État-providence couvrant les soins de santé, les pensions, etc. Cela doit être très simple.

Dans le même temps, ce genre de mesure aurait d’autres fonctions, qui sont tout aussi importantes ; même si elles ne concernent pas directement la zone euro. La première est la stabilisation des flux migratoires, en évitant l’entassement de populations, contraintes de migrer par nécessité, au sein des villes les plus prospères dans l’UE. Cela permettrait un étalement de la richesse créée en partie par l’existence même de l’Union européenne. L’autre argument est la pression subie actuellement par les systèmes de protection sociale des Etats. À cause de la pression du marché unique, certains pays doivent rogner sur leur protection sociale. Pour compenser, nous devons faire plus au niveau de l’UE afin de permettre à chacun des Etats-providence nationaux de continuer à faire leur travail aussi bien que possible dans le contexte de la mondialisation.

 

Et enfin, il est très important que l’UE soit perçue par ses citoyens comme étant une « Union sociale », et pas seulement comme une structure qui escamote les protections sociales en vue de promouvoir la productivité et le profit, d’une façon parfaitement inégalitaire. Il doit être perceptible par tous les Européens, pas seulement les migrants, que l’UE fait quelque chose pour eux. C’est une raison essentielle de la légitimité de l’Union européenne.

 

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Conférence sur le revenu de base à Bruxelles (10 avril 2014)

 

Ces 200 euros sont donc un chiffre indicatif ?

Oui, nous avons besoin d’un chiffre pour faire des simulations. Même à 200 €, cela ferait une augmentation massive du revenu net moyen dans les pays comme la Bulgarie et la Roumanie, d’environ 40%. Si vous modulez en fonction du pouvoir d’achat, l’augmentation n’est pas aussi importante, mais elle l’est encore de près de 30%. Sur la base de ces simulations, on peut bien sûr discuter si ce montant devrait être supérieur ou inférieur.


L’idée a été mal reçue et critiquée par certains de vos pairs, qui ont dit que ce serait démobiliser les travailleurs et contre-productif pour le travail en général que de donner une somme d’argent à chacun du fait tout simplement « d’être en vie ». Comment réagissez-vous ?

C’est l’une des critiques, mais ce n’est pas la plus sérieuse, car avec un revenu de base de ce niveau, cela ne changerait rien dans les pays les plus riches ou toute personne qui ne gagne pas assez par son travail reçoit au moins ce montant sous forme de prestations. Dans ces cas-là, l’euro-dividende ne modifierait pas l’incitation à travailler. Dans d’autres endroits, comme en Grèce, où vous n’avez pas un revenu minimum garanti, cela ferait une différence. Cela augmenterait le revenu des personnes qui n’en ont pas du tout.

Pour moi, il est acceptable que les gens reçoivent un revenu sans condition, parce que ce revenu n’est pas le produit du travail acharné d’autres personnes ; c’est un fragment de l’héritage massif que nous devons à la nature, aux générations précédentes, au progrès technologique, au savoir-faire, et tous ces dons que nous recevons de la nature et du passé. Ce que les gens doivent à leur propre effort est seulement une fraction de leur niveau de vie, de leur revenu. Une partie de ces dons, que nous avons reçus dans le passé, seraient redistribués de façon plus équitable entre tous. C’est la justification fondamentale de l’inconditionnalité de ce revenu de base.

Ce revenu de base viendrait s’ajouter aux prestations sociales ?

Je ne dirais pas en plus, mais en base, c’est un plancher minimum en dessous des autres revenus. Si quelqu’un est en incapacité de travailler, il aura une prestation d’invalidité conditionnelle qui s’y ajoutera, et ceux qui ont de telles prestations ne devraient pas perdre à la mise en place de cet euro-dividende. De même dans le cas des allocations de chômage, cela remplacerait la couche inférieure de ces revenus. Avec un revenu de base de 200€, quelqu’un qui touche aujourd’hui des prestations de chômage de 800 € par mois, recevra demain 200 € sans condition, en plus des 600 euros d’allocation chômage au lieu de 800 €. Le revenu de base remplace la partie inférieure des prestations existantes.

Avec des chiffres aussi modestes, en quoi est-ce que cela aiderait les « travailleurs pauvres » ?

Une grande partie des travailleurs pauvres, sont des travailleurs à temps partiel. Les principaux bénéficiaires de ce revenu de base seraient donc immédiatement les travailleurs à temps partiel. Ce revenu de base ne fait que rendre plus facile le temps partiel, parce que c’est moins coûteux de réduire votre temps de travail si vous le désirez, surtout pour envisager un poste qui vous convienne mieux. Ceux qui travaillent à temps partiel verront leur situation s’améliorer .

Vous le voyez comme un revenu au niveau de l’UE. Mais y’a-t-il une base juridique autorisant l’UE à prendre une telle mesure ?

Une première réponse est que les politiques sociales ne sont pas de la compétence de l’UE, selon les traités, et donc c’est infaisable au niveau de l’UE aussi longtemps que vous ne modifiez pas les Traités. En ce sens, il est donc essentiel de modifier les traités, sans que cela nécessite une refonte massive.

La deuxième réponse est que le tout premier argument pour l’euro-dividende concerne la viabilité de l’euro. Tant que nous n’avons pas quelque chose de similaire, la zone euro ira d’une crise à l’autre, parce que nous n’avons pas de mécanisme d’amortissement. L’Union européenne doit faire ce qui doit être fait pour sauver l’euro. Cela fait partie de sa mission. Vous pouvez appeler cela de la politique sociale, mais c’est nécessaire dans un but non directement social.

Quels sont les partis politiques qui se sont montrés intéressés par une telle proposition ?

L’idée d’un revenu de base en général est traditionnellement soutenue en Europe par deux tendances principales: les Verts, et les libéraux de gauche. Un exemple typique est « démocratie 66 » aux Pays-Bas, l’un des premiers partis politiques à soutenir l’idée à la fin des années 1970. Ensuite, l’idée apparaît dans des mouvements chrétiens de gauche, et dans une moindre mesure dans la gauche sociale-démocrate traditionnelle. Il y a un certain nombre de gens dans les franges plus extrêmes de la gauche qui sont aussi en faveur de cette idée.

Bref, le revenu de base est porté par un groupe mixte et c’est une idée qui tend à semer la discorde à la fois dans la gauche et la droite. Nous ne pouvons pas espérer une grande coalition de partis comme le PPE ou le S & D pour le promouvoir d’une manière unanime, mais il y a des signes montrant que certains groupes sont attirés par l’idée. La section de la jeunesse du parti vert flamand a fait sa proposition lors de sa campagne européenne. Auprès des jeunes, des femmes, des travailleurs précaires et à temps partiel, l’idée séduit. Cette idée doit être attrayante pour les gens qui sont préoccupés par l’avenir de l’euro. Ceux-ci peuvent être des gens de toute confession politique.


Vous mentionnez avoir discuté de la question avec le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. A-t-il été sensible à l’idée ?

Je ne dirais pas qu’il est un fan enthousiaste aux idées radicales de ce genre. Mais il est conscient, comme le sont la plupart des gens qui ont des responsabilités au niveau européen, que nous avons besoin d’une forme forte de solidarité systématique entre les États membres. Il a fait des propositions dans ce sens.

 

 

 

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