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Il nous surprend d’élection en élection. Alors qu’il est très libéral, le parti voit se rallier à sa cause de plus en plus d’ouvriers. Sur fond de peur du déclassement et du chômage, son assiette électorale s’élargit encore au-delà : femmes, employés du privé et jeunes se laissent désormais bercer par la douce voix de Marine. Surprise oui, car, les propositions du FN en termes d’emploi et de travail se rapprochent du néant et – passées la préférence nationale et la sortie de l’UE – la ligne du parti tombe rapidement en lambeau. Cet article est écrit dans le prolongement d’un débat organisé par la Fondation Jean-Jaurès en septembre dernier

 

chaperon rouge

 

Depuis sa création en 1974 et jusqu’aux années 90, le FN, très libéral, se définissait par opposition aux communistes. De prime abord le parti n’était donc pas très friand des ouvriers et employés souvent perçus comme d’indécrottables antilibéraux et avait plutôt pour vocation la défense des petites entreprises, des boutiques, et des fragiles entrepreneurs. Il a pourtant su prendre avec adresse, dans les années 90 et à la faveur de la chute du mur le tournant social et identitaire qui le mènera plus tard sur le podium.

Ayant perdu ces années-là son meilleur ennemi, , le FN a fait volte-face et s’est désormais positionné contre les USA en affirmant de plus en plus son fonds de commerce nationaliste et protectionniste face à l’ultralibéralisme et à la culture mondialisée en laissant de côté la pensée et les propositions économiques en ne gardant que l’identité nationale pour seul étendard. En parallèle, le parti a commencé à s’intéresser aux ouvriers, important vivier électoral, et par là même, aux questions sociales – la défense des travailleurs devenant l’un des nouveaux thèmes privilégiés du parti notamment au travers de ses « 51 mesures pour faire le point sur le social » de 1992.

Classés majoritairement à gauche au regard des grandes questions économiques, les salariés modestes seraient relativement conservateurs sur les questions sociales et sociétales. C’est en partie là que le FN a su les toucher fortement ces dernières années. En effet, l’époque où le débat politique gravitait encore autour de questions socio-économiques (augmentation des salaires, répartition des richesses,…) et où les ouvriers votaient encore massivement à gauche, est révolue. Le débat se cristallise désormais sur des questions sociétales alors que « les partis de Gouvernement » de gauche et droite semblent depuis une trentaine d’années s’être accordés sur un socle commun de politique économique. En outre, Marine Le Pen joue, avec le sens de la nuance qu’on lui connait, la partition populiste de « tous pourris, tous vendus ». Maniant avec habileté les « eux versus nous » (que Nicolas Sarkozy tente désespérément de reprendre), le Front national a su s’emparer du monopôle du contre-modèle en tablant notamment sur l’empathie de point de vue (là où, il faut bien l’admettre, ses concurrents – entre les « sans dents » et autres « si t’as pas de Rolex t’as raté ta vie » – sont assez misérables). On le retrouve ne serait-ce que dans un chiffre présenté par Jerôme Fouquet, directeur du département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’Ifop lors du débat organisé par la Fondation Jean Jaurès : lors des précédentes départementales, 12 % des candidats étaient ouvriers ou employés du privé : 6,5 % au PS, 7,4 % à l’UMP, 14 % au PC et… 22,4 % au FN.

Les raisons de la montée du FN et des autres partis xénophobes en Europe sont complexes tout autant que diverses, mais les problématiques liées à l’emploi ont sans doute été l’un des principaux facteurs de cet essor.

Aujourd’hui, la base électorale du FN ne cesse de s’étendre. Surfant sur la scélérate de la crise, le parti d’extrême droite profite et joue de la peur prégnante de déclassement qui a gagné les classes moyennes. Femmes, employés du public, jeunes, en voilà de nouvelles cibles qu’elles sont belles ! La corrélation entre augmentation du chômage et renforcement de la base électorale du FN n’est plus à démontrer désormais. Ainsi, la progression du FN est plus importante dans les villes ou cantons frappés par les dramatiques fermetures de sites. Outre les chômeurs, ce sont leurs familles, leurs voisins qui – dans ces bassins d’emploi moroses – se laissent submerger par « la vague bleu marine ».

 

Pourtant, si l’on se penche sur ce que propose ce parti en termes de travail et d’emploi, on s’aperçoit rapidement qu’au-delà de la triplette : sortie de l’UE, protectionnisme économique et préférence nationale d’où tout le reste semble découler, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent.

Au rang des priorités d’une Présidence Le Pen figure ainsi la lutte contre le chômage. Pour cela elle propose – en plus d’une « gestion dynamique du marché du travail » – deux volets d’action : la réindustrialisation du pays et la mise en priorité des PME/TPE.

« La France remettra en cause l’ensemble des contraintes absurdes imposées par l’Union européenne et qui interdisent, au nom d’une politique de la concurrence dévoyée, toute politique industrielle réelle. » C’est alors en pratiquant un « protectionnisme intelligent » ( consistant à fermer les portes aux concurrents « déloyaux » que sont la Chine et les pays de l’Est de l’Europe et laisser le tapis rouge aux USA et à l’Allemagne, « pays économiquement et écologiquement semblables » à la France) et en « restaurant sa liberté monétaire » que le pays – sur la base d’une sortie de l’UE – saura retrouver son dynamisme industriel d’antan.

Le soutien aux PME/TPE est l’autre fer-de-lance du parti pour réduire le chômage. Celui-ci créera ainsi le ministère de l’Economie, de l’Entreprise et du Travail où seront regroupés « tous les services ayant autorité sur les forces contributives de la nation » (pour l’instant, tout ce que l’on sait en fait c’est qu’il comportera une cellule « délai de paiement »). Premier employeur du pays, et « victimes d’injustice fiscales face aux grands groupes » (on reste dans le « eux vs. nous »), le FN promet de réduire fortement les taxes qui pèsent sur elles et de leur ouvrir plus de marchés publics, « grâce à la centralisation de toutes les offres sur un site internet » et en créant un genre de Small Business Act à la française. La « Grande réforme de la simplification pour les entreprises », entre simplification du bulletin de salaire et création d’un site internet unique pour toutes les démarches administratives ainsi que la création d’une « véritable » banque publique d’investissement sont, enfin, présentées comme des solutions miracles.

En parallèle, le parti organisera une « gestion dynamique du marché du travail ».

Ancré sur son versant libéral, le FN ne compte pas revoir les lois sur le temps de travail hebdomadaire, mais autorisera la renégociation de celui-ci par entreprise à la condition qu’elle s’accompagne d’une augmentation proportionnelle du salaire. En outre, le parti promet la création de « chèques formation » (qui existent déjà dans certaines régions comme la Bretagne) qui remplaceraient, sans doute, les aides individuelles à la formation. Le fonctionnement de Pôle emploi sera également revu et le non-respect par un demandeur d’emploi des obligations imposées sera « plus sérieusement vérifié ».

Les entreprises seront, par ailleurs, « incitées » à embaucher plus de jeunes et de séniors. Pour ce faire, l’Etat et les collectivités locales devront montrer l’exemple en s’engageant à réserver une embauche sur trois dans la fonction publique aux personnes de plus de 45 ans issus du secteur privé (voilà tout !). Elles seront aussi « incitées » à « prioriser l’emploi des français » (on allait y arriver !) et Pôle emploi sera « contraint » de proposer – à compétence égale – les offres d’emploi en priorité aux personnes ayant la nationalité française. Par ailleurs il y aura un élargissement des emplois « de souveraineté » qui seront – eux aussi – réservés aux « Français ».

En outre, l’emploi de « travailleurs clandestins » (qu’on appelle aujourd’hui travailleurs illégaux, mais bon) « sera très sévèrement sanctionné ». Là encore, le FN enfonce des portes ouvertes. En effet, le dispositif institutionnel et juridique de lutte contre les différentes formes du travail illégal a été renforcé ces dernières années en aggravant notamment le régime des sanctions pénales, administratives et civiles.

Enfin, une grande réforme des syndicats sera mise en œuvre pour que – au bout du compte – ceux-ci soient « plus à même d’entrer dans des logiques de concertation constructives et moins tentés de recourir à un rapport de forces (grève, manifestation) pour pallier leur manque de légitimité ».

Ouf… je reprends mon souffle ! Voilà donc ce que propose le Front national en termes d’emploi et de travail. La théorie est faible, la réflexion aussi. La préférence nationale, la critique de l’UE et des immigrés se présentent comme les paravents ou cache-misères permettant de légitimer un discours creux sur le travail, une coquille vide en somme.

Le reste dissone, détonne, déconne. Car, oui, outre cette ligne – pas très fine, mais claire – c’est la cacophonie.

La solidité du discours global explose dans le discours minimal. Et on s’en aperçoit très rapidement au regard des derniers débats sur le travail en France. On peut premièrement citer la question du départ de l’âge à la retraite. Marine Le Pen souhaitait il y a encore peu de temps ramener l’âge de la retraite à 60 ans. Mais le parti semble volontairement entretenir le flou sur cette question. Cité par le journal Le Point en mai dernier, le trésorier Wallerand de Saint-Just disait en décembre : « Il n’y a jamais eu dans le programme du Front national de retour à la retraite à 60 ans » ; ou le secrétaire général Nicolas Bay en mars : « Nous n’avons jamais défendu la retraite à 60 ans. Nous avons défendu le principe des 40 annuités, ce qui est un peu différent. »

On peut aussi rappeler la position ambiguë du Front national vis-à-vis de la Loi travail. Tiraillée entre le soutien aux salariés et celui aux chefs d’entreprise, entre les orientations divergentes de Marion Maréchal et de Florian Philippot, Marine Le Pen a décidé de faire retirer les 25 amendements frontistes à l’Assemblée nationale à cause de leur « tonalité trop libérale ». Marion Maréchal Le Pen le justifie ainsi : étant donné que le FN souhaite le retrait de la loi, déposer des amendements ne semblait plus très cohérent (mais à une incohérence près….).

On retrouve la même dissonance au Parlement européen. Lors du débat organisé en septembre dernier à la Fondation Jean-Jaurès sur le FN et le travail, Guillaume Balas, euro-débuté PS, se faisait l’écho de la situation du groupe FN au sein de l’institution. Il citait l’exemple d’une proposition de rapport au sujet du dumping social. Le FN a voté contre (car quand il s’agit de compétences de l’UE ces messieurs dames se braquent illico), mais a tout de même voté sur les différents textes en se positionnant notamment pour un registre européen permettant de savoir qui sont les travailleurs détachés et contre la fermeture immédiate d’un chantier si les droits des travailleurs n’étaient pas respectés. Incohérence, encore.

 

Résumons. Le FN qui se positionne aujourd’hui comme le parti du peuple et des travailleurs, voire comme un super syndicat, parvenant sur fond de crise sociale et de peur du déclassement à élargir sa base électorale ne semble avoir, en réalité, aucune culture en termes de travail ou d’emploi. Un projet de programme encore très vague et imprécis, doublé de populisme et de démagogie, voilà la recette d’un parti qui semble avoir bien réussi son entreprise de dédiabolisation.

 

Pour en savoir plus :

– Dominique Andolfatto, Sylvain Crépon, Marion Fontaine, Florent Gougou, Hervé Favre, « Le Front National et les ouvriers, longue histoire ou basculement ? », Radicalité 3, Fondation Jean Jaurès, avril 2016
– « Pourquoi le FN a-t-il adopté une attitude prudente vis-à-vis de la loi travail ? », focus n°137, juin 2013
– Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer, « Les faux semblants du Front National. Sociologie d’un parti », Science-po les presses, 2015

 

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Secrétaire de rédaction de Metis, journaliste et rédactrice web, je suis passée par le marketing et les relations internationales.