par Jean Raymond Masson en coopération avec Sören Nielsen
En France comme dans de nombreux pays d’Europe ou d’ailleurs, la formation professionnelle reste au sein du système éducatif une filière de relégation. On y accède par défaut, faute d’avoir le niveau nécessaire pour poursuivre la voie royale des études générales. Et au sein de la formation professionnelle initiale, la voie de l’apprentissage n’a pas été jusqu’ici très encouragée, notamment du fait de sa faible attractivité et des réticences qui subsistent au sein de l’éducation nationale pour s’engager dans cette voie.
Le développement de l’apprentissage fait maintenant l’objet d’engagements forts dans les programmes des candidats de la droite et du centre (voir l’article de Wenceslas Baudrillart dans Metis : « Emploi et travail : les propositions des candidats à la primaire » – 10 octobre 2016), mais sans qu’on sache comment il va être capable d’attirer les jeunes. Un autre candidat à l’élection présidentielle a choisi récemment un centre d’apprentissage comme plateforme de lancement de sa campagne, ce qui peut être vu comme un signe encourageant pour cette filière. Dans ce contexte, il est intéressant de se plonger dans une réforme engagée il y a un an au Danemark avec l’objectif majeur de restaurer l’image de la formation professionnelle et de l’apprentissage dans un pays jusqu’ici vanté pour sa réussite dans ces domaines, mais où la situation s’était fortement dégradée depuis plusieurs années.
Le Danemark est connu de longue date pour l’importance accordée à l’éducation et à la formation avec des dépenses de près de 8% du PIB, le taux le plus élevé d’Europe, et notamment à la formation professionnelle des adultes avec le plus haut taux de participation dans le contexte de la « flexisécurité ». La stratégie de « formation tout au long de la vie » introduite en 2007 a conduit à la mise en œuvre de nombreuses initiatives et notamment de la validation des acquis de l’expérience (VAE) dont nous avons évalué les résultats dans un récent numéro de Métis (« Danemark : une VAE aux résultats encore limités » – 31 août 2015)
La formation professionnelle initiale tient une place majeure dans le système global avec un rôle essentiel confié à un système d’alternance. Les élèves y accèdent après les 9 années de scolarité obligatoire (de 7 à 16 ans) dans les écoles municipales (ou privées) qui regroupent l’enseignement primaire et secondaire inférieur (école primaire et collège dans le modèle français) dans un cadre intégré où aucune répartition en filières n’est instaurée à quelque niveau que ce soit et qui débouche sur un examen final à la fin de ces 9 années. En 1998, 41% des sortants optaient pour la formation professionnelle et 53% pour l’enseignement secondaire supérieur général.
La formation professionnelle initiale (FPI) s’organise pour l’essentiel sous l’autorité du ministère de l’Éducation nationale selon un système d’ alternance – qui est plutôt une forme d’apprentissage – entre un collège technique, commercial ou agricole, et une entreprise avec laquelle l’étudiant a signé un accord de formation validé par les partenaires sociaux. Un programme de FPI dure environ 3 ans à 3 ans et demi pendant lesquels 50 à 70% du temps est passé en entreprise et 50 à 30% au sein du collège. Les 110 programmes existants (en 2010) n’accueillent pas seulement des étudiants sortant de l’enseignement secondaire inférieur, mais aussi et de plus en plus des adultes disposant d’une expérience professionnelle et aussi des étudiants diplômés de l’enseignement général.
Cependant, dans le courant des années 2000 et en particulier avec la crise économique et financière de 2008, les performances et l’image de la FPI s’étaient détériorées gravement ; le taux d’accès à la formation professionnelle à l’issue du secondaire inférieur avait chuté considérablement et s’établissait à 18% d’une cohorte en 2012 ; les statistiques révélaient un taux de sortie sans qualification de 30 à 40% dans un grand nombre de programmes ; dans un contexte d’aggravation du chômage et notamment de celui des jeunes, ces phénomènes avaient été favorisés par de nouvelles dispositions prises par le gouvernement obligeant les jeunes à s’inscrire dans des programmes de formation professionnelle dès qu’ils s’inscrivaient au chômage.
C’est afin de remédier à cette situation que le gouvernement a lancé en 2014 une vaste réforme visant à améliorer la qualité du système de FPI avec 4 grands objectifs
• Augmenter le taux d’accès à la FPI des jeunes à l’issue de la scolarité obligatoire de 18% en 2015 à 30% en 2025.
• Améliorer le taux de réussite des étudiants à l’issue des programmes de FPI de 52% en 2012 à 67% en 2025.
• Faire en sorte que la formation professionnelle concerne tous les étudiants et leur permette d’exprimer pleinement leur potentiel ; cet objectif se traduisant par l’augmentation régulière de l’accès des étudiants les plus talentueux (tel que mesuré lors de l’examen de fin d’études dans le secondaire inférieur) à la FPI, ainsi que par le maintien de taux d’emploi élevé pour les nouveaux diplômés de la FPI.
• Renforcer la confiance dans la formation professionnelle en améliorant la satisfaction des étudiants ainsi que celle de leurs employeurs.
Selon la ministre en charge de l’éducation à cette date, Christine Antorini, il s’agit avec cette réforme d’adapter le système de FPI aux exigences de l’économie de la connaissance. Dans le préambule du document ministériel consacré à la réforme, elle met l’accent en particulier sur la modernisation des systèmes de santé et des équipements hospitaliers, la construction des immeubles d’habitation à faible dépense énergétique, et plus généralement sur les capacités d’innovation et de créativité dans le cadre de l’économie globalisée. A côté des dispositifs concernant le système d’alternance évoqué jusqu’ici, la réforme vise également le développement des connexions et des complémentarités entre les sous-systèmes de la FPI et de l’enseignement secondaire supérieur général, ainsi que la formation des adultes faiblement qualifiés.
La mesure la plus emblématique est la création d’un niveau minimum pour l’accès à la FPI ; ce niveau concerne la maîtrise de la langue danoise et des mathématiques telle que mesurée à l’examen de fin de scolarité obligatoire ; sur l’échelle de 7 (le plus bas) à 1 (le meilleur) il s’agit d’obtenir au moins le niveau 5 (adequate performance) dans ces deux matières. Par ailleurs, les étudiants ayant déjà signé un accord de formation avec une entreprise sont dispensés de cette exigence. Pour les candidats ne disposant pas de ces niveaux minimums, la réforme met en œuvre un cycle d’un an de préparation à la formation professionnelle. Et pour ceux qui ne parviennent décidément pas à obtenir ce niveau minimum, une autre mesure consiste en un cycle de deux ans maximum combinant formation professionnelle et enseignement général et débouchant sur une qualification d’assistant ou sur la poursuite d’études.
Une panoplie de mesures accompagne les précédentes : il s’agit en particulier (i) d’un effort particulier pour améliorer l’offre de formation en entreprise, notamment par la création de 50 centres de stages répartis sur le territoire et le développement de la formation pratique dans les collèges ; (ii) du renforcement de la formation des formateurs ; (iii) de la restructuration des filières de FPI ramenées de 12 à 4 grandes familles (technologie, construction et transport ; agriculture et agro-alimentaire ; administration, commerce et gestion ; santé et pédagogie), le choix parmi les 110 spécialités intervenant plus tard ; (iv) du renforcement des passerelles permettant l’accès des diplômés de FPI à l’enseignement supérieur ; (v) de l’amélioration des dispositifs d’orientation et de conseil ; (vi) du renforcement du rôle des partenaires sociaux dans la mise en œuvre et le suivi de la réforme ; et enfin (vii) de la mise en œuvre d’enquêtes régulières afin de mesurer la satisfaction des étudiants ainsi que celle des employeurs vis-à-vis des stagiaires.
Il est intéressant de noter que cette réforme a été préparée par un gouvernement social-démocrate en étroit accord avec les partenaires sociaux. Mais le changement intervenu mi-2015 avec le retour d’un gouvernement libéral n’a rien changé à la réforme. La formation professionnelle fait en effet l’objet d’un large consensus entre l’ensemble des forces politiques et les partenaires sociaux.
Il est évidemment trop tôt pour évaluer la mise en œuvre de la réforme. Mais compte tenu des objectifs qu’elle se donne, il va être intéressant d’en assurer un suivi régulier, au Danemark mais aussi dans des pays comme la France où la faible attractivité des formations professionnelles a des conséquences dommageables sur la structuration sociale du pays. Les enjeux sont de taille. En particulier l’introduction d’un niveau minimum d’entrée en FPI alors que l’accès en était traditionnellement dépourvu ne risque-t-elle pas d’entraîner des effets pervers, favorisant un processus d’exclusion sociale pour les moins qualifiés ?
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