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Fondées en 2008, les Journées de l’Economie, autrement dit les JECO, sont devenues un rendez-vous lyonnais de dimension nationale. Toutes les forces vives de la région se sont unies pour organiser, chaque année, un grand rendez-vous de trois jours, début novembre, ouvert à tous pour traiter des sujets économiques de l’heure. C’est l’économie pour tous, la démocratisation de l’analyse économique.
En général il y a un thème dominant, cette année : « La grande mise à jour ».

 

jeco

 

Le principe est simple : les JECO sont ouverts à tout le monde, gratuitement. Il suffit de s’inscrire aux différents modules qui jalonnent ces trois journées. Chaque module dure 1h30 au cours desquelles trois ou quatre personnes, parmi les plus qualifiées sur le sujet, font chacune un exposé de 10/15 minutes suivi d’un débat avec la salle. Un animateur, qui a également bien préparé la séance avec les intervenants, anime les échanges. Tout cela permet de faire le point sur des questions à l’ordre du jour avec les meilleurs spécialistes.
Il y a en général deux modules le matin, trois modules l’après-midi proposés dans différentes salles de la ville. À la fin de chaque module, on dispose d’environ une demi-heure pour rejoindre le lieu suivant, ce qui permet de visiter Lyon, fort belle ville de surcroît. Cela crée de réelles cavalcades à travers la cité. Comme ces séances se déroulent pendant la journée, le public est composé d’un grand nombre d’étudiants et de retraités, mais pas seulement.

 

Chaque année, il y a des améliorations techniques. Ainsi, les questions posées par la salle sont désormais posées par SMS ce qui évite les incorrigibles bavards. Cette année, tous les modules étaient transmis en direct par Internet et on peut désormais les consulter sur le site des JECO.

 

Le thème de l’emploi et du travail est toujours présent d’une manière ou d’une autre au cours de ces journées. Cette année, on le trouvait à la Bourse du travail pour savoir si la baisse des cotisations est un outil efficace ; à la salle Rameau pour deux débats : « mondialisation et emploi », « agir autrement pour le retour en plein emploi » ; à la salle Molière pour dire quel contrat de travail pour demain ; à l’Hôtel de la région pour savoir si l’Allemagne avait sacrifié à la compétitivité la réduction des inégalités et de la pauvreté, ou « quel avenir du travail dans l’industrie face à la robotisation et numérisation ».

 

Le propos n’est pas ici de présenter le contenu de ces débats. Par nature, des débats sont des lieux où des points de vue différents, voire opposés ou contradictoires, sont exposés. Mais l’écoute des interventions permet de glaner… quelques réflexions. Par exemple, sur le gouffre existant entre la perception par la base de la réalité quotidienne et de ses enjeux et l’analyse et la compréhension qu’en font les économistes et les politiques. Les JECO sont précisément là pour le combler… modestement. Le débat sur « La baisse des cotisations, un outil efficace ? » peut en donner l’illustration de plusieurs manières.

 

On rappelle que les exonérations de cotisations patronales sont d’une certaine manière l’une des méthodes principales pour maintenir l’emploi, et souvent celui des salariés les moins qualifiés. Cela remonte à loin puisque les premières mesures de ce type datent de 1993 – 1996 sous le gouvernement Balladur, puis avec Martine Aubry pour faciliter le passage aux 35 heures. Une telle politique a continué avec le gouvernement Fillon et sous la présidence François Hollande avec le Pacte de Responsabilité et le « CICE » (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi).

 

Aujourd’hui, on évalue le coût de ces exonérations à 40 milliards par an, intégralement compensés par le budget de l’État. La simple énumération de ces mesures montre le caractère très politique de la mise en œuvre de ces dispositifs.

 

Est-ce efficace ? En simplifiant, il semble que oui, mais pas autant qu’on pouvait l’espérer.
S’il est admis que la baisse du coût du travail est (toujours ?) favorable à l’emploi, l’impact de ces mesures – notamment de la plus importante, le CICE – est aujourd’hui difficile à mesurer pour plusieurs raisons. Le dispositif est trop récent pour qu’il ait induit tous ses effets potentiels. On peut également noter qu’il s’agit d’une sorte de déflation salariale et que les autres pays ne nous ont pas attendus. Nous sommes tous perdants-perdants et on peut s’estimer heureux si les choses ne se dégradent pas trop.

 

Un des participants au débat a fait remarquer qu’avec le CICE, il n’y avait plus sur les bulletins de salaire une mention de cette exonération comme cela était le cas avec les exonérations Fillon. Il regrettait l’effet pédagogique de cette mention. Il faut rappeler que le CICE est un crédit d’impôt calculé à partir d’une partie de la masse salariale.

 

On voit bien, en effet, qu’il est souhaitable d’informer le salarié de l’effort fait par la collectivité pour qu’il « coûte » moins cher à son employeur. Mais ce salarié, a-t-il conscience que ce moindre coût lui permet de conserver son emploi, d’améliorer la compétitivité-coût de son entreprise et peut-être de contribuer à une moindre inflation qui améliorerait le pouvoir d’achat des autres salariés ? Probablement que non.

 

Et si l’on ajoute que, pour financer cette exonération, il va falloir augmenter les impôts et pourquoi pas la TVA, ce qui a été fait en partie, et que cette augmentation de TVA est une bonne chose pour son emploi parce qu’elle correspond de fait à une dévaluation fiscale, on voit le hiatus dramatique entre une pensée économique/politique et les perceptions qu’en ont les acteurs sur le terrain. Il y a un grand risque que ce salarié pense d’abord que cet avantage va aller d’abord dans la poche des actionnaires de son entreprise.

 

Deux autres exemples peuvent être cités :

• parmi les nombreux travaux menés pour évaluer l’impact du CICE, a été faite une étude qualitative dont l’objet était de savoir comment celui-ci était perçu dans les entreprises. Elle a permis d’observer que les directions opérationnelles (comptabilité, ressources humaines) comprenaient bien qu’il s’agit d’une réduction du coût du travail alors que les directions opérationnelles (production, exportation) n’intégraient pas cet avantage compétitif dans leur pratique.

• un autre intervenant rappelait, pour s’indigner, que des donneurs d’ordre avaient exigé de leurs sous-traitants qu’ils leur répercutent l’avantage procuré par le CICE. Certes, la forme employée a pu être rude, mais n’est-on pas dans une logique « vertueuse » de recherche systématique d’une compétitivité par les coûts selon laquelle l’avantage du CICE doit se traduire finalement par une baisse des prix aux clients ?

 

La leçon de toutes ces réflexions et remarques pourrait être la suivante : pour ce type de mesures, s’il n’y a pas adhésion de tous ceux qui sont impactés directement ou indirectement, cela ne marche pas ou mal. Les comportements attendus ou espérés par les économistes (et les politiques) butent sur une pesanteur, une résistance générée par un mur d’incompréhension. Mais cette incompréhension n’est-elle que d’un seul et même côté ?

Voilà pourquoi l’heure des bilans en la matière est cruelle pour les politiques : ils ont agi comme des économistes sans penser qu’il faut convaincre, écouter et mobiliser. Donner du sens et non pas des promesses.

 

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Un parcours professionnel varié dans des centres d’études et de recherche (CREDOC, CEREQ), dans
des administrations publiques et privées (Délégation à l’emploi et Chambre de commerce et
d’industrie), DRH dans des groupes (BSN, LVMH, SEMA), et dans le conseil (BBC et Pima ECR), cela à
partir d’une formation initiale d’ingénieur X66, d’économiste-statisticien ENSAE et d’une formation
en gestion IFG.
Une activité associative diverse : membre de l’associations des anciens auditeurs de l’INTEFP, ex-
président d’une grosse association intermédiaire à Reims, actif pendant de nombreuses années à
FONDACT (intéressé par l’actionnariat salarié), actuellement retraité engagé dans les questions de
logement et de précarité d’une part comme administrateur d’Habitat et Humanisme IdF et comme
animateur de l’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts-de-Seine.
Toujours très intéressé par les questions d’emploi et du travail.