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Aki Kaurismäki aime les ports, Le Havre en 2011, Helsinki aujourd’hui. La vie de ses personnages se fraie un chemin sur des quais vastes et déserts, à l’ombre des cargos et des grues. Elle adopte leur rythme lent, leurs mouvements obstinés, leur démesure aussi. Le sujet est le même : quelqu’un débarque, un migrant, un clandestin. Il cherche un refuge, il rencontre un mélange d’hostilité et d’hospitalité. De temps en temps, il croise des rockers d’un autre âge et leurs guitares nous parlent de ce que l’humanité a fait de mieux.

 

De l'autre côté de l'espoir _ film

Image du film De l’autre côté de l’espoir d’Aki Kaurismäki

 

Helsinki, l’administration et la haine

Khaled a fui Alep et la Syrie. Ses parents y ont été tués dans un bombardement. A l’issue d’un périple à travers l’Europe, caché in extremis dans un cargo qui transporte du charbon entre la Lituanie et la Finlande, séparé de sa sœur lors du passage d’une frontière, il débarque un matin à Helsinki. Il ne sait rien de la ville, n’a pas choisi la Finlande, mais il est prêt à y gagner sa vie en travaillant, prêt à l’adopter, prêt à l’aimer en attendant des jours meilleurs. Il se dirige d’emblée vers le commissariat le plus proche pour y demander l’asile politique.

 

A partir de là Khaled va affronter trois mondes. L’administration d’abord. Elle est froide et imprévisible. Le juge peut déclarer sans sourciller que selon les informations les plus récentes la situation à Alep ne justifie pas qu’un jeune homme comme Khaled la fuit. Il doit être expulsé et le sera par avion vers la Turquie au plus vite. Elle est charitable aussi lorsqu’en attendant l’expulsion elle offre un lit et un repas dans un centre « d’accueil ». Elle est tolérante enfin lorsque, mine de rien, l’employée du centre retient un instant les policiers pour laisser le temps à Khaled de fuir, seul dans la rue.

 

Khaled rencontre aussi la haine. Celle de trois jeunes, membres d’une soi-disant « Libération Army of Finland ». Ils ne discutent pas, ils cognent. Ils vont empoisonner sa vie, ne lâchent rien. Khaled est désarmé, il ne comprend pas. Il voudrait leur dire qu’il n’a rien contre eux, qu’ils pourraient peut-être être amis. Il est trop confiant, il ne sait pas que dans leur monde « seuls les paranoïaques survivent ».

 

La Chope dorée est hospitalière

Enfin, et c’est là que Aki Kaurismäki veut nous emmener, il croise Wikhström. La cinquantaine venue, il aimerait faire quelque chose de sa vie. Il n’est pas révolté, il fuit son travail de représentant en chemises et sa femme alcoolique, et vient d’acheter un restaurant. Il a tout repris, les pertes, le décor du siècle dernier, les conserves de harengs marinés et les trois salariés. Ils ont oublié les règles d’hygiène élémentaires, mais sont bien disposés. Le chien n’était pas annoncé, mais il est là, dans la cuisine, et forcément attachant. La première rencontre entre Khaled et Wikhström se passe mal. Chacun revendique le même espace. Khaled pour en faire sa chambre à coucher, Wikhström pour continuer à y entreposer les poubelles du restaurant. Quelques coups de poing plus tard, sans motif ni besoin particuliers, Khaled est intégré à l’équipe de la Chope dorée.

 

Pour le dire comme les philosophes Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc dans « La fin de l’hospitalité » (« La fin de l’hospitalité. Lampedusa, Lesbos, Calais… jusqu’où irons-nous ? », Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, Flammarion, 2017), Wikhström répond à l’appel : « l’hospitalité ne naît pas d’un sujet bienveillant, spontanément accueillant, généreux, prêt à mettre la main sur le cœur et à faire don de soi à autrui. Elle naît à la suite d’un mauvais rêve, au sortir d’une nuit agitée. Car elle est d’abord engendrée par un appel que l’on reçoit, qui disloque l’évidence de la journée… » Il y a quelque chose de « non prémédité, d’absolument contingent » dans la relation qui se noue entre Khaled et Wikhström qui donne à la suite de l’histoire son côté décalé et souvent drôle. Le film y puise son charme et sa force, entre poésie et point de vue politique.

 

Tout espoir n’est pas perdu

Aki Kaurismäki ne nous donne pas de leçons de morale, ne tient pas un discours politique, ne brosse pas un tableau documenté des migrations actuelles et de celles qui viennent. A sa manière unique, il met en scène un monde commun viable et des vies possibles, qui ne sont pas héroïques, mais qui sont indifférentes aux vents mauvais, ceux qui s’habituent à « analyser la souveraineté état-nationale en termes d’expulsion ». On lui prête cette formule : « À quoi sert le pessimisme lorsque tout espoir est perdu ? » En explorant L’autre côté de l’espoir, Aki Kaurismäki prolonge sa sentence. De l’autre côté, celui de l’hospitalité, il y a tout lieu d’être à la fois optimiste et plein d’espoir.

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.