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par Fabrice Periac, propos recueillis par Félix Traoré

Fabrice Periac est enseignant-chercheur en sciences de gestion à l’IPAG Business School et intervenant en entreprise. Et ancien sportif professionnel. Il tire les enseignements de cette double pratique :

 

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Image : S-Team Experience

 

En tant que chercheur en sciences de gestion, qu’est-ce qui vous a amené à considérer le sport comme un outil pour l’analyse des organisations ?

 

En réalité, c’est plutôt dans l’autre sens que s’est posée la question pour moi, puisqu’avant d’être chercheur, ma première expérience professionnelle a été dans le sport (Basketteur professionnel entre 17 et 30 ans, au poste de meneur de jeu). C’est donc à travers le sport que j’ai été confronté pour la première fois à des situations de gestion de groupe, de performance, de stratégie, de gestion du stress, de cohésion d’équipe, d’inclusion, etc. Je pense que j’ai commencé à « analyser » ces questions assez tôt, même si je ne me les formulais pas de cette manière à l’époque. Et comme je suivais des études d’éco-gestion en parallèle, j’ai progressivement trouvé des résonnances intéressantes entre ce que je vivais et ce que j’étudiais du fonctionnement des organisations. C’est ce qui m’a donné envie d’approfondir ces réflexions dans un cadre plus général que le sport. A mon sens, l’intérêt principal de ce parallèle tient à deux éléments combinés : d’abord, dans le sport de compétition comme dans les organisations, les notions de concurrence et de performance sont toujours présentes, parfois simplement en arrière-plan, parfois de manière très explicite, mais elles imprègnent toujours le quotidien d’une manière ou d’une autre. Or pour n’importe quelle personne, le fait de se retrouver en situation de concurrence, de pression, ou d’urgence du résultat, peut modifier de manière plus ou moins marquée les actions, les attitudes et les décisions. Il y a donc à ce niveau-là des parallèles intéressants à établir. Et puis, au-delà de cette similitude, l’intérêt de la comparaison, du point de vue des organisations, vient aussi du fait que dans la plupart des sports, la compétition est beaucoup plus lisible et cadrée que dans le monde des affaires : les oppositions sont programmées, les victoires et défaites sont objectivées, les concurrents sont bien identifiés, les « produits » (spectacles ou performances sportives) sont relativement homogènes, etc. Ce cadrage constitue un atout pour analyser « toutes choses égales par ailleurs », certains phénomènes organisationnels. Même si, à l’inverse, il peut également constituer une limite à la généralisation des résultats, si l’on ne prend pas soin d’en identifier les contours.


Vous intervenez aussi comme consultant auprès des entreprises en leur proposant un accompagnement par le sport. A quel type de demandes répondez-vous ? Avec quelles méthodes ?

 

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 (Images : Fabrice Periac)

Au-delà de son potentiel pour l’analyse des organisations, je suis convaincu que le sport a également un potentiel intéressant en tant que levier d’action pour les organisations, notamment sur leurs problématiques de cohésion, de diversité, d’inclusion et d’identité organisationnelle, qui sont mes thématiques de recherche de prédilection. De plus en plus de coachs sportifs et de prestataires proposent d’ailleurs aux entreprises des solutions de team-building, d’amélioration du bien-être au travail, ou encore d’inspiration et de « sense-making » par le sport. La spécificité de notre start-up S-Team Experience (1) est de mobiliser ce potentiel d’action organisationnelle par le sport, au sein d’une démarche plus vaste de recherche-action. Notre offre de conseil correspond en fait à ce que Chanal, Lesca & Martinet (2) appellent la recherche-ingénierique, où le chercheur intervient à la fois comme analyste d’une situation organisationnelle pour co-construire avec les acteurs concernés les problématiques organisationnelles à résoudre, comme concepteur-animateur d’un dispositif visant à améliorer la situation, et comme évaluateur de l’impact du dispositif selon des modes d’évaluation appropriables par les acteurs et utiles pour l’action. Dans notre cas, les dispositifs que l’on conçoit sont des évènements sportifs à vocation inclusive, personnalisés et adaptés aux problématiques spécifiques des entreprises qui nous sollicitent. Et les problématiques auxquelles nous nous intéressons concernent les processus d’inclusion et de cohésion pour une performance soutenable. Vu que dans mes recherches récentes (3), nous avons mis en avant le caractère subjectif et toujours dynamique des questions d’inclusion, et par conséquent la nécessité d’intégrer chaque membre d’un collectif dans l’identification des problèmes et dans leur résolution, cette approche en co-construction m’est apparue particulièrement appropriée.

 

Les valeurs et les expériences que proposent les différents sports sont variées, voire parfois opposées. Quels sports faites-vous correspondre avec quelles situations de management ?

 

Oui, au-delà du parallèle général qu’on peut établir entre les sphères sportive et organisationnelle, chaque sport présente des particularités qui permettent d’analyser plus spécifiquement certaines situations de management. Je considère qu’il y a au moins deux caractéristiques d’un sport qui ont une grande influence sur le type de correspondances qu’il est possible d’établir : d’abord évidemment, est-ce qu’il s’agit d’un sport individuel ou collectif ? Dans le premier cas, on pourra établir des parallèles utiles en termes de rapport individuel au travail, à la performance ou au management (ex : style management et performance, préparation mentale, gestion du stress, motivation, etc.), mais le second sera plus adapté pour étudier des phénomènes collectifs (ex : cohésion/inclusion, coopération, leadership, etc.). Une autre caractéristique importante est le rapport à la technologie. Tandis que certains sports requièrent un matériel limité (ex : course à pied, football, etc.), et impliquent donc un rapport limité entre l’humain et la technologie, d’autres sont intrinsèquement liés à des éléments matériels, et impliquent donc un rapport extrêmement fort entre l’humain et la technologie (ex : Formule 1, cyclisme, hockey sur glace, bobsleigh, etc.). Dans le second cas, des parallèles intéressants pourront être établis avec des tâches et des secteurs d’activités qui impliquent une forte interaction entre humains et technologies, tandis que ce sera moins vrai dans le premier cas. Bien sûr, ces deux caractéristiques ne sont pas les seules à prendre en compte, mais elles fournissent déjà une grille de lecture intéressante.

 

Au-delà des métaphores, les pratiques de loisir et les activités professionnelles mobilisent des formes d’engagement bien différentes. A quelles conditions une expérience sportive ponctuelle peut-elle influencer le quotidien des individus ou des collectifs au travail ?

 

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Image : S-Team Experience


Là c’est une autre question ! Pour ma part, je perçois tout ce que la pratique sportive m’apporte à titre individuel, pour me sentir mieux, aussi bien physiquement que mentalement, mais c’est aussi une question de goût personnel ! je n’ai jamais été dans une approche très prosélyte sur cette question. Je pense que la décision de faire du sport ou non doit venir de l’intérieur plutôt que d’une injonction implicite ou d’une pression sociale, sinon, ça peut vite devenir un calvaire. Beaucoup de gens ont montré, bien mieux que je ne pourrais le faire, qu’il existe des bienfaits « objectifs » à avoir une pratique sportive régulière, même légère. Mais après, c’est comme le fait d’arrêter de fumer ou de diminuer la boisson, ça n’est pas parce qu’on sait que c’est bon pour soi qu’on le fait forcément… La seule chose que je pourrais dire là-dessus, pour avoir fait l’expérience d’arrêter puis de reprendre le sport à certaines périodes de ma vie, c’est que le plus dur est la (re)mise en route. Et plus précisément, la première séance de sport n’est généralement pas la plus dure, ce qui est difficile si l’on cherche à avoir une activité physique régulière, c’est de tenir la régularité les deux ou trois premières semaines, quand les courbatures et les petites douleurs commencent à s’accumuler. Mais une fois qu’on passe ce cap, on est un peu moins dans la douleur, et plus dans les sensations, dans le fait de se sentir en mouvement, et c’est ce que je trouve assez agréable, personnellement.

 

Certaines personnes, qui pourraient être des collaborateurs de vos clients, n’aiment pas le sport -elles le revendiquent parfois. Que leur proposez-vous ?


Oui, comme je disais, c’est vraiment une question de goût, et on ne force personne à aimer le sport. Sur nos évènements, on cherche généralement à avoir différents types d’épreuves complémentaires, dont certaines sont sportives et d’autres plutôt intellectuelles ou de culture générale. Et puis au-delà de ça, j’ai remarqué que ce à quoi les non-sportifs sont sensibles malgré tout, c’est ce qui me plaît le plus dans le sport à moi aussi, à savoir sa dramaturgie, sa dimension émotionnelle, presque théâtrale. Quand un footballeur se retrouve seul face au gardien au cours d’une séance de tir au but d’une grande compétition, et qu’on peut lire dans son regard toutes les émotions qui le traversent et toute sa volonté de les maîtriser, ou à l’inverse, quand toute une foule exulte avec un coureur lorsqu’il finit par gagner une course sur le fil, au terme d’un effort surhumain, il y a quelque chose d’assez universel qui passe, et n’importe qui peut y être sensible. Ce sont plutôt ces histoires-là que j’aime partager avec ceux qui n’aiment pas le sport.


Pour en savoir plus :

1) Co-fondée en 2017 avec Mickael Merley
2) Chanal, Lesca & Martinet, 2015, Vers une ingénierie de la recherche en sciences de gestion, Revue Française de Gestion, n° 253 ; Chanal, Lesca & Martinet, 1997, Recherche ingénierique et connaissances procédurales en sciences de gestion : réflexions épistémologiques et méthodologiques, Revue Française de Gestion, n° 116
3) Periac, David & Roberson, 2017, Clarifying the interplay between social innovation and sustainable development: A conceptual framework rooted in paradox management, European Management Review, à paraître. DOI: 10.1111/emre.12121

 

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Je travaille en ce moment à une thèse de doctorant en sociologie autour des espaces de travail au Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés (LATTS). C’est une thèse CIFRE pour laquelle je suis dans la structure Génie des lieux : les nouveaux espaces de travail, le co-working, le travail à domicile, le travail nomade : le travail d’aujourd’hui s’inscrit dans des temps et des espaces nouveaux. Et cela le transforme. J’ai aussi été consultant auprès des élus du personnel, et je m’intéresse également aux questions relatives au droit du travail et au dialogue social.