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par Robert-Charles Chemoul, propos recueillis par Jean-Louis Dayan

Fondée il y a 20 ans, l’association Atouts Cours a pour vocation l’aide aux migrants par l’apprentissage du français. Elle vient aujourd’hui en aide à près de 3 000 personnes à Paris, dont les deux tiers suivent des cours d’alphabétisation ou de français langue étrangère, les autres bénéficiant du soutien d’écrivains publics. Elle ne serait rien sans le bénévolat : si sa gestion occupe 6 salariés, son cœur de métier mobilise près de 200 bénévoles. Son fondateur et directeur, Robert-Charles Chemoul, témoigne ici de sa longue expérience du travail bénévole.

 

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Image issue du reportage de Mélanie Nunes sur l’association Atouts Cours

 

Nous nous intéressons à Metis aux spécificités du travail bénévole. Qu’en pense le responsable associatif que vous êtes ?

 

Je dirai d’abord que mon expérience du bénévolat a commencé par moi-même : avant de devenir salarié de l’association que j’ai fondée, j’y ai contribué gracieusement pendant 12 ans. Et ça n’a pas été une mince contribution : j’y ai mis non seulement du temps et de l’énergie, mais aussi, sur mes propres deniers, de quoi financer les charges de la structure. Pour vous donner un ordre de grandeur, cela doit représenter en 12 ans l’équivalent d’une maison sur la Côte d’Azur ! Et ça n’est pas fini : l’association ne me verse aujourd’hui que le salaire d’un petit temps partiel, et je dois toujours l’essentiel de mes revenus à mon métier de guide-interprète. Pour reprendre le mot de notre président d’honneur, « la gratuité, ça coûte cher » !

 

Mais parlons du bénévolat des autres, ceux qui donnent des cours de français ou sont écrivains publics. Le premier avantage des bénévoles, c’est qu’ils ne comptent pas leur temps. Contrairement à beaucoup de salariés, ils accomplissent leurs missions sans se référer au Code du travail ou aux horaires collectifs. Le revers de la médaille, c’est qu’il est difficile de les « bousculer », ou tout simplement de les rappeler au respect de nos règles de fonctionnement, justement parce qu’ils ne sont pas payés. Souvent d’ailleurs on constate que leur contribution n’est en réalité pas vraiment gratuite. Certains nous rejoignent pour trouver de l’aide, résoudre des problèmes personnels. Il arrive même que ce soit leurs médecins qui nous les envoient, comme si le bénévolat était un remède à leurs maux ! A la limite, il peut nous arriver d’attirer des personnes au comportement bizarre, dont nous préférons nous séparer.

 

Sans aller jusque-là, la particularité des travailleurs bénévoles c’est que n’étant pas payés ils attendent d’autres contreparties. C’est bien sûr la satisfaction de se dévouer à autrui, mais parfois aussi la recherche d’une reconnaissance sociale. La France est un pays qui accorde énormément d’importance aux titres : voyez la valeur qu’on y attribue aux médailles et autres décorations. Nous sommes le pays où l’on trouve le plus de présidents, vice-présidents, secrétaires et trésoriers d’association ! J’ai pour ma part en tête l’exemple de tel ou tel cadre dirigeant que nous avons dû « démissionner » parce qu’il nourrissait de trop fortes ambitions au sein de l’association, ou bien voulait tout encadrer et régenter. Ou encore de bénévoles qui, ayant raté leur carrière professionnelle, cherchaient à réussir dans l’associatif. L’égo prend souvent beaucoup de place dans notre milieu. Par les temps qui courent, il peut aussi en conduire certains à vouloir faire de l’aide aux migrants simplement pour s’en prévaloir et briller en société.

 

Quelle part le travail bénévole prend-il dans votre modèle économique ?

 

Je rappelle nos données de base. Quand Atouts Cours a commencé, en 1997, nous faisions du soutien scolaire à domicile : la question des locaux ne se posait pas. Puis nous nous sommes lancés dans l’apprentissage en groupe du Français langue étrangère, et avons dû pour cela faire appel à des subventions publiques (auprès de la Ville de Paris, du Département, de l’Etat…). Sachant que les personnes publiques excluent les financements à 100 %, nous avons instauré en complément une participation financière des apprenants sous la forme de droits d’inscription (60 € par an aujourd’hui). Nous avons par ailleurs obtenu des prêts de salle (Ville de Paris, maisons des associations, centres sociaux, associations diverses) et sommes parvenus ainsi depuis 6 ou 7 ans à nous autofinancer à un haut niveau d’activité : 1 500 à 2 000 apprenants (1 200 se sont inscrits en 2016), un service d’écrivains publics offert à un millier d’utilisateurs, et des cours dans 26 sites parisiens comprenant une cinquantaine de salles, qui nous permettent de tenir 110 à 120 ateliers chaque semaine.

 

En revanche, nous finançons nous-mêmes les locaux de notre nouveau siège, dont les travaux d’aménagement (livrés « brut de décoffrage ») viennent de nous coûter 100 000 €. De même que les salaires de nos 6 permanents ; bien qu’ils soient tous titulaires de contrats aidés, la masse salariale pèse lourd dans notre budget : à elles seules, les cotisations versées à l’URSSAF dépassent le montant des subventions reçues.

 

C’est donc un équilibre précaire, qui repose largement sur le bénévolat. C’est en même temps un modèle cohérent avec les principes qui fondent notre mission. Nous n’avons pas vocation à fournir des prestations payantes, mais à venir en aide à des personnes pauvres : migrants, réfugiés, primo-arrivants, en limitant au minimum la participation aux frais. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes sélectifs à l’entrée : hors de question que l’on vienne bénéficier chez nous de cours de français quasi-gratuits si l’on n’est pas dans une situation qui le justifie. Sans quoi nous risquerions de toute façon d’être accusés de concurrence déloyale par les organismes à but lucratif qui offrent des cours de français. Soit dit en passant, nous sommes beaucoup moins bien lotis que d’autres structures associatives, comme l’Alliance Française, qui elles font payer leurs prestations et peuvent bénéficier en sus de mises à disposition gratuite de gestionnaires ou d’enseignants de la part de l’Etat.

 

Je ne suis pas sûr d’ailleurs que nous puissions longtemps continuer à ce régime. La « pérennisation » d’une structure associative devient de plus en plus difficile du fait de la forte baisse des subventions publiques. De ce point de vue, la fin prochaine de la libre utilisation de la « réserve parlementaire » ne va pas arranger nos affaires…

 

C’est pourquoi nous faisons de plus en plus appel au mécénat, auprès de fondations privées notamment.

 

Comment recrutez-vous vos bénévoles ?

 

Nous avons commencé à nous faire connaître grâce à un article paru dans un journal local du XVIIIe arrondissement, qui nous a amené nos premiers candidats. Mais aujourd’hui notre recrutement passe très majoritairement par Internet. Le site « Tous bénévoles » nous amène la moitié de nos candidats, celui de la Ville de Paris – « Je m’engage »  – entre 20 et 25 %. Notre propre site et le bouche-à-oreille font le reste.

 

Mais il y a beaucoup de turn-over parmi nos bénévoles. J’ai parlé de ceux qui viennent surtout pour se donner une image « humanitaire », et qui peuvent facilement se désengager. Nous avons aussi beaucoup d’absences, de retards, dus justement au caractère gratuit de l’engagement bénévole. Cela nous vaut parfois des difficultés avec nos hébergeurs, qui mettent des salles à notre disposition et s’étonnent de les voir inoccupées, ce qui nous conduit en retour à nous séparer de certains intervenants. Au total, on peut estimer notre taux de rotation annuel au tiers de l’effectif bénévole, ce qui n’est pas rien.

 

Heureusement, beaucoup de nos intervenants nous sont fidèles. Mais cette fidélité n’a pas que des avantages : impliqués par définition, ils font certes du bon boulot. Mais ils peuvent aussi se montrer très critiques par rapport à notre structure et à son fonctionnement, pas toujours de façon constructive. Nous salariés, qui sommes une petite équipe, avons souvent le sentiment que le travail de notre association n’est pas reconnu, que certains bénévoles ne mesurent pas à sa juste valeur le travail d’organisation qui est le nôtre.

 

Il reste ce qui pour moi est l’essentiel, et ne peut se réduire au calcul économique. Pour le définir, je reprendrai le mot du philosophe américain Ralph Waldo Emerson :

 

« Le bonheur est un parfum que l’on ne peut répandre sur autrui sans en faire rejaillir quelques gouttes sur soi-même ».

 

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