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Nous sommes dans la région du Katanga, au sud de la RDC, République démocratique du Congo, capitale Kinshasa, président Joseph Kabila. Selon le PNUD, en 2013 87,7 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté fixé à 1,25 $ par jour.

 

makala

Kabwita Kasongo est charbonnier. Il a une trentaine d’années. Pour vivre et nourrir ses trois fillettes, Divine, Sefora et Brigitte, il produit et vend du charbon de bois. Son épouse Lydie participe au travail de production. Kabwita est à l’œuvre tout au long de la chaîne de valeur. Il repère un arbre malade. La circonférence de son tronc fait plusieurs mètres. À la hache, avec un geste terriblement précis et efficace, il l’abat puis le découpe en énormes bûches. Il en fait un tas, le recouvre de terre et y met le feu. Un feu qui couve sous l’amas de terre et transforme les troncs et branches en morceaux de charbon de bois. Une bonne quinzaine de sacs permettront de les acheminer jusqu’à sa maison. La deuxième partie du film peut commencer. Elle est beaucoup plus douloureuse.

 

Le vélo de Kabwita est maintenant chargé de tous les sacs. Il peut commencer son périple. 50 kms pour rejoindre la ville de Kolwesi et son immense marché. 50 kms de pistes, étroites et pentues. Dans chaque côte, on voudrait aider Kabwita et pousser sa charge. La difficulté est extrême. À l’approche de la ville, les pistes sont plus larges et plus poussiéreuses. Les camions frôlent Kabwita, ils foncent et l’un d’eux renverse la cargaison. Un peu d’aide de compagnons d’infortune, un peu de charbon de bois perdu et il faut repartir, satisfaire au racket des forces de police pour entrer en ville, embrasser la sœur de Lydie chez qui Divine, 6 ans, vit pour avoir la possibilité d’aller à l’école. Prendre des nouvelles pendant que Divine est en classe, « sinon il y aura trop de pleurs ».

 

La vente peut commencer, et avec elle le marchandage. Kabwata d’abord guilleret, habile au jeu de la négociation sans laquelle il n’y a pas de transaction réussie, devient plus sombre quand en fin de journée il doit brader ses derniers sacs de charbon de bois. Plus sombre encore quand il constate qu’il ne pourra pas acheter les quinze tôles ondulées dont il a besoin pour sa nouvelle maison, même en marchandant à son tour. Une église pentecôtiste, refuge et lieu de prières à la fois, l’accueille pour la nuit. Kabwila se recueille, on l’entend murmurer « il y a bien des soucis dans ma maison » et implorer l’aide divine, comme seul et ultime recours. Au matin, il peut repartir et rentrer chez lui. On l’imagine retrouvant Lydie, ses robes colorées et son sourire.

 

Le film d’Emmanuel Gras est poignant, très poignant, mais il n’est pas dramatique. On reste surpris par la douceur du regard de Kabwila autant que par sa détermination, ému par son sourire trop rare et pourtant éclatant. Il ne se plaint pas, il combat. Il ne se compare pas, il se projette. À chaque moment, on se dit que la distance qui sépare sa vie et la nôtre est proprement incommensurable et on se dit au même instant que rien ne distingue son humanité et la nôtre. Jamais peut-être le théorème des ergonomes selon lequel il n’y a pas de proportionnalité entre l’effort fourni et le produit du travail, n’a semblé aussi vrai et aussi cruel. Mais c’est l’article premier de la déclaration universelle des droits de l’homme, selon lequel « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » qui s’impose comme un mot d’ordre, un combat à mener pour que le principe devienne effectif. Un combat que là où nous sommes nous pouvons et devons mener.

Pour aller plus loin :

MAKALA de Emmanuel Gras avec Kabwita et Lydie Kasongo
Films du losange 
• La RDC c’est aussi le pays de Cheri Samba, merveilleux peintre de renommée internationale, régulièrement exposé à Paris ou à New York.
• C’est le troisième long métrage d’Emmanuel Gras. En 2012 est sorti le remarquable « Bovines ou la vraie vie des vaches »

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.