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par Jorg Hofmann, propos recueillis par Thibaut Madelin

Dans une interview au journal Les Echos, Jorg Hofmann, le président du syndicat IG Metall analyse les méthodes de management de PSA chez Opel. « Monsieur Tavares, ça ne se fait pas de passer partout en force », lance-t-il.

 

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IG Metall, Jorg Hofmann

 

Un an après l’annonce de l’achat d’Opel à General Motors par PSA, la direction du groupe français mène des négociations avec le comité d’entreprise de sa nouvelle filiale allemande. Son objectif : réduire les coûts et ramener à l’équilibre la marque à l’éclair. Un pari risqué après les années de déficit cumulé sous l’ère GM.

 

Les discussions avec le puissant syndicat de la métallurgie IG Metall sont tendues. Elles portent à la fois sur l’application du plan stratégique d’Opel et celle d’un accord salarial de branche, prévoyant une hausse des salaires de 4,3 % dans la métallurgie allemande. Tour d’horizon avec Jorg Hoffman, son président.

 

Comment fonctionne la coopération avec les syndicats français chez Opel ?


Elle commence à peine. Opel a de grands sites en Pologne et en Espagne. On voit déjà clairement que PSA essaie de faire jouer les sites industriels les uns contre les autres. Nous avons besoin d’une approche commune des personnels d’Opel et Vauxhall, mais nous avons des premiers contacts avec les collègues de PSA. On doit certainement les intensifier.

 

Quelle est votre relation avec PSA ?


Monsieur Tavares est un manager qui fonctionne clairement sur la base de « benchmarks », qui permettent d’ailleurs de détecter des faiblesses d’Opel, mais ça ne se fait pas de passer partout en force. On doit quand même lui expliquer souvent le rôle de la cogestion et des accords de branche en Allemagne qui sont des facteurs de développement durable favorables à l’engagement des employés. Mais avec de la persévérance et un IG Metall fort, ça fonctionne. Monsieur Tavares n’est d’ailleurs pas un cas isolé. Ceci arrive dans beaucoup de grands groupes qui gouvernent de manière centralisée depuis leur siège à l’étranger.

 

On aurait pu penser que ce serait mieux qu’avec General Motors…

 

Oui et non. Il y a des avantages et des inconvénients. L’Amérique était loin. Les Français sont plus impliqués. Ils sont aussi plus transparents et plus clairs dans la formulation des sujets à traiter.

 

Daimler a aussi un nouvel actionnaire, avec Geely. Êtes-vous toujours aussi ouverts aux investisseurs chinois ?


Nous avons une certaine prudence en ce qui concerne la question du transfert de technologie vers la Chine. Nous ne pouvons nous prémunir du danger qu’en étant deux crans en avance sur la concurrence en matière d’innovation. Mais nous voyons les Chinois rattraper énormément de retard, par exemple dans la machine-outil. L’autre côté de la médaille, c’est que le capital chinois est très patient : ils investissent sur le long terme et durablement. Jusqu’à présent, ils interfèrent peu dans la gestion opérationnelle. Mis à part une ou deux exceptions, ils laissent le management allemand agir librement. On ne peut pas se plaindre de leur traitement de la cogestion ou des droits des employés.

 

Craignez-vous une guerre commerciale avec les États-Unis ?


Les barrières commerciales sont toujours défavorables pour une nation exportatrice comme l’Allemagne, mais aussi pour les autres. Si l’on prend le secteur automobile, je suis toutefois un peu détendu, car les constructeurs allemands, grâce à leurs usines sur place, sont les plus gros exportateurs depuis les États-Unis. Le fait que l’industrie allemande ait réalisé beaucoup d’investissements directs à l’étranger ces dernières années nous protège un petit peu. Mais ça reste un développement critique pour nous.

 

Quelle est la responsabilité de l’industrie dans la crise du diesel ?

L’industrie automobile a une responsabilité là où elle a triché. Mais c’est différent quand les véhicules ont rempli les conditions d’immatriculations en vigueur. Dans ce cas, ils sont techniquement conformes. À cela s’ajoute le respect des normes d’émission d’oxyde d’azote, car certains centres-villes doivent réagir d’urgence aux pics de pollution. À ce sujet, je suis d’avis que le problème ne peut être réglé seulement par l’industrie automobile.

 

Le nouvel accord de branche prévoit la possibilité de travailler 28 heures par semaine pendant deux ans. Est-ce un tournant ?

 

Jusqu’au milieu des années 1990, l’IG Metall était très occupé par la réduction collective du temps de travail à 35 heures par semaine. La flexibilité élevée des dernières décennies a d’abord profité aux employeurs. Puis nous nous sommes attaqués à la réduction du temps de travail en faveur du maintien de l’emploi, par exemple avec la semaine de 4 jours chez Volkswagen. La flexibilité nous a ensuite extrêmement aidés durant la crise économique et financière. Nous l’avons traversé sans licenciements secs et avons pu profiter de la reprise après. Mais il ne faut pas oublier que la flexibilité élevée des dernières décennies a d’abord profité aux employeurs. L’accord tarifaire représente à cet égard une césure, car avec les horaires de travail choisis, ce sont les employés et leurs intérêts qui priment.

 

Pensez-vous que beaucoup choisiront de travailler 28 heures ?

 

C’est la question clef et c’est difficile à estimer. Notre expérience montre que le sujet du temps de travail est devenu extrêmement important, surtout pour les jeunes employés. Ils abordent la question de l’équilibre entre vie familiale et professionnelle d’une manière totalement différente que les ouvriers spécialisés classiques dans le passé.

 

Vous avez mené pour la première fois des grèves de 24 heures. Assiste-t-on en Allemagne à une revitalisation du conflit social ?

 

Je ne voudrais pas exagérer. Nous avons en ce moment une conjoncture dynamique et un bon marché de l’emploi, qui a renforcé notre position de négociation. Et nous sommes de toute façon une équipe qui a confiance en elle ! Mais nous avons créé avec ce nouvel instrument une possibilité qui nous était très importante : un mouvement social national, homogène et graduel. Dans le passé, nous devions choisir entre les débrayages et les grèves régionales illimitées.

 

L’accord vous aide à recruter des membres ?

 

Il aide déjà massivement ! Au cours de deux derniers mois uniquement, nous avons gagné plus de 10 000 membres par rapport à l’année dernière. Grâce au volet sur le temps de travail, nous avons réussi à toucher positivement l’opinion publique.

 

Vous avez aussi obtenu des augmentations de 4,3 % pour 2018…

 

Et de plus de 7 % pour les 27 prochains mois. C’est plus que par le passé et ça montre à quel point notre secteur se porte bien.

 

Un nouveau syndicat de droite essaye de faire concurrence à l’IG Metall. Est-ce que ça vous inquiète ?

 

Pour le moment non. Nous devons surveiller la manière dont ce genre de réseaux continue à s’ancrer. Mais on doit se demander de manière générale : comment aborder les raisons du succès de l’extrême droite ? Comment la politique peut-elle répondre aux craintes des employés et résoudre la tension entre le changement nécessaire, d’une part, et la sécurité d’autre part, pour que les gens ne se replient pas sur eux-mêmes. Sinon ils suivent la devise « pas de changement, on ferme les portes aux étrangers ». C’est un défi pour nous, mais aussi pour le gouvernement.

Cet entretien réalisé par Thibaut Madelin a été publié le 12 mars 2018 par Les Echos qui a autorisé Metis à le reprendre.

 

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