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par Joël Larousse

Les choix de localisation, d’aménagement et d’organisation des espaces de travail sont confrontés aux transformations rapides du travail et l’offre des services qui les accompagne évolue. Près de 40 % des entreprises ont opté pour le Facility Management (FM). Elles externalisent et sous-traitent auprès d’un prestataire le gros des services aux immeubles et aux habitants requis pour leur fonctionnement. Au moment où les enjeux de santé et de performance d’un travail devenu majoritairement serviciel se tendent, ces entreprises confient les leviers de la QVT de leurs propres salariés à des opérateurs extérieurs. Joël Larousse, secrétaire général adjoint de l’ARSEG, en dresse un tableau.

 

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Ce mouvement est engagé depuis plusieurs décennies déjà. Il est porteur de potentialités favorables, à condition cependant que les clients/donneurs d’ordre et les « FMers » inventent les conditions d’une réelle coopération.

 

Les entreprises, notamment les plus grandes, cherchent à piloter au mieux les activités couvertes par le FM en contribution de leur cœur de métier. Le constat est cependant que leur attente est souvent trahie dans la mise en œuvre. L’échec provient moins de la carence en compétence dans l’exécution des prestations que de la difficulté à piloter des chaînes longues. Chaque maillon, externe (FM prestataire et sous-traitant, Assistant à Maîtrise d’Ouvrage, bureaux d’études) comme interne (Environnement du Travail, financiers, Achats, SI, immobilier, etc.), capte en toute bonne foi une partie de la valeur à son profit (bon actif immobilier, bon achat, bon SI) et au final, appauvrit l’ensemble (le résultat produit essentiellement sur le terrain des frustrations). Le secteur du FM souffre d’une maladie que les marchands d’eau connaissent bien : produire l’eau coûte cher, le réseau fuit et la pression n’arrive pas jusqu’à l’utilisateur final. Il faut revoir le modèle qui nourrit trop de contrôleurs et pas assez de dynamiseurs.

 

Agir ensemble plutôt que diviser les forces

Au-delà de l’assemblage de prestations, le modèle de l’intégration des compétences FM est celui d’une entreprise, pas celui d’un processus. Filiales, GIE, full FM pour les grandes entreprises, start-up de services – encore largement à inventer – pour les PME, que ce soit en interne ou en externe, la solution réside davantage dans l’invention d’une dynamique entrepreneuriale que dans l’empilement des experts, des conseils, des supports, et des couches de sous-traitance qui finissent par donner raison à tous ceux qui coupent et réduisent au lieu de développer.

 

Le pilotage du FM n’est efficace que s’il est capable de restaurer, par la simplicité et la clarté de sa stratégie, une dynamique collective qui additionne les forces au lieu de diviser les moyens. C’est la mission qui incombe aujourd’hui à ce métier qui s’identifie dans les « directions des environnements du travail » (DET). Ils prescrivent le cadre de l’activité économique de près de 4 millions de personnes.

 

Des clients ET des prestataires pour une mission commune

 

Une première étape de professionnalisation du secteur des services aux immeubles et aux habitants des espaces de travail a été opérée ces vingt dernières années. Les donneurs d’ordres et les prestataires font face aux mêmes problématiques et à la même pression sur les coûts. Les donneurs d’ordres se trouvent souvent dans une posture de prestataire interne… Peu importe, finalement, que le pilotage soit externalisé ou non, pourvu qu’il soit bon et adressé à la problématique adéquate.

 

C’est là que le bât blesse. D’un côté comme de l’autre, il manque une définition de la mission qui s’impose : mettre en œuvre la politique de rupture nécessaire pour répondre aux défis de l’excellence, imposer le fait que les services aux immeubles et aux bénéficiaires des espaces de travail – y compris l’immeuble pris comme un service – ne sont pas une ligne de coût, mais le lieu d’un investissement.

 

Les espaces de travail comme écosystèmes productifs de valeur

 

Notre époque devient attentive à la qualité de la relation dans le travail qui différencie la performance de l’homme de celle du robot. Elle sait que c’est son champ d’engagement. Chacun attend donc de la technologie qu’elle lui offre en support de cet engagement, en temps réel, le service personnalisé auquel il estime avoir droit pendant son travail comme il en dispose dans sa vie privée. Il s’ensuit dans le domaine du FM deux champs d’innovation :
– technologique, pour construire l’environnement numérique capable de produire les smart buildings et l’offre digitale associée,
– socio-économique, pour renouveler l’investissement en formation dans le capital humain dans ce nouveau paradigme.

 

Il s’agit d’engager le réapprentissage de ce que service veut dire dans le domaine FM. Il s’agit de replacer la mission des métiers de l’environnement du travail dans la qualité de la relation de service, et assigner d’emblée aux investissements technologiques d’avoir à intégrer cet objectif. Le succès pour le secteur du FM, et sa maturité à venir -il n’a que 20 ou 30 ans – sont au bout de ce chemin. Les parties prenantes doivent se repositionner dans une convergence d’intérêt et co-construire, à partir d’une trajectoire commune vers un modèle de service pertinent, un environnement tourné vers la production. Les mots sont importants : arrêtons de parler d’exploitation pour désigner les chantiers FM – exploiter une mine ou un collectif de travail, c’est toujours l’épuiser -, parlons plutôt de production.

 

Réunir les conditions de la collaboration

 

La co-construction du service ne s’arrête pas à un exercice entre les responsables du donneur d’ordre (le client, « DO »)) et ceux du FMer (le prestataire de premier rang), serait-il scellé par les Achats. Il faut sortir de ce face-à-face stérile. L’attelage FMer-DO épuise le métier. Il capte la problématique là où la transaction est passée…, c’est-à-dire à un endroit qui ne produit pas de richesse ! La prestation ne fera sens que si elle est d’emblée conçue en fonction de son impact sur chaque client final de l’entreprise utilisatrice d‘un côté (ses salariés). Elle ne sera efficace que si elle permet aux FMers et à ses sous-traitants de produire un service pertinent au bon endroit. Tout le reste est une prise d’intérêt par des intermédiaires qui ont évidemment avantage à ce que rien ne change.

 

Dans cette perspective, le réinvestissement de la notion de service, de la transformation digitale, de la formation, nécessite une coopération plus fluide qu’elle ne l’est aujourd’hui entre DO et FMer. Il est temps de cesser de penser que dans un monde – digital – où chacun souhaite bénéficier d’un environnement de biens et de services personnalisés, le FM peut continuer à fournir un service de masse non qualifié et non différencié, produit par des salariés invisibles, aussi bien comme personnes que comme coût. Les « Temps Modernes » du FM sont terminés.

 

Coopérer au niveau du travail des œuvrants eux-mêmes

 

La valeur du service provient de la qualité de la relation entre celui qui le produit et celui qui en bénéficie, à chaque endroit où s’établit la relation. Il n’y a de relation de qualité que si les acteurs sont d’accord sur le sens et les termes de ce qu’ils font ensemble. Trop souvent, les stratégies de tête de réseau, au moment de la relation commerciale ou dans les choix stratégiques, ne sont ni intelligibles, ni pertinentes, ni partageables sur le terrain. Privée de sens à mettre en jeu (privée d’enjeu), la relation de service là où elle est produite perd sa valeur et sa vitalité, elle échoue. L’apparition et le développement rapide de start-up dans le champ des services – sur un modèle en circuit court – confirment que l’ère de la pesante déclinaison territoriale de politiques centrales est terminée. Le marché qui s’ouvre donnera toute sa valeur à la relation directe du producteur du service à son bénéficiaire, là où elle se situe, et en parfaite connaissance – et dans le partage – des enjeux. Une redistribution territoriale – une « smart grid » des services – est en émergence. Elle irrigue le FM, mais elle passe par le lâcher-prise de quelques ronds-de-cuir et le ré-enchantement de la relation entre les salariés qui produisent le service et ceux qui en bénéficient. Des secteurs comme le retail ou l’hôtellerie disposent depuis vingt ans et plus d’une ingénierie de ces domaines. Le secteur du FM en est encore à la découverte de cette évidence.

 

Inventer un métier à la hauteur des besoins

 

L’effort dépasse la volonté d’une entreprise, d’un DO ou d’un FMer. La réussite viendra d’un effort collectif où l’État a sa part pour l’organisation de la filière. Les FMers et les DO (clients) savent que la production de services aux immeubles et aux habitants des espaces de travail s’exprimera de plus en plus au travers du digital, comme aujourd’hui déjà dans les services aux particuliers. Le FM est engagé dans le passage d’un modèle B2B à un modèle B2C. Il est voué à être porté par des plateformes administrant le design du service, l’offre, la souscription, l’administration des ventes, la fidélisation, l’exploitation des datas associées et l’outillage de la production du service. Le digital fera son office dans le FM comme ailleurs : les structures trop lourdes, trop complexes, trop lentes, les intermédiaires inutiles tomberont au profit d’une relation directe du producteur, c’est-à-dire l’œuvrant du service, au bénéficiaire.

 

Or l’informatique de gestion des services dans le FM ne connaît pas le bénéficiaire. Elle est encore largement structurée par site, maille du compte d’exploitation des services – rarement en temps réel et sûrement pas par salarié ! Le reporting n’est pas assez fin pour permettre une vraie analyse de gestion. Le volume et la qualité des data pour gérer à terme l’offre par les profils utilisateurs n’est pas au niveau… Le saut est donc considérable. Nous ne sommes qu’à l’aube de cette transformation. Mais serons-nous assez rapides ? Ces technologies sont déjà rodées dans d’autres domaines, qui cherchent des champs de croissance. Les plateformes FM, peuvent tout aussi bien être pensées, développées, installées en prédation de l’écosystème et sans attention aux répercussions notamment sociales de leurs modèles. La vigilance est donc requise. Rien n’est prêt. Ni les FMers, ni les entreprises clientes n’arriveront seuls, chacun de son côté, à formuler le programme et installer les conditions d’une économie des services FM compétitive.

 

Repenser la formation du secteur dans son ensemble

 

Avec le syndicat professionnel des entreprises de multiservice immobilier (SYPEMI, voir son livre blanc A La croisée des chemins), les professionnels de l’environnement du travail doivent s’inquiéter de l’absence d’une université du FM. Au-delà même, c’est l’ensemble de nos métiers qui méritent une filière d’excellence… De l’exécution au pilotage, nos savoir-faire devraient être uniformisés et certifiés. C’est de la recherche -inexistante aujourd’hui – que doit venir l’innovation. On ne peut sérieusement penser former plusieurs millions de personnes dans une logique de filière sans construire, codifier et structurer les parcours et les modules de formation. La santé et l’hôtellerie l’ont fait bien avant le FM. L’excellence se construit sur un vivier, qu’il faut solliciter, entrainer, motiver. DO et FMeurs doivent user leurs culottes sur les mêmes bancs d’école pour se comprendre sur les prérequis d’une relation productive et éviter que les uns fassent des économies dangereuses qui éreinteront les moyens de production du contrat, et les autres une marge indue qui ruinera la confiance indispensable. C’est à ces conditions – d’un savoir à partager et d’une éthique qui s’y adosse – que la réussite collective des services FM pourra émerger.

 

Pour en savoir plus :


ARSEG, Association des directeurs de l’environnement de travail 

 

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