Le coworking n’est pas une mode bobo parisienne mais une innovation en matière de conception du travail et une nouvelle façon d’aborder les questions d’aménagement du territoire. Lucie Verchère est chargée de mission Temps et services innovants au sein de la Direction de la Prospective et du Dialogue public du Grand Lyon. Elle nous présente le réseau « Coworking Grand Lyon », qui depuis 2014 regroupe, anime et coordonne des espaces de coworking de la Métropole.
Il est intéressant d’être précis dans ses rattachements pour comprendre l’histoire et le rôle du réseau. La mission Temps et services innovants a été créée en 2003 afin 1) d’observer les nouveaux rythmes, usages et modes de vie du territoire et 2) de mettre en place des services qui correspondent à ces innovations. À cette époque, la plupart des grandes villes et métropoles (Rennes 2002, Paris 2004, Lille 2010, etc.) se dotent de leur Bureau des temps. (voir l’article écrit en 2003 par Jean-Yves Boulin ‒ « Les temps de la ville » ‒ dans la Revue Projet). Le mouvement perdure et s’amplifie au fur et à mesure que les problématiques abordées évoluent – notamment avec l’évolution des mentalités, le développement de nouveaux modes de travail et l’essor des nouvelles technologies.
Depuis 2015, ces bureaux des temps sont regroupés dans l’association Tempo Territorial, « Réseau national des acteurs des démarches temporelles », dont l’objet est « de sensibiliser les collectivités territoriales aux enjeux temporels et à la pertinence d’intégrer dans leurs actions cette nouvelle politique publique transversale, gage d’égalité entre les citoyens et de bien-vivre ensemble ; et de favoriser, entre acteurs des démarches temporelles territoriales : l’échange, le partage, l’apprentissage, la mutualisation, la coopération, dans un but non lucratif. »
Ces acteurs qui travaillent sur les questions du temps, du territoire, des mobilités guettent sans relâche les pratiques innovantes, les promeuvent et en favorisent une diffusion vertueuse. Il était évident qu’ils allaient s‘intéresser aux espaces de coworking quand ceux-ci sont apparus.
« La mission Temps et services innovants s’intéresse depuis le début à la question des mobilités. Avec les entreprises du Grand Lyon, nous avons mis en place des plans de mobilité avant que ceux-ci ne soient obligatoires, explique Lucie Verchère. Nous regardons aussi les nouveaux liens, lieux et formes d’organisation du travail. C’est en 2009 que nous avons commencé à nous intéresser au travail nomade, au télétravail et au coworking, phénomène alors émergent tandis que le premier espace de coworking ouvrait en 2006 à San Francisco. La première des 59 communes que compte la Métropole Grand Lyon à ouvrir un tel lieu a été Charly, en zone péri-urbaine. L’idée de créer un réseau des espaces de coworking est née cette même année lorsque le Tour de France du télétravail, organisé par Xavier de Mazenod de Zevillage, a fait étape à Lyon. »
La métropole Grand Lyon comptait 1 espace de coworking en 2009, 4 en 2012 ; ils sont aujourd’hui 22 au sein de Coworking Grand Lyon.
« L’apparition du coworking correspond à l’évolution du rapport au lieu de travail. Elle est en lien avec l’évolution générationnelle ‒ les millenials travaillent n’importe où, n’importe quand ‒ et l’évolution plus générale des rythmes de vie et de travail, désynchronisés, qui fait qu’on ne se retrouve plus systématiquement au même endroit, aux mêmes heures, avec les mêmes collègues. Le développement du numérique a aidé cette évolution ainsi que le développement du travail collaboratif et participatif. Deux mots, deux valeurs qui ont toute leur place dans l’esprit coworking. »
Une philosophie, une charte
« La promesse du coworking consiste à proposer une nouvelle philosophie du travail fondée sur le sens et le partage. Il rassemble une communauté de personnes et d’organisations qui partagent plus qu’un espace et des outils de travail : des échanges, des liens, des projets, accélérateurs d’innovations.
Au-delà de leur singularité, ces acteurs citoyens se caractérisent par quatre valeurs communes : la bienveillance, le partage, l’égalité et la transparence. Les membres du collectif s’engagent à agir en confiance, dans une approche loyale et non concurrentielle entre espaces. Ces valeurs se déclinent au travers de 12 engagements :
1. Mutualiser un espace de travail d’une superficie minimum de 80 m2 comprenant a minima une salle de réunion, des outils mutualisés, un espace de convivialité dans lequel se trouve un lieu adapté à des repas partagés, afin de mettre à disposition un cadre de travail et de partage qui facilite à la fois les collaborations et la convivialité.
2. Organiser au moins 15 ateliers participatifs et des événements pour les coworkers chaque année.
3. Accueillir au minimum 10 membres actifs par mois (objectif à 6 mois pour les nouveaux entrants).
4. Proposer un contexte ouvert et incitatif d’implication des coworkers dans la gouvernance de l’espace de coworking.
5. Les membres du réseau s’engagent à ne pas faire de prosélytisme politique, religieux et syndical.
6. Cultiver un esprit d’entraide en n’accueillant, pour au moins 80 % des usagers, que des individus ou équipes composées de 3 personnes maximum d’une même structure.
7. Valoriser à travers différents outils de communication les projets, compétences, savoir-faire et identités des coworkers.
8. Proposer au moins une formule souple permettant de venir « à la carte », sans engagement de durée.
9. Proposer un tarif journalier pour l’espace de coworking et ses services associés inférieur à 40 euros HT.
10. Mettre à disposition des coworkers, dans une logique de transparence, un rapport d’activité comprenant a minima le nombre d’adhérents, le chiffre d’affaires et la répartition des dépenses.
11. Être acteur au sein du collectif Coworking Grand Lyon en participant aux réunions.
Co-organiser entre membres actifs du collectif au moins 2 événements par an, ouverts aux coworkers des espaces ainsi qu’à des personnes externes. »
Et 6 défis à relever
CGL a pour mission de rassembler la communauté de toutes celles et ceux qui s’impliquent dans le développement du coworking sur le territoire du Grand Lyon. Il est question de coordination et d’animation. « Une animation douce, surtout pas descendante, précise Lucie Verchère, parce que les coworkers sont très attachés aux valeurs de partage et de participatif. »
Pour remplir au mieux sa mission, et devant l’engouement que suscite le coworking, CGL et la Métropole Grand Lyon ont organisé le 3 février 2017 les premières Assises nationales du coworking qui ont notamment formulé six enjeux qui doivent permettre au phénomène de tenir sa promesse. Ils sont résumés ci-dessous et à lire in extenso en ligne :
1. Garder sa vocation initiale, trouver son modèle
La concurrence et l’arrivée de grands groupes sur le marché vont-elles obliger certaines structures, trop fragiles, à mettre la clé sous la porte ? Le concept originel risque-t-il de se dénaturer ? La question traverse les esprits. (…) Pour défendre leurs valeurs, les espaces de coworking ont tout intérêt à se constituer en réseau, à l’instar du réseau Coworking Grand Lyon…
2. Construire et préserver une communauté
L’atout clé du coworking, c’est la force de sa communauté. Mais impulser un esprit d’entraide ne s’improvise pas. La présence d’un animateur est jugée indispensable. D’autant que, très vite, l’équilibre peut basculer. (…) Co-lunchs, réseaux sociaux, brainstormings fiévreux, cours de zumba… la rencontre a témoigné de la diversité d’initiatives, déployée dans ces tiers lieux, pour stimuler les synergies.
3. Soutenir les indépendants et les chômeurs
« Beaucoup d’indépendants travaillent 70 heures par semaine pour à peine 1 000 € par mois. Comment ces espaces peuvent-ils aider leurs membres à sortir la tête de l’eau et à vivre un peu moins dans la précarité ? », interroge le consultant Hugues de Vaulx. (…) Parmi les pistes évoquées : donner de la visibilité aux savoir-faire des coworkers via des portails ; mieux identifier les besoins des territoires ; encourager les collaborations business et les échanges d’expériences entre coworkers. Parmi les autres propositions : donner un coup de pouce aux publics précaires et aux chômeurs en développant une offre accessible, le troc ou l’échange de services.
4. Inspirer la ville
Booster l’innovation économique, le vivre-ensemble, réduire les temps de transport, etc. : le coworking a un impact direct sur les villes et l’aménagement du territoire. (…)
5. Essaimer à la campagne ou en péri-urbain
« Les communes de moins de 3 500 habitants occupent 90 % de l’Hexagone et nombreux sont ceux qui vont pourtant dans les grandes villes pour travailler, rappelle Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France. Les faire revenir, grâce à des tiers-lieux, permet de redynamiser les campagnes. »
6. Rallier les entreprises
Malgré les discours affichés, les entreprises hésitent encore à sauter le pas du télétravail. (…) « Au-delà de l’acculturation, il y a un problème d’offre, analyse Jean Pouly. Il faut une diversité de gamme pour répondre aux besoins des entreprises : du coworking haut de gamme, de l’accessible, des espaces au vert… »
Ne pas confondre le coworking, les bureaux partagés, les tiers lieux ou autres fablabs
« Il existe de multiples lignes de tension entre ces différents espaces, explique Lucie Verchère. Ainsi, les bureaux partagés sont « promus » par les promoteurs immobiliers comme étant des lieux de coworking alors qu’ils n’en ont pas forcément les caractéristiques parce qu’ils sont pensés comme une solution d’abord marchande et immobilière. Les fablabs et les tiers lieux sont des lieux qui favorisent le partage de l’expérience, des lieux où se créent des objets, alors que les espaces de coworking sont des lieux où l’on va pour travailler, produire de la valeur économique. Ce sont des lieux déportés du lieu de l’entreprise. Les coworkers sont plutôt des indépendants et des freelances, peu sont salariés, ce sont souvent des personnes qui créent leur emploi et évitent ainsi de rester enfermées et isolées chez elles. »
Coworking Grand Lyon
Quelques chiffres :
• 14 enseignes de coworking (certaines ont un statut d’entreprises, d’autres un statut associatif ; certaines sont soutenues par des collectivités locales ou des entreprises) représentant 22 espaces
• Plus de 1 400 coworkers, dont 80 % sont des indépendants.
• 150 startups
• 8 000 m2
• Plus de 1 300 événements annuels
• Certains espaces sont thématiques : l’Atelier des Médias (métiers de l’information), Etic (entrepreneurs de l’ESS), Locaux Motiv (laboratoire d’expérimentations et d’innovations sociales), Webup Space (édition web), BoostinLyon (accélérateur de startups), MIX (3 espaces de coworking, spécialisés dans le soutien à l’emploi), CCO (communauté de travailleurs porteurs de projets artistiques, citoyens, numériques, sociaux et solidaires), Lobster (un pôle entrepreneurial pour les musiques actuelles)
• D’autres sont généralistes : Ecoworking, La Cordée, ChloroFeel, Melchior, Nomade
NB : Les modèles économiques sont diversifiés : la plus grande partie des espaces concerne un modèle privé, d’autres s’appuient sur le milieu associatif, enfin quelques-uns sont soutenus par les communes accueillantes.
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