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Le dossier de Metis « Former par le travail » a mis l’accent sur l’importance des compétences professionnelles qui se construisent dans le travail, et pas seulement dans la formation académique, mais aussi par l’acquisition de compétences professionnelles : « faire en faisant faire ». Le parcours professionnel se crée ainsi par le biais de l’expérience. C’est à travers cette approche que j’ai proposé d’interviewer Denis Cambou, accompagnateur technique et directeur de Solidarauto 49, une association et entreprise d’insertion située à Trélazé, près d’Angers.

 

garage

 

Denis Cambou a commencé sa collaboration avec Solidarauto en 2011 comme encadrant technique. De formation en ingénierie mécanique, cet ancien salarié de Médecins sans Frontières s’est tourné vers les métiers d’insertion à son retour en France. Trois ans plus tard, en 2014, il est devenu Directeur de cette entreprise d’insertion.

 

La création du Garage

 

Le garage solidaire de Trélazé a été créé en 2010, suite à la réflexion d’un groupe de bénévoles en charge de l’activité Microcrédit au Secours Catholique. Cette équipe constate très rapidement que 80 % des demandes réalisées étaient destinées à l’achat de véhicules d’occasion, souvent avec des besoins de réparation. La mobilité représente le principal frein d’accès à l’emploi dans les territoires ruraux. Pour faire face à cette problématique, l’équipe de bénévoles d’Angers s’est mobilisée pour mettre en place un service adapté avec des tarifs avantageux. Aujourd’hui, ils disposent de deux équipes : à Trélazé et à Belle Beille.

 

La réparation, la location ou l’achat de véhicules d’occasion à des prix modérés étaient les principaux objectifs de ce garage solidaire qui, au fil du temps, est aussi devenu un lieu de formation.

 

Le passage en entreprise d’insertion

 

Le passage à une entreprise d’insertion s´est imposé de manière logique dans ce projet. Il fallait trouver à la fois un modèle économique qui « tienne la route et ne soit pas cher », l’objectif étant de proposer des prix adaptés. Simple à dire, mais difficile à réaliser. Comme dans toute activité de l’Economie Sociale et Solidaire, la rentabilité est placée au second plan par rapport au critère humain qui est le plus important.

 

Denis nous explique comment le passage en entreprise d’insertion a permis en premier lieu de poursuivre leur démarche d’aide aux personnes en situation difficile en proposant des contrats en formation et ensuite de trouver de nouveaux moyens de financement à partir des aides reçues. C’était du gagnant-gagnant ! Accompagnement et prix adaptés.

 

L’insertion par l’activité économique propose un modèle dont l’objectif est de concilier rentabilité et réinsertion sociale à partir de l’accompagnement de personnes salariées pendant une période déterminée. Ce statut regroupe plusieurs types de structures qui relèvent de l’ESS : entreprise ou association, sous le statut d’Entreprise d’insertion (EI), Entreprise de travail temporaire d’insertion (ETTI) ou Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI).

 

La reconnaissance de ce statut entraîne la signature d’une convention avec l’État. Chaque année, l’EI doit envoyer un bilan d’activité précisant les revenus, les actions conduites et leurs résultats à l’issue de l’expérience. En contrepartie, l’entreprise reçoit des aides mensuelles pour les postes en insertion professionnelle.

Le garage d’Angers est une association qui gère une entreprise d’insertion. Il compte 12 salariés en total, dont 3 en insertion. Il propose des contrats à durée déterminée d’insertion (CDDI) de 2 ans avec une rémunération équivalente au SMIC (1487,47 euros brut par mois). À la différence d’un atelier d’insertion, qui est davantage focalisé sur l’accompagnement, l’EI met l’accent sur l’activité. Denis recrute des personnes disposant d’un minimum de connaissances sur le métier, acquises soit par l’expérience, soit par la préparation d’un diplôme (CAP automobile par exemple). La condition sine qua non pour intégrer son équipe est de disposer d’une certaine autonomie dans la réalisation des tâches liées à l’entretien d’un véhicule. Ensuite, un entretien de diagnostic est réalisé pour identifier les points forts, mais aussi les faiblesses sur lesquelles les salariés seront amenés à travailler tout au long de l’année.

 

Travailler et être accompagné

 

Dans le garage de Trélazé, le salarié en insertion est accompagné par deux personnes : un encadrant technique et un chargé d’insertion professionnelle (CIP). Outre l’évaluation à l’arrivée, des mises au point régulières sont réalisées pour évaluer la progression. Tout cela est fait avec l’aide du chargé d’insertion professionnelle. Il s’agit d’une personne mise à disposition par une autre association partenaire afin de soutenir l’accompagnement des encadrants et notamment la réinsertion professionnelle, pour « l’après ». « Même s’il agit d’une seule demi-journée par semaine, sa mission est décisive pour la réussite complète du projet « nous raconte Denis. Cette personne s’occupe de faire » le bon match « entre les offres disponibles sur le marché, et les compétences des personnes accompagnées.  » Souvent, les salariés partent avant ces deux ans de CDDI parce qu’ils ont trouvé un autre emploi.

 

Depuis son ouverture, le taux de personnes qui ont retrouvé un emploi est de 60 %. En 2017 ce chiffre a atteint 86 %.

 

En dépit de la convention établie avec Pôle emploi, qui permet la mise en œuvre de cet accompagnement, c’est l’équipe de Denis et en particulier le chargé d’accompagnement en insertion qui s’occupe véritablement d’identifier les opportunités de réinsertion.

 

Une autre particularité de ce type de contrat, c’est sa flexibilité : la possibilité de rupture automatique en cas d’embauche en CDI par une entreprise classique. Le préavis n’existe pas, une simple notification suffit.

 

Malgré l’opportunité d’apprentissage, la précarité reste présente dans ce modèle de contrat. « Les salaires restent assez bas » souligne Joël, salarié embauché en CDI classique suite à son contrat d’insertion. Il s’agit du seul point négatif que relève ce jeune malgache, qui souligne l’importance d’un tel tremplin dans un parcours professionnel, « bien meilleur qu’une formation purement académique ».

 

Le fonctionnement

 

Le service de réparation est ouvert au grand public. Le garage dispose d’un tarif double : des prix solidaires sur les pièces détachées (36 euros nets) pour ceux dont le quotient familial ne dépasse pas les 706 euros par mois et plein tarif (proche de celle du marché – 48,5 euros + TVA) pour les clients « les plus fortunés ». Cependant la vente reste limitée aux clients solidaires. Les employés se servent de l’attestation fiscale du quotient familial pour vérifier ces données. Ce modèle permet de co-agir avec l’ensemble des acteurs économiques du terrain sans devenir un élément concurrentiel.

 

Le ratio clients solidaires et clients plein tarif est de 80 % – 20 %. Parmi les clients, les familles mono-parentales sont les plus concernées. Selon les chiffres officiels de la Caisse de Dépôts sur le microcrédit personnel en France, 67 % des microcrédits sont destinés à un public féminin.

 

Les difficultés rencontrées

 

« Il ne s’agit pas du pays des bisounours », nous dit Denis. « Le chargé d’accompagnement nous aide une fois par semaine, mais le reste… c’est nous qui sommes en charge ! »

 

La seule différence avec un garage « classique » c’est le prix et l’esprit ! Comme dans tout métier technique, les horaires et la rigueur s’imposent dans ce métier qui peut entraîner des risques. La principale difficulté soulignée reste la maîtrise de la langue. Il s’agit d’une étape importante à dépasser rapidement. Pour cela, le garage peut compter sur l’aide des bénévoles qui viennent donner des cours de français.

 

Néanmoins, le temps passé à la formation de la langue n’est pas consacré à celui de l’apprentissage du métier. Une petite course pour atteindre les objectifs préétablis s’impose !

 

La réussite du modèle : la confiance et l’accompagnement

 

Depuis son ouverture, le garage a fait ses preuves. Il a trouvé une relative stabilité économique grâce à son expérience et à la confiance accordée par l’ensemble des acteurs territoriaux (clients, donateurs, collectivité territoriale et mécène). Tandis que le financement public représente 45 % du coût des salaires des trois postes en CDDI, le reste des charges doit être couvert par l’activité.

 

Solidarauto propose un service basé sur l’accompagnement adapté pour ses adhérents (tout client doit payer la cotisation de 12euros/an pour devenir adhérent) et la confiance. Ce dernier critère est très important dans le quotidien du travail, mais aussi dans la vente de véhicules d’occasion, milieu souvent connu pour ses « arnaques ».

 

Par ailleurs, les donateurs reçoivent des avantages fiscaux issus des dons (66 % de la valeur totale de la voiture donnée !). Voici un modèle dont la solidarité est le maître-mot (toutes les voitures réparées et proposées à la vente sont issues de la générosité), et qui en outre permet de consommer de manière responsable en donnant une seconde chance aux véhicules.

 

Solidarauto 49 a vendu 85 voitures sur les 92 données, au prix moyen de 2 475 euros par voiture pour un chiffre d’affaires total de 618 232 euros en 2017. Les véhicules sont vendus au prix du marché pour ne pas inciter à la revente. Malgré cela, le modèle économique reste fragile parce qu’il repose essentiellement sur la notion de don.

 

Le garage de Trélazé a été le projet-pilote d’un réseau de garages solidaires en France, le modèle a essaimé ensuite dans cinq villes : Angers, Grenoble, Tours, Rouen, Clermont-Ferrand…

 

D’où le mot d’ordre : Allons-y ! Osons donner nos véhicules !

 

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Après des études en Droit et Economie à l’international et en France, Irene a décidé d’orienter sa carrière vers le volet économique et social.

Elle a rejoint d’abord le département ESS de la Caisse des Dépôts, l’associatif auprès du Secours Catholique et le Ministère de la Transition écologique et solidaire dans le cadre du programme le French Impact. Aujourd’hui, elle a fondé le cabinet Sustainable Move pour promouvoir l'ESS et la RSE comme leviers de changement partout dans le monde.

Curieuse et extravertie, passionnée par la pratique du yoga et sa philosophie, elle est toujours à la découverte de nouvelles cultures et nouvelles formes de travail.