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Le développement de l’apprentissage est une priorité partagée par la plupart des pays de l’Union européenne. Afin de faciliter la transition des jeunes vers l’emploi et de mieux répondre aux besoins du marché du travail (« L’apprentissage en France : mission impossible ? » Metis, 15 octobre 2018). Dans ce contexte, la Suède est un exemple intéressant d’une formation professionnelle initiale (FPI) pleinement ancrée dans le système scolaire qui évolue par étapes vers un modèle d’apprentissage centré sur l’entreprise. Au cœur de ces réformes : les liens entre les moments d’enseignement et les moments de travail.

apprentissage

Une réforme en plusieurs étapes

Traditionnellement, la formation professionnelle initiale fait partie intégrante de l’enseignement secondaire général et le rôle des entreprises y est faible, bien que la décentralisation du système éducatif introduite en 1990 ait favorisé l’établissement de liens avec les acteurs économiques au niveau local (notamment par le biais de « Conseils locaux des programmes » assurant la liaison entre les établissements d’éducation et leurs partenaires économiques, chargés de suivre l’adaptation des programmes aux conditions locales à partir du tronc commun – « core curricula » – fixé au niveau national). Malgré tout, l’attractivité des filières de FPI restait limitée. Afin de la renforcer, il a été décidé en 1991 d’assurer la parité entre formations générales et professionnelles au niveau du second cycle du secondaire. La durée des secondes passait à 3 ans au lieu de 2 et elles débouchaient comme les premières sur l’accès à l’enseignement supérieur. La démarche suivait une logique analogue à celle de la création des bacs pros en France en 1985, mais avec une grande différence, les deux filières restant assurées par les mêmes établissements où les formations professionnelles étaient organisées pour l’essentiel dans les salles de classe. Ces dispositifs favorisaient l’acquisition des compétences générales, mais répondaient mal aux besoins des entreprises.

Une grande réforme de l’ensemble du système éducatif était entreprise en 2011. Elle visait en particulier (au sein du second cycle de l’enseignement secondaire) à « découpler » enseignement général et enseignement professionnel et à renforcer les liens de ce dernier avec les besoins du marché du travail, à mobiliser les parties prenantes et notamment les entreprises, et à favoriser l’emploi des jeunes. Les enseignements académiques y étaient réduits et l’accès à l’enseignement supérieur n’était plus garanti sauf à ce que l’étudiant suive des modules supplémentaires adaptés (parallèlement, des formations professionnelles étaient mises en place dans l’enseignement supérieur). La réforme introduisait également l’obligation de périodes de formation en entreprise avec l’idée que cela permettrait d’améliorer l’attractivité de la formation auprès des jeunes. Elle ouvrait enfin une distinction entre deux modalités de formation professionnelle, toutes deux débouchant sur la même qualification : une modalité « scolaire » dans laquelle la formation en entreprise occupe au moins 15 semaines (soit environ 14 % de la durée totale de la formation) et une modalité « d’apprentissage » où ce seuil est d’au moins 50 % du temps. Cette dernière avait donné lieu à une expérimentation depuis 2008.

Il revenait maintenant aux établissements de choisir d’offrir l’une ou l’autre formule, ou encore une combinaison des deux. Dans ce cadre, il devenait possible pour les étudiants de passer d’une formule à l’autre pendant la durée du programme, par exemple de faire la première année dans la formule scolaire, puis les deux années suivantes selon la modalité d’apprentissage. Enfin, cette dernière était mise en œuvre par la signature d’un contrat de formation entre l’entreprise, l’étudiant et l’établissement de formation à l’initiative de ce dernier, ainsi que l’attribution de subventions d’État auprès des entreprises pouvant aller jusqu’à 4 000 euros environ par apprenti et par an, destinés principalement à la rémunération des superviseurs en entreprise.

Des résultats décevants

La réforme avait permis d’accroître significativement le nombre d’étudiants apprentis au rythme d’environ 1000 par an pour atteindre 10 300 en 2017/18, mais ce qui représentait moins de 5 % du total des étudiants en FPI, bien au-dessous des objectifs et du niveau de 34 % atteint en Europe en 2014. En même temps, les effectifs totaux de la FPI avaient continué à diminuer et représentaient environ 38 % de l’ensemble des étudiants du cycle supérieur de l’enseignement secondaire en 2015 (47% dans l’Union européenne). Par ailleurs les taux d’échecs et d’abandon étaient élevés dans le système d’apprentissage. C’est pourquoi un système d’apprentissage rémunéré dans le cadre d’un contrat de travail était introduit en 2014 et un projet pilote lancé en 2017 par l’Agence nationale d’éducation auprès de 18 établissements de formation, appuyé sur la formation des superviseurs et doté de financements pertinents auprès des entreprises.

Selon les auteurs du rapport, l’échec de la réforme tient à une série de facteurs dont le principal est de ne pas avoir suffisamment distingué la voie scolaire et la voie de l’apprentissage, ou encore de ne pas avoir suffisamment installé et affirmé la spécificité de la seconde. Appuyées sur les mêmes programmes, mises en œuvre dans les mêmes établissements et ouvrant à des qualifications identiques, les deux voies donnent aux étudiants la possibilité de bâtir des parcours différenciés, à la carte, où ils peuvent combiner les deux formules à leur gré, même si les changements appellent une autorisation préalable. En conséquence, le supposé mi-temps de formation en entreprise (dans le cas de l’apprentissage) est rarement atteint. Du coup, il est difficile pour les employeurs de faire la distinction entre les profils et aussi de bien apprécier ce qu’on attend d’eux dans la mise en œuvre des périodes de formation en entreprise selon qu’elles relèvent de l’apprentissage ou de la formation scolaire.

Par ailleurs, les possibilités d’adaptation données par la décentralisation, y compris en matière de curricula, conduisent les établissements de formation à répondre au plus près des besoins et des possibilités spécifiques des entreprises qui accueillent les apprentis (parfois plusieurs pour le même étudiant), et à adapter les contenus et l’organisation des périodes en entreprise sans référence suffisante aux besoins du secteur et/ou du marché du travail au plan national. En même temps, la mise en œuvre de ces périodes reste sous la responsabilité des établissements, encadrée par les dispositions prises dans la logique de la formation scolaire sans prendre en compte les besoins spécifiques d’un véritable apprentissage et notamment ceux de contacts plus étroits entre les enseignants et le lieu de travail. Au total, la motivation des entreprises reste limitée et, ajoutée à la faiblesse des incitations financières et au manque de dispositifs efficaces de dialogue entre éducation nationale et entreprises au plan local, la mise en œuvre des formations en apprentissage reste problématique et répond mal aux besoins du marché du travail et de l’emploi des jeunes.

Renforcer les liens entre établissements d’enseignement et entreprises

En conclusion du rapport, les auteurs proposent l’adoption d’une vision claire de l’apprentissage marquant bien en quoi elle se distingue au sein de l’ensemble de la FPI, pouvant aller jusqu’à l’identification de qualifications qui lui seraient spécifiques, par la clarification voire la limitation des passerelles entre les deux filières, par le suivi et l’évaluation des performances de l’apprentissage, l’identification d’indicateurs clef concernant l’insertion des jeunes, leurs salaires lors de l’embauche et après quelques années, les bénéfices pour les entreprises. Par ailleurs, il est essentiel que les parties prenantes jouent leur rôle à tous les niveaux – conception, définition des programmes, mise en œuvre, gouvernance des dispositifs institutionnels, et qu’on engage une vaste campagne de communication sur les mérites de l’apprentissage auprès des jeunes, des parents et des entreprises. De tels changements pourraient donner lieu à une approche graduelle : à moyen terme il s’agirait d’impliquer les acteurs du marché du travail dans la définition des contenus de formation correspondant à la formation en milieu de travail et leur adaptation aux besoins des entreprises ; à plus long terme, seraient mis en place graduellement des programmes spécifiques aux formations en apprentissage (au sens apprenticeship) basés sur des « acquis d’apprentissage » (au sens learning) identifiés par les partenaires sociaux, le tout dans le cadre de mécanismes de gouvernance spécifiques.

Ces suggestions s’inscrivent pleinement dans les conclusions d’un policy learning forum sur le thème de l’apprentissage organisé par le CEDEFOP en septembre 2018 à Thessalonique. Les pays participants y ont réaffirmé leur volonté de développer un apprentissage de qualité, basé sur une vision claire de ses objectifs et une coopération renforcée entre toutes les parties prenantes. La mise en œuvre reste spécifique à chaque pays notamment dans les relations avec le système éducatif, même si le système dual allemand reste un modèle pour beaucoup. Il est essentiel de conduire des analyses coûts/bénéfices afin de démontrer les avantages de l’apprentissage et d’y engager les employeurs et aussi d’améliorer son image afin qu’il ne soit plus considéré comme une voie de deuxième chance.

Pour en savoir plus :

– « Flash thematic country review on apprenticeships. Sweden », CEDEFOP, novembre 2018

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.