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Le 28 janvier, en partenariat avec la Fondation Gulbenkian, l’institut Jacques Delors organisait une conférence consacrée aux développements de l’apprentissage en France et en Europe, « L’apprentissage : un avenir pour toute l’Europe ». Il s’agissait de rappeler les mérites de l’apprentissage comme filière de réussite et moyen privilégié de favoriser l’emploi des jeunes, et en même temps de promouvoir un certain nombre d’initiatives et en particulier le lancement d’Erasmus Pro. Un panel de ministres et d’anciens ministres ainsi que de hauts responsables de la Commission et du Parlement européen, mais aussi de la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE) et des Compagnons du Devoir avaient été mobilisés à cet effet. Metis y était.

carte map europe UE

Tout en vantant les mérites de l’apprentissage, le ministre portugais du Travail José Vieira da Silva rappelait les difficultés à mobiliser les entreprises et à attirer les jeunes (au Portugal, l’apprentissage ne rassemble qu’entre 7 et 8 % d’une cohorte d’élèves de l’enseignement secondaire supérieur et reste considéré comme une voie de seconde chance). En outre, son développement risque d’accroître la ségrégation sociale en empêchant les jeunes qui en font le choix de poursuivre des études longues et de développer des compétences larges. Rappelant qu’en Allemagne 50 % des jeunes d’une classe d’âge étaient dans le système dual, le ministre plénipotentiaire de l’ambassade d’Allemagne Pascal Hector rétorquait qu’il était essentiel de se libérer de l’idée fausse que l’enseignement supérieur est préférable à l’apprentissage (un peu plus tard, Gérard Mestrallet rappelait que plusieurs des grands patrons de l’économie germanique étaient issus du système dual tandis qu’aucun de leurs homologues du CAC 40 n’est pas passé par l’apprentissage).

Les deux ministres se retrouvaient cependant sur la nécessité de valoriser et de développer l’apprentissage, dans la ligne des priorités de la politique européenne. Du côté allemand le ministre mentionnait la réussite du programme MOBI Pro UE lancé en 2013 par l’agence fédérale de l’emploi, qui a permis d’accueillir dans le système dual 8400 jeunes provenant de l’Europe du Sud et de Bulgarie, et qui se faisant contribue à pallier la baisse du nombre d’apprentis allemands due au déclin démographique. Du côté portugais José Vieira da Silva évoquait des mesures concernant la mobilisation des acteurs économiques et l’ouverture de l’apprentissage aux jeunes jusqu’à 30 ans, et par le lancement de projets pilotes avec le soutien du FSE et de la coopération allemande.

Dans cette logique de valorisation de l’apprentissage et de la mobilité au sein de l’Union européenne, Jean Arthuis, député européen (et ancien ministre des Finances) rappelait les grandes lignes de son rapport consacré au lancement d’Erasmus Pro à la demande du gouvernement français (en référence à la promesse de campagne du Président) et remis en janvier 2018. Il s’appuyait sur les résultats d’un projet lancé dès 2016 à son initiative et avec le concours des Compagnons du Devoir et qui entend promouvoir la mobilité longue des apprentis (au moins 6 mois) dans un autre pays que le leur dans le contexte d’Erasmus. Tel que rappelé par Jean-Claude Bellanger leur secrétaire général, les Compagnons du Devoir ont bâti un consortium de 36 centres de formation professionnelle dans 12 pays européens (dont 16 en France). Centré sur les niveaux V, IV et III, le projet a permis de toucher 150 apprentis de 17 à 19 ans.

Le projet est maintenant considéré comme un succès ; l’enthousiasme de ses participants en témoigne. Au-delà, compte tenu de leurs origines, on peut considérer qu’à la différence de l’Erasmus que tout le monde connaît (ne serait-ce que pour avoir vu L’Auberge espagnole) Erasmus Pro vise des jeunes plutôt réfractaires au message européen. C’est ainsi qu’à condition d’être développé vigoureusement, il est porteur de la démocratisation d’Erasmus et de l’ambition d’une citoyenneté européenne largement partagée. Cependant la mise en œuvre du projet a permis d’identifier un certain nombre de freins et en particulier les difficultés des entreprises concernant les contrats de travail à établir avec des périodes aussi longues ; un autre frein majeur réside dans les difficultés à assurer la validation des acquis dans les pays d’accueil. En 2017, le magazine l’Étudiant insistait sur les obstacles liés à l’extrême diversité des systèmes d’EFP, à l’absence de continuité du statut d’apprenti d’un pays à un autre et aux conflits de normes juridiques concernant le contrat de travail en l’absence d’harmonisation européenne.

C’est dans cette perspective d’un développement vigoureux d’Erasmus Pro que le rapport Arthuis a débouché début 2018 sur une liste de seize propositions propres à permettre des mobilités longues au sein des parcours d’apprentissage. Parmi ces propositions, huit devant être mises en œuvre au niveau français (révision de certaines clauses du contrat d’apprentissage, renforcement de l’apprentissage des langues, reconnaissance des acquis…), et huit au niveau européen (simplification des procédures Erasmus, encouragement des jumelages entre CFA, revalorisation des crédits…) Tout ceci est en cours, la Loi Travail a permis d’introduire certaines des modifications nécessaires dans le Contrat de travail, mais les décrets d’application restent encore largement méconnus sur le terrain, il est difficile de faire travailler ensemble des services dont les procédures diffèrent, d’harmoniser les calendriers, « un immense travail reste à faire » concluait Jean Arthuis.

L’apprentissage est également une priorité pour la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE) à l’initiative de son président Gérard Mestrallet, (ancien PDG de Gaz de France) qui faisait part de l’intérêt de la mobilité européenne pour remotiver les jeunes et les attirer vers les filières d’apprentissage. Il évoquait aussi les difficultés particulières liées aux publics de basse qualification. Néanmoins FACE regroupe environ 6000 entreprises volontaires (3 fois plus qu’en 2008) et motivées pour promouvoir l’apprentissage et la mobilité notamment à travers Erasmus Pro ou tout autre projet « d’alternant sans frontière ». Les freins restent considérables tels qu’évoqués ci-dessus : information insuffisante, questions liées à la couverture sociale et de santé, responsabilité juridique, accompagnement social, tutorat, et bien sûr la question des langues. Pour Gérard Mestrallet, l’approche doit être régionale et il faut promouvoir une vision « révolutionnaire » de l’orientation où l’apprenant ait toute sa place. Un gros travail d’information et de valorisation doit être entrepris auprès des institutions régionales et des branches.

Directrice pour les compétences à la DG Emploi de la Commission européenne, Manuela Geleng rappelait la priorité affichée par l’Union européenne au développement de la mobilité des apprentis depuis 2013 avec le lancement de « l’Alliance européenne pour l’apprentissage » (EAfA) qui s’est traduit par l’engagement de 282 entreprises et concerne aujourd’hui près de 900 000 postes de travail. Erasmus+ apporte aussi depuis longtemps son soutien à l’enseignement et la formation professionnels (voir dans Metis « Les partenariats stratégiques d’Erasmus dans l’enseignement et la formation professionnels », 11 mars 2018) ce qui s’est traduit déjà par la mobilité de plus de 600 000 apprentis ou autres apprenants de l’EFP pour des séjours de durée très variable et une durée moyenne de 32 jours. Dans le contexte d’Erasmus+, la Commission apporte également son soutien à l’initiative française de promotion de la mobilité longue des apprentis en Europe. À compter de 2018, 400 millions d’Euros sont fléchés afin de financer 50 000 bourses de mobilité longue. Par ailleurs, Manuela Geleng se félicitait des succès des Semaines européennes des compétences professionnelles organisées chaque année, et en particulier de la semaine organisée en novembre 2018 qui a rassemblé 2 millions de participants dans 45 pays autour des sujets des compétences et de l’emploi des jeunes. Enfin, le budget total d’Erasmus+ est appelé à augmenter substantiellement dans le prochain budget de la Commission avec une multiplication des crédits par deux selon la proposition de la Commission ou même par trois selon celle du Parlement.

Dans la perspective prochaine des élections européennes, il était bon de constater qu’une initiative française pouvait être soutenue et étendue au niveau européen et combien les développements de la mobilité européenne et de l’apprentissage pouvaient s’enrichir mutuellement et contribuer aux progrès de l’emploi, de la démocratisation et de la citoyenneté européenne. Un grand merci à l’Institut Jacques Delors et la Fondation Gulbenkian pour nous l’avoir fait savoir.

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.