7 minutes de lecture

Article initialement publié en novembre 2019

Nicola Düll et Danielle Kaisergruber ont participé à un programme européen visant à évaluer des exemples de pays ayant fusionné ou cherché à rapprocher les services publics de l’emploi et les services qui accompagnent les personnes percevant des minimas sociaux, de type RSA. Elles ont, dans ce cadre, travaillé sur l’étude pays France et Nicola a participé à la coordination de l’ensemble du programme.

En présentant en novembre 2019 ce programme, nous écrivions pouvoir « en tirer quelques leçons intéressantes à la veille de la création d’un service public de l’insertion ». Dans l’hypothèse très probable d’une intégration de ce SPIE naissant au sein de France Travail en gestation, ces leçons sur l’accompagnement global des personnes très éloignées de l’emploi, n’en ont que plus de pertinence.

Par ailleurs, une étude d’évaluation très complète et partenariale de ce dispositif a été réalisée à l’initiative de Pôle emploi par les Cabinets Dictys et Pluricité. Elle a donné lieu à une publication.

Une réforme à bas bruit

Il est des réformes profondes dont on parle peu. La mise en place de « l’accompagnement global » destiné aux demandeurs d’emploi de longue durée qui font face à des difficultés diverses et complexes date de 2014. Après une période expérimentale, tous les départements (sauf deux) ont en 2016 signé une convention avec leur direction départementale de Pôle emploi à partir des principes établis dans une convention entre l’Assemblée des Départements de France, la Direction Générale de Pôle emploi et la DGEFP. L’ambition en est grande puisqu’il s’agit d’aménager les conditions de coopération entre les travailleurs sociaux (assistantes sociales) des services des administrations départementales qui, rappelons-le, ont en charge l’insertion sociale et le RSA, et les conseillers de Pôle emploi qui accompagnent les demandeurs d’emploi. Les axes de cette coopération (prémices du « service public de l’insertion » que l’on voudrait créer aujourd’hui) sont les mêmes dans tous les départements : 1) un diagnostic partagé des besoins de la personne (qui peut être un demandeur d’emploi ou une personne « au RSA » inscrite ou non à Pôle emploi) est établi par le conseiller de Pôle emploi et le travailleur social, idéalement lors d’un entretien à trois ; 2) il s’agit de traiter simultanément les difficultés sociales (souvent dénommées « freins périphériques à l’emploi ») et professionnelles ; les informations venant des deux institutions font en principe l’objet de la création d’une base de données partagée.

Au moment de la création du dispositif en avril 2014, le taux de chômage était de 9,7 %, 2,08 millions de personnes percevaient le RSA et beaucoup, comme aujourd’hui d’ailleurs, faisaient face à des difficultés sociales complexes concernant la santé, le logement, les transports, la garde des enfants, la justice parfois. Le fait même de la décentralisation a conduit à des mises en œuvre très différentes selon les départements, parfois pour des raisons d’ordre politique, mais aussi pour des raisons de l’ordre de l’organisation des services qui est souvent différente d’un département à l’autre. « Lorsque l’on voit par exemple que la part des demandeurs d’emploi au RSA pris en charge par Pôle emploi peut aller de 10 à 80 % selon le département, on comprend qu’un effort de régulation nationale s’impose ». (Jean-Marie Marx sur l’accompagnement global dans Metis).

Très vite, c’est le Service public de l’emploi qui s’est emparé le plus fortement de l’accompagnement global : le plus souvent ce sont les conseillers emploi qui le proposent aux personnes, des postes de conseillers dédiés à l’accompagnement global ont été créés à Pôle emploi (1000 sur la période couverte par la première convention, c’est-à-dire ce qui était prévu dans le financement par le FSE). L’accompagnement global est ainsi devenu la « quatrième modalité » d’accompagnement des demandeurs d’emploi (s’ajoutant à l’accompagnement « suivi » essentiellement en ligne, à l’accompagnement « guidé » et à l’accompagnement « renforcé »).

Alors que le RSA avait été créé en 2009 dans la perspective d’une « politique d’activation » des personnes, c’est-à-dire d’un effort de tous (y compris des intéressés) pour aller vers un retour à l’emploi, le RSA activité (cumul d’une activité rémunérée et d’un revenu de solidarité, financé par l’Etat) s’est enlisé dans les méandres de la « permittence » puis a été intégré à la prime d’activité en janvier 2016. Dans le même temps, les politiques suivies par les départements suivaient des pentes très différentes les unes des autres et très… politiques. Ainsi, l’un des départements de notre enquête s’est véritablement transformé en Pôle emploi bis pour trouver des emplois d’insertion pour les personnes « au RSA » et les aider à y progresser. D’autres départements ont tenté d’introduire une « obligation contractuelle » d’effectuer ce qu’il est convenu d’appeler des travaux d’utilité collective, en tout cas d’introduire une obligation de travail en regard du revenu d’assistance perçu. Ce qui fut refusé par les tribunaux puisque non prévu par la Loi de 2009. Un autre département de notre enquête a pu montrer au moment d’un changement de majorité que des milliers de personnes percevaient le RSA depuis plusieurs années (au demeurant versé par les CAF !) sans avoir jamais rencontré ni une assistante sociale ni un conseiller de Pôle emploi auprès de qui il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’être inscrit.

Une évaluation partagée positive

L’accompagnement global est très apprécié des professionnels aussi bien du côté de Pôle emploi que du côté des départements. Le regard croisé des professionnels de culture différente apporte une dynamique à l’accompagnement. On reconnaît volontiers qu’il a augmenté les compétences des conseillers emploi quant à la détection et au traitement des « freins à l’emploi » : « Est-ce que les difficultés des personnes sont à traiter avant ou en même temps que l’emploi ? La capacité à répondre à cette question s’est améliorée ». L’adaptation de la fréquence des entretiens est à la main des conseillers de Pôle emploi (en moyenne une fois par mois avec la possibilité de contacts par mail et téléphones portables). Par contre, les rencontres avec les travailleurs sociaux sont plus espacées, mais c’est aussi que les problèmes à résoudre demandent souvent un temps « administratif » long (par exemple la recherche d’une solution de logement, ou de places en crèches…).

Par définition, les bénéficiaires de l’accompagnement global sont des personnes très éloignées de l’emploi (62 % touchent le RSA, 22 % sont de nationalité étrangère, les trois quarts ont un niveau inférieur ou égal au CAP-BEP). L’effet de « mise en mouvement vers l’emploi » est net et reconnu par les bénéficiaires interrogés dans l’enquête.

L’accompagnement global dure en moyenne 9 mois et demi, et un an après leur entrée dans le dispositif, 43 % des personnes ont eu accès à un emploi de plus d’un mois et 23 % à un emploi durable. Les travailleurs sociaux comme les conseillers de Pôle emploi souhaiteraient pouvoir continuer à accompagner les personnes une fois dans l’emploi, car la confrontation avec les exigences du travail n’est pas toujours évidente.

Mais l’organisation du travail des services est clé

Les résultats en termes de retour à l’emploi sont positifs, mais on observe que ces résultats sont surtout sensibles aux choix d’organisation opérés par les administrations départementales, voire au niveau infra-départemental dans les « maisons des solidarités » où concrètement les personnes sont accueillies par les travailleurs sociaux. C’est ainsi qu’un conseiller de Pôle emploi dédié à l’accompagnement global peut avoir 11 interlocuteurs du côté des travailleurs sociaux du département ! On voit bien que le niveau de satisfaction des demandeurs d’emploi est de 76 % (qui se disent satisfaits) lorsqu’ils peuvent rencontrer des assistantes sociales dédiées et de 30 % si ce n’est pas le cas…

De même les outils et les systèmes d’information, et leur accessibilité, jouent un rôle essentiel. Dans l’un des départements de notre enquête, l’accès au « DUDE » (le Dossier unique du demandeur d’emploi) était réservé aux « chefs » tous basés au « chef-lieu » administratif qui eux ne rencontraient jamais un demandeur d’emploi accueilli dans les maisons des solidarités situées un peu partout sur le territoire départemental !

Plébiscité par les professionnels, l’accompagnement global a été reconduit en 2018 au travers d’une nouvelle convention nationale et en 2019, 99 % des départements l’ont déclinée. Il devra être intégré dans l’accompagnement du RUA et dans le cadre du nouveau « Service public de l’intégration » (voir l’entretien avec Olivier Noblecourt dans Metis).

Mais le chemin vers un partage des données et une réelle interopérabilité et coopération plus complète et transparente entre professionnels appartenant à des institutions différentes est encore long. Faudrait-il en arriver comme dans une bonne moitié des municipalités allemandes, en Grande-Bretagne ou comme en Finlande depuis la création des LAFOS en 2012, à une fusion entre services de l’emploi et services de l’insertion sociale (“One-stop-shop”) ? La décentralisation à la française est un obstacle de taille… Et d’ailleurs les rapprochements institutionnels ne sont pas toujours couronnés de succès et ne résolvent pas les frottements de cultures professionnelles. C’est peut-être sur cet aspect culturel qu’il serait le plus urgent de travailler !

Pour en savoir plus :

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Économiste du travail, Associée Economix Research & Consulting, Munich

+ posts

Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.