En 2017, près de la moitié des salariés du secteur privé ont pu bénéficier de dispositifs de participation aux résultats des entreprises. Les derniers chiffres de la Dares montrent que l’exercice 2017 a permis de distribuer 19 milliards d’euros à 7,5 millions de salariés, soit une prime moyenne de 2 512 euros, ce qui est loin d’être négligeable. Si leur impact reste globalement positif, l’efficacité des dispositifs de partage des bénéfices dépend de paramètres comme le contexte institutionnel ou la présence de syndicats. Patrice Laroche, Professeur des Universités en sciences de gestion de l’Université de Lorraine fait le point.
Depuis 2012, le plan d’épargne entreprise (PEE) est le dispositif le plus répandu dans les entreprises françaises avec 42,8 % des salariés couverts, suivi de la participation aux résultats des entreprises (37,9 %) qui est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés et de l’intéressement qui est facultatif mais qui concerne tout de même 32,9 % des salariés.
Un contexte favorable à l’intéressement
Ces dispositifs sont majoritairement présents dans les grandes entreprises mais la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), promulguée le 22 mai 2019, a levé plusieurs freins à son développement dans les PME en proposant de supprimer le forfait social sur l’intéressement et de simplifier la rédaction des accords. Cette réforme laisse donc augurer de nouvelles perspectives de développement de ces dispositifs, et en particulier de l’intéressement.
Figure 1. Les dispositifs de participation, d’intéressement et d’épargne salariale dans les entreprises de 10 salariés ou plus de 2006 à 2017 en France
Au-delà d’un traitement fiscal de plus en plus favorable en France, le succès des dispositifs de partage des bénéfices auprès des entreprises tient au fait que ceux-ci sont réputés garantir la motivation et la fidélisation des salariés, et indirectement leur productivité. Mais qu’en est-il exactement ? Que nous apprennent les études récentes consacrées aux effets de ces dispositifs sur la productivité des salariés ?
Le partage des profits encourage la productivité
Avec mes collègues Chris Doucouliagos, Douglas L. Kruse et T.D. Stanley, nous avons réalisé une synthèse des études menées sur cette question qui vient d’être publiée dans le British Journal of Industrial Relations.
Notre méta-analyse suggère que les dispositifs de participation aux résultats (profit-sharing, gain sharing aux États-Unis, participation et intéressement en France) améliorent bien, en moyenne, la productivité des entreprises.
Le tableau 1 présente les différents résultats tirés des 56 études empiriques menées entre 1983 et 2015 sur le sujet dans différents pays. En général, ces enquêtes observent une relation positive entre les pratiques de partage des profits et la productivité du travail.
Tableau 1. Partage des bénéfices et productivité
Cependant, on peut observer une dispersion des résultats assez importante, notamment en fonction des caractéristiques de chaque dispositif de participation. Les écarts observés s’expliquent aussi par la qualité des études réalisées (évaluée ici par la précision ou puissance statistique de l’étude, cf. figure 2) et par l’existence de cadres institutionnels différents d’un pays à l’autre qui peut affecter l’efficacité de ces dispositifs.
Figure 2. Corrélations partielles entre dispositifs de partage de profits et productivité du travail selon le niveau de précision des études.
Doucouliagos, Laroche, Kruse et Stanley (2019)
Nos résultats mettent également en évidence l’importance du type d’actionnariat qui caractérise les organisations. Ainsi, les dispositifs de partage collectif des bénéfices sont plus souvent associés à des gains de productivité dans les entreprises coopératives, c’est-à-dire dans les organisations qui appartiennent à leur membre et sont contrôlées par eux (cf. tableau 1).
Ce constat renforce l’idée selon laquelle ce type de pratique de rémunération collective ne peut être efficace que si les individus disposent d’une forme de contrôle sur les décisions qui sont prises dans l’organisation.
Le poids des syndicats
En France, des travaux avaient déjà montré dès les années 1990 que l’introduction de dispositifs de participation conduisait à des gains de productivité de l’ordre de 2 % en moyenne. Les effets sur la productivité semblent d’autant plus importants que le niveau des primes d’intéressement ou de participation est élevé, mais il apparaît aussi que d’autres facteurs rendent plus ou moins efficaces ces dispositifs.
Ainsi, notre étude indique que les dispositifs de participation aux résultats sont plus efficaces en présence de syndicats sur le lieu de travail. Ce constat est finalement compatible avec l’idée d’une complémentarité entre les dispositifs de partage des profits et ceux relatifs à la participation des salariés et au contrôle de l’entreprise. Ces dispositifs peuvent relever de pratiques participatives introduites par l’employeur (cercles de qualité, groupe autonome de travail, etc.) mais aussi relever de dispositifs de participation/consultation des représentants du personnel et des syndicats.
Des études récentes ont ainsi montré que les pratiques de profit sharing fonctionnent mieux si elles sont associées à des pratiques d’information et de consultation des salariés visant à renforcer la motivation et l’implication des salariés. En tant que forme d’expression collective, les syndicats pourraient au même titre que les pratiques d’information et de consultation contribuer à renforcer l’internalisation des objectifs de l’entreprise favorisant ainsi l’impact positif de ces dispositifs sur la productivité de l’entreprise.
Or, comme l’a en effet montré la recherche, les effets positifs sur la productivité résultent d’une meilleure coopération et information au sein de l’entreprise qui provient de l’émergence d’un contrôle horizontal et informel. L’une des principales critiques formulées à l’égard des modes de rémunération collective est l’apparition du phénomène de « passager clandestin » (free-rider) dans la mesure où chaque individu peut espérer bénéficier du travail des autres sans lui-même fournir d’effort. Un climat de coopération et de contrôle informel entre les salariés peut donc atténuer cet effet et réduire le nombre de « resquilleurs ».
En définitive, les dispositifs de participation aux résultats ne peuvent donc à eux seuls assurer une véritable convergence d’intérêts entre employeurs et salariés. Pour que les dispositifs de partage du profit entraînent une hausse de productivité significative, il est crucial que les salariés comprennent en quoi l’augmentation de leur niveau d’effort aura une réelle influence sur leur rémunération. Il faut aussi qu’ils aient le sentiment de pouvoir influencer les décisions prises au sein de l’entreprise. Dès lors, les syndicats peuvent jouer un rôle essentiel dans le partage d’informations et la clarification des objectifs organisationnels, autant de facteurs permettant d’assurer le succès des pratiques de partage des profits.
Patrice Laroche, Professeur des Universités en sciences de gestion, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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