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Rémi Cottet, propos recueillis par Michel Weill

Quel impact de la crise sanitaire que nous vivons depuis le mois de mars 2020 sur le comportement des acteurs de l’entreprise en matière de santé ? Y aura-t-il un impact durable ? Le réseau ANACT-ARACT porte avec les DIRECCTE un dispositif du ministère du Travail « Objectif reprise » financé par le fonds social européen. Nous avons interrogé Rémi Cottet, en charge de ce dispositif au sein de l’ARACT Auvergne-Rhône-Alpes, sur les enseignements qu’il tire des contacts qu’il a eu dans ce cadre avec les entreprises.

Quel est l’objectif de ce dispositif et en quoi consiste-t-il ?

L’idée est d’apporter un conseil aux PME de moins de 250 salariés confrontées aux contraintes et problèmes liés à l’épidémie COVID, problèmes liés aussi bien à l’organisation du travail (télétravail, réorganisation du travail sur site, variations et perturbations de l’activité…), à la prévention du risque sanitaire ou aux relations sociales mises à mal par les tensions suscitées par la situation. Il propose d’abord un entretien téléphonique permettant de faire le point sur les besoins de l’entreprise, d’apporter des conseils, de l’orienter vers les dispositifs existants. Puis il peut, si besoin, proposer un accompagnement pouvant aller jusqu’à six journées d’intervention par un consultant conventionné avec le réseau Anact-Aract. Un questionnaire d’auto-évaluation est également en ligne.

Quel a été le succès de ce dispositif ?

Il n’y a pas eu de demande massive. Depuis juin 2020, l’ARACT Auvergne-Rhône-Alpes a été contactée par une centaine d’entreprises, ce qui a débouché sur une quarantaine d’entretiens-conseils plus approfondis et sur six demandes d’accompagnements par des consultants. Sur la période mai-juin des dirigeants de TPE ont contacté le dispositif avec des inquiétudes économiques et des questions techniques ou réglementaires, très précises, et peu ont donné suite aux propositions d’entretiens approfondis. Ces entretiens ont été sollicités par des dirigeants de petites PME avec des préoccupations plus organisationnelles ou managériales, ou par des personnes chargées des ressources humaines dans les plus grosses PME. Nous avons eu dans ce cadre peu de relations avec les représentants du personnel ou avec les salariés. Notre vision est donc liée à la représentation des problèmes vus par les directions. Les accompagnements en cours permettront d’apporter un autre éclairage en nous confrontant plus directement au point de vue des salariés.

Quelles étaient les préoccupations des entreprises ? 

Au début, une partie des questions portaient sur le risque sanitaire. Suivant la « culture prévention » de l’entreprise, cela pouvait prendre des formes très concrètes et pragmatiques (masques, distances…) ou plus approfondies (enrichissement du document unique d’évaluation des risques, création d’un plan de continuité d’activité…). Ces préoccupations étaient surtout présentes au moment de la reprise, en mai-juin, puis se sont assez vite estompées. Aujourd’hui, cela a complètement disparu du paysage. Mon sentiment est que les entreprises, quoiqu’elles aient fait en pratique, ont eu l’impression de faire des efforts pour « bien » répondre aux contraintes sanitaires et qu’elles sont ensuite passées à autre chose.

Sur ces problèmes de santé, au-delà de l’aspect mise en conformité et procédure, c’est la dimension « problèmes individuels » qui a semble-t-il été la plus perturbante pour les directions : comment gérer les absences, recenser et gérer les personnes à risque, que faut-il faire avec les cas contact ? Les entreprises étaient bousculées et ne savaient pas où mettre le curseur.

Quelle dimension vous paraît dominer ?

Sur le plan de la santé, je dirais la dimension psychologique. L’inquiétude sanitaire reste présente et elle est renforcée par l’inquiétude économique. Même dans des secteurs qui n’ont pas subi de rupture d’activité, certains dirigeants soulignent cette inquiétude économique pour leur entreprise et chez les salariés. J’entends parfois la volonté d’en tenir compte dans la manière de gérer les futurs projets. Peut-être que ce besoin de faire les choses de manière plus précautionneuse peut laisser une trace positive durable.

Sur quoi portent maintenant les demandes ?

Une partie des demandes concerne le télétravail. Certaines entreprises sentent qu’elles ne retrouveront pas l’organisation antérieure et ont la volonté de construire quelque chose de réfléchi et de pérenne. Beaucoup de dirigeants soulignent la valeur du présentiel, sans qu’il soit évident de faire la part entre la crainte d’une distanciation des collectifs et la volonté de garder un regard sur les salariés. On sent chez certains managers une angoisse de ne plus les voir. Mais j’entends aussi plus souvent que d’habitude des dirigeants valoriser les temps de travail informels autour de la machine à café…

Sinon, le COVID révèle souvent des problèmes antérieurs. La crise renforce les problèmes existants en matière d’organisation ou de désengagement, par exemple là où les collectifs n’étaient pas très solides. Je peux prendre l’exemple d’une structure d’accompagnement de jeunes et adultes handicapés, une structure avec une forte identité historique reprise peu avant la crise par un acteur à culture plus gestionnaire. La diversité des métiers face au COVID, sur un terreau déjà en tension, a fait prendre conscience de la nécessité de recréer du collectif. La fragilité managériale antérieure comme un dialogue social superficiel avaient abouti à une perte de contact. La crise a servi de révélateur. Même chose dans une petite structure de conseil de 12 personnes à propos de la situation individuelle de l’assistante. Personne à risque, elle s’est placée en télétravail à plein temps, ce qui a continué d’aggraver les difficultés préexistantes dans son rôle d’appui aux consultants et pour la régulation de sa charge de travail. La distanciation accentue les situations déjà fragiles.

Comment voyez-vous l’impact à long terme de cette crise sur la prise en compte des questions de santé au travail dans les entreprises ?

 La culture de prévention sera de mon point de vue la dimension la moins durablement impactée, par rapport à celles du management, de l’organisation ou même du dialogue social. Ce qui revient le plus est le souci de recréer du collectif. Les aspects psychologiques par exemple sont plus volontiers formulés à travers le management, la qualité de vie au travail ou l’organisation du télétravail qu’à travers la prévention des risques psycho-sociaux. Et cela est renforcé par des besoins de réorientations stratégiques soulignés par certains dirigeants face à une fragilité révélée des modèles économiques. Sur le management et le dialogue social, il est possible que cette crise ait des effets bénéfiques à moyen terme, même si la culture managériale antérieure colore en fait beaucoup la manière de poser les problèmes.

Ce dispositif doit durer jusqu’en juin : plus il avance, plus le coté COVID s’estompe au profit d’interventions « GRH/Management » plus classiques mais « colorées contexte COVID ».

Ainsi la crise sanitaire apparaît surtout comme un grand révélateur, un miroir dans lequel les entreprises ont pu se voir sur tous les plans, et pas d’abord celui de la santé. Comme dirait Yves Clot : occupez-vous de tout le reste et la santé vous sera donnée par surcroit. En cette période où chacun cherche à devenir un technicien de la santé, message rafraîchissant, non ?

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Économiste du travail

Parcours professionnel : chercheur à l’université Pierre Mendes-France de Grenoble puis au CEREQ; chargé de mission au Secrétariat Régional pour les Affaires Régionales (préfecture de région Rhône-Alpes); directeur de l’Agence régionale pour la valorisation sociale (ARAVIS) à Lyon, directeur de l’information et de la communication, puis directeur scientifique et DGA de l’ANACT.

Fonction représentative: mandat CFDT au CESER Rhône-Alpes; premier vice-président, puis président de la commission Orientation, Éducation, formation, parcours professionnels (2008-2017).

Ce qui me caractérise : besoin de lier l’action à la réflexion et vis-et versa ; franchisseur de frontières : on m’ a souvent qualifié de « à la fois » syndicaliste et patron; c’est toujours placé, ou on m’a placé, dans des postures de médiation sociale; régionaliste et décentralisateur convaincu.

Centres d’intérêt : tropisme pour l’Afrique et les questions de développement, aime refaire le monde, sans oublier la montagne, la photographie, les voyages !