– article initialement publié en juin 2018 –
De nombreuses femmes – parce que ce sont surtout des femmes – exercent un emploi de services à la personne en se rendant au domicile de leurs clients : il s’agit des femmes de ménage, infirmières, auxiliaires de vie ou aides à domiciles. Le lieu de travail est alors structurant de leur activité. Parmi ces emplois, celui des aides à domicile pour personnes âgées présente des spécificités en combinant l’exercice d’un travail salarié dans plusieurs lieux de travail dispersés avec un lien de subordination ambiguë. Ces particularités sont présentées à partir de différents travaux de sociologues.
Les aides à domicile pour personnes âgées ont à réaliser trois types de tâches : le ménage, les soins apportés aux personnes âgées et les demandes à satisfaire de ces dernières. Pour ces emplois réputés non qualifiés, on demande de « posséder un socle minimum de compétences, et de satisfaire un certain nombre d’exigences attendues par les employeurs qui tiennent notamment aux qualités relationnelles de l’intervenant, à ses capacités d’ajustement aux attentes des particuliers, et dans le domaine de l’aide aux personnes dépendantes, à la capacité de faire émerger les potentialités de la personne aidée afin de préserver au maximum son autonomie » (voir : Les services à la personne : un levier d’insertion pour les publics éloignés de l’emploi ? Credoc 2011).
Ces conditions de travail spécifiques ont été bien étudiées par Christelle Avril dans son livre Les Aides à domicile – un autre monde populaire, Editions La Dispute 2014.
Une forme de salariat en croissance
Les aides à domicile des personnes âgées font partie du secteur du service à la personne qui est passé de trente mille dans les années 70 à plus de cinq cent mille femmes aujourd’hui contribuant à l’essentiel de la croissance du salariat non qualifié. Les métiers du secteur restent caractérisés par une importante précarité. Elle se traduit par :
– Des emplois à temps partiel pour plus de deux salariés sur trois dans les activités d’aide à
domicile et de ménage, plus d’un tiers des salariées souhaiteraient travailler plus si elles le pouvaient.
– Le multi-salariat, qui concerne près d’une salariée sur deux, et qui introduit des difficultés liées aux déplacements entre les différents lieux d’intervention, et rend la gestion des plannings des salariés compliquée.
– Le travail le week-end pour plus d’un salarié sur deux dans le secteur de l’aide au domicile.
– Des niveaux de rémunération faibles, compris entre 600 € et 900 € nets par mois, qui
placent près d’un salarié sur cinq en situation de pauvreté monétaire.
Des conditions de travail difficiles
Chaque jour, les salariées doivent se rendre dans quatre ou cinq lieux différents de travail, ce qui implique, chaque fois, des trajets de 15 à 30 minutes, et oblige souvent à disposer d’une voiture.
Les domiciles des personnes âgées ne constituent pas un lieu de travail au sens habituel du terme : ils ne sont soumis à aucune réglementation et ne peuvent faire l’objet d’une inspection. C’est ce que Damien Bucco fait observer dans un rapport (« L’Action de l’inspection du travail dans le champ de la santé-sécurité au travail des salariés de l’aide à domicile. » Rapport d’étude pour l’INTEFP- 2011).
Le très mauvais état sanitaire de certains logements ainsi que le manque d’équipement ménager sont autant de facteurs de pénibilité. Mais ce ne sont pas les seuls. La pénibilité physique est importante : les taches de manutention sont importantes et fréquentes. Cela fait partie du travail ménager normal auquel s’ajoutent les courses à porter et surtout les déplacements des personnes âgées elles-mêmes qu’il faut soulever, porter… L’environnement de travail accroît la pénibilité : les logements sont souvent surchauffés, l’air est confiné avec parfois de mauvaises odeurs.
Tout cela dans des contraintes de temps fortes : la prestation doit durer une heure et demie. Dans ce laps de temps, il va falloir s’organiser pour gérer toutes les tâches, tout en répondant aux sollicitations des personnes âgées.
Ce travail répond en effet à une double contrainte :
• une contrainte industrielle liée aux tâches à effectuer dans un temps donné
• une contrainte marchande introduite par la satisfaction des besoins des clients
Or les personnes âgées veulent parler, pouvoir se plaindre, demander un petit service. Certains jours elles sont bien, d’autres non. Le rôle des aides est de faire en sorte que l’interaction avec le bénéficiaire se passe au mieux. D’où les qualités relationnelles requises.
Enfin, il faut mentionner que ces aides sont très demandées à certaines heures de la journée, le matin, aux heures de repas si bien que les salariées doivent faire face à des heures creuses, notamment l’après-midi avant de reprendre du service plus tard. Et il faut bien se poser quelque part s’il n’est pas possible de rentrer chez soi.
Isolées face à de nombreux prescripteurs
La volonté de procurer à la personne âgée les meilleures conditions de vie et les soins appropriés se traduit par l’intervention de multiples personnes, les unes en tant que prescripteurs, les autres en agissant dans leur domaine fonctionnel. L’aide à domicile se trouve seule dans cet environnement qui, évidemment, est spécifique dans chaque situation.
Le prescripteur principal est l’employeur, une association en général, qui a défini, en principe, un Cahier des charges associé au contrat de la prestation. Celui-ci spécifie la durée des interventions, leur rythme et, d’une manière plus ou moins précise, les tâches à accomplir. La famille, peu présente ou au contraire très présente, intervient également en donnant des consignes directement par téléphone, ce qui revient à spécifier certaines choses à accomplir. La personne âgée, elle-même, va solliciter l’aide à domicile pour des petits services. Tout cela va jouer sur le travail à accomplir, mais également sur les horaires.
Il s’ensuit que les bonnes ou mauvaises relations acquises au fil des mois, voire des ans, vont introduire une certaine variabilité. Celle-ci sera vécue de différentes manières selon la qualité de la relation établie.
D’autres personnes interviennent souvent dans le domicile de la personne âgée notamment des infirmiers ou infirmières, des aides-soignantes. Par exemple, dans certains cas, un personnel infirmier intervient le matin et le soir pour faire la toilette, chez d’autres personnes âgées non, alors que le besoin existe et retentit nécessairement sur les aides à domicile, qui, en principe, ne sont pas habilitées à la faire.
Ainsi l’isolement facilite « le flou qui entoure la question de savoir qui est censé tenir lieu de hiérarchie pour les aides à domicile…. L’organisation du travail, et ce faisant les taches qui reviennent à l’aide à domicile, ainsi que les personnes qui encadrent le travail et se considèrent en position de le faire sont très variables d’un domicile à l’autre » (Christelle Avril)
Le « bureau »
Les aides à domiciles, pour l’essentiel, travaillent pour ou par l’intermédiaire d’une association ou d’un service de collectivité qui constituent le « camp de base » de ces femmes. Il est souvent appelé le bureau. Ce bureau constitue un des lieux de travail des aides à domicile puisqu’elles doivent s’y rendre régulièrement, au moins une fois par mois, pour rendre leurs feuilles d’activité.
C’est là que plusieurs choses se jouent :
– L’organisation du travail : l’emploi du temps, les vacances, les remplacements,
– La régulation de leur relation avec les personnes âgées en parlant de leurs difficultés et en sollicitant des conseils. On note au passage qu’elles ont peu de formation.
Ce passage au bureau constitue, pour les responsables de l’association, un moyen de savoir ce qui se passe et de recueillir des éléments d’évaluation du travail fait. C’est un moment de contrôle. Mais c’est aussi, pour les aides à domicile, une manière de rompre l’isolement. Le bureau offre la possibilité de nouer des relations avec des collègues, de se rencontrer pour se transmettre des savoir-faire et préciser des normes de comportement. Cela permet de constituer une esquisse de collectif de travail.
Travail difficile, travail isolé, mais travail indispensable, cet emploi est assuré par des travailleuses en bas de l’échelle. Pour certaines n’ayant connu que des emplois très précaires, c’est la possibilité d’avoir un CDI, un contrat d’insertion dans le monde du travail, pour d’autres, dans une trajectoire de déclassement, c’est une bouée de sauvetage, faute de mieux.
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