Le film « Demain » réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, vu par plus d’un million de spectateurs depuis sa sortie en salle en 2015 et diffusé depuis dans le monde entier, a reçu le César 2016 du meilleur documentaire. Notre dossier sur l’écologie et le travail est l’occasion d’un bref retour sur les raisons d’un tel succès.
Les raisons d’un succès
La première raison est bien sûr le sujet du film. Bien avant la COP 21, l’écologie était un sujet de préoccupation pour tous ceux qui vivent sur cette Terre en ce début de 21e siècle et que le sort des « générations futures » ne laisse pas indifférents. Pourtant il ne suffit pas de faire un documentaire écolo pour obtenir ces résultats. « Le Syndrome du Titanic », réalisé par Nicolas Hulot en 2009, est crédité de 260 000 spectateurs, très loin du score du film de Cyril Dion et Mélanie Laurent, pourtant bien moins populaires que celui qui deviendra ministre de l’Ecologie. Le film « Home » de Yann Arthus-Bertrand, sorti également en 2009, est crédité lui d’à peine plus de 120 000 entrées.
La qualité cinématographique est un atout certain. « Demain » est un documentaire construit, il raconte une histoire, il a un style, il emprunte au Road movie. Mélanie Laurent apporte son expérience de la réalisation et du cinéma de fiction. Elle a assuré la promotion du film à sa sortie bien qu’elle apparaisse peu à l’écran. Elle y occupe avec spontanéité la place de la Girl next door, celle qui évite que les échanges soient uniquement par et pour les spécialistes. Mais l’écriture cinématographique ne suffit pas à expliquer un tel succès.
Un film positif en cinq chapitres
Il faut en chercher les raisons dans le contenu du film lui-même. On l’a beaucoup dit, les réalisateurs eux-mêmes l’ont proclamé : le film est positif ! Une très courte introduction suffit à nous alerter sur les risques majeurs encourus pour la planète Terre, le risque d’effondrement de notre civilisation dans les 40 années à venir. Le reste du film, soit près de deux heures, est ensuite consacré à des expériences concrètes, portées par des personnes, des collectifs et des institutions très diverses dans dix pays différents.
Deux choses frappent le spectateur. La première est l’envergure de ces actions. Nous sommes habitués à citer souvent les mêmes exemples et souvent des exemples de micro-expériences. Nous concluons volontiers que ces réussites locales sont certes indéniables, mais qu’elles sont loin d’être à la hauteur des enjeux et des problèmes. On pouvait craindre que Cyril Dion, animateur du mouvement Colibris, n’entraîne le film vers ces actions modestes dans lesquelles l’important est que chacun y apporte sa part, à l’instar de la légende du Colibri qui verse des gouttes d’eau pour éteindre l’incendie.
Au lieu de ça « Demain » nous emmène à Copenhague, à San Francisco, à Détroit, en Suisse, en Inde, en Bretagne, où chaque fois les solutions mises en œuvre sont non seulement réalistes et durables mais tout sauf dérisoires. A San Francisco, 80% des déchets sont recyclés et les agriculteurs sont ravis de la qualité du compost. A Copenhague plus de 50% des habitants se déplacent à vélo, l’énergie d’origine fossile est bannie et la production de CO2 en voie de disparition. En Suisse, la monnaie locale complémentaire WIR, créée à Bâle et vieille de 70 ans, est utilisée par une PME sur cinq, soit par plus de 70 000 adhérents. A Todmorden, une ville de 14 000 habitants au sud de Manchester, l’objectif de l’autonomie alimentaire en fruits et légumes est à portée de main grâce à l’action du mouvement des Incredible Edible et de ses 7 000 membres. A Détroit, la ville se reconstruit en grande partie grâce aux 1 600 fermes urbaines qui se sont implantées sur les friches créées par l’arrêt de la production automobile. En Islande, une Assemblée composée de sénateurs tirés au sort a écrit une nouvelle constitution. En Finlande il y a fallu une dizaine d’années et beaucoup de constance pour transformer complètement le système éducatif. Etc, etc.
La deuxième chose qui donne sa force au film est sa construction en cinq chapitres : agriculture (se nourrir sans pesticides et localement), énergie (à produire exclusivement avec des énergies renouvelables et à économiser), économie (circulaire, en réseau, coopérative), démocratie (power to the people, relation directe et continue avec les élus, faire ensemble) et éducation (valoriser la diversité des enfants, les faire tous progresser plutôt que les classer). Cette construction, loin d’isoler les enjeux afin de les confier à des spécialistes ou d’inciter à réfuter les solutions au nom des problèmes qu’elles pourraient créer par ailleurs, montre de manière très pédagogique comment toutes ces initiatives font système (écosystème bien sûr !). Le film ne se contente pas d’une énumération « de bonnes pratiques ». C’est la démonstration de la cohérence entre ces diverses initiatives qui rend le film si convaincant et si joyeux.
Il y a des alternatives
Il y a donc des façons de faire alternatives, elles sont réalistes, possibles et désirables. Elles ont en outre l’immense intérêt d’être globalement un antidote aux vents mauvais qui soufflent dans nos pays. Elles ne réduisent pas l’espèce humaine à d’interchangeables et sinistres homo economicus. Elles sont au contraire toutes constitutives d’une culture démocratique, « elles dépendent des pratiques de la citoyenneté autant qu’elles les consolident ». A partir de quelques unes des mêmes actions, Joëlle Zask, dans son dernier livre « La Démocratie aux champs » montre leur efficacité pour promouvoir l’ensemble des valeurs démocratiques : « développer son individualité, conduire des expériences de A à Z, éprouver physiquement, intellectuellement l’indépendance des phénomènes naturels, mais aussi mutualiser des ressources, des outils, du travail, échanger des connaissances, transmettre, éduquer, accueillir les étrangers ».
Ce n’est pas en faisant l’éloge d’experts visionnaires ou de pratiques qu’il suffirait de dupliquer, ni en se fiant à la méthode Coué toujours très en vogue, que le film « Demain » est positif. Il l’est en liant ce que nous devons faire pour échapper à la catastrophe à ce que chacun d’entre nous est en mesure de faire, afin que collectivement ces alternatives soient enfin « à la hauteur des enjeux » et nous fassent absolument préférer l’optimisme et l’estime de soi plutôt que le ressentiment et la haine.
– Article initialement paru le 16 juin 2016 –
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