L’AFDET (Association française pour le développement de l’enseignement technique) vient de publier une étude sur l’impact de la loi de 2018 et des dispositions prises simultanément par le ministère de l’Éducation nationale pour le développement de l’apprentissage, avant les mesures conjoncturelles prises en raison de la crise sanitaire. Cette analyse précède la présentation de 7 propositions d’amélioration qui permettraient à l’apprentissage de mieux répondre aux attentes des jeunes ainsi qu’aux besoins des entreprises.
Quelle évolution de l’apprentissage depuis 2018 ?
1- Une augmentation nette en nombre
La tendance au développement quantitatif de l’apprentissage constaté depuis 2014 (+82 %) s’est accentuée au cours de l’année 2020 (+40 %) : indépendamment d’autres facteurs, quel est l’effet structurel des dispositions de la loi de 2018 ?
Cet effet structurel est incontestable et se mesure par l’augmentation du nombre d’apprentis et d’entreprises les accueillant, mais par l’augmentation du nombre de CFA. Dans le même temps, les mesures prises par le ministère de l’Éducation nationale, telle la présentation de l’apprentissage comme une alternative à la voie scolaire de la formation professionnelle dans les documents d’orientation, ont induit une augmentation de 40 % des vœux « apprentissage » dans les souhaits d’orientation.
Des facteurs conjoncturels ont néanmoins joué :
- L’attribution de primes d’embauche pour tous les contrats d’apprentissage (de 5000 à 8000 euros attribués à l’entreprise par apprenti accueilli selon l’âge)
- Un double effet d’aubaine pour les organismes de formation : la possibilité de se constituer en CFA par une simple déclaration administrative en préfecture et d’accueillir, jusqu’au premier avril 2021, des jeunes « apprentis » sans entreprise et donc sans contrat d’apprentissage en bénéficiant d’une dotation de 500 € par mois et par apprenti.
- La substitution de contrats d’apprentissage, plus avantageux pour les entreprises, à un grand nombre de contrats de professionnalisation (baisse de 55 % de ces derniers pour les jeunes de moins de 26 ans en 2020).
Sur l’ensemble de l’année 2020, le nombre total de jeunes en contrat d’apprentissage et de professionnalisation n’augmente finalement que de 10 %… mais de 10 % quand même sur une année difficile !
2- L’essentiel des augmentations d’effectifs d’apprentis concerne les niveaux supérieurs
À défaut de données nationales, l’étude s’appuie sur une enquête en Nouvelle-Aquitaine où les effectifs ont augmenté entre 2018-19 et 2020-21 de 4,3 % au niveau bac, 11,6 % pour le niveau bac+2, 52 % pour le niveau bac+3, 39,7 % pour bac+5, alors qu’elles ont diminué de 0,3 % pour les formations de niveau inférieur au bac.
En Nouvelle-Aquitaine toujours, le déplafonnement de l’âge pour signer un contrat d’apprentissage ne parait pas avoir eu beaucoup d’effet : 95 % des apprentis ont moins de 25 ans et 60 % sont rentrés directement dans le prolongement d’un parcours scolaire ou étudiant.
3- Le taux de rupture de contrat, autour de 30 % depuis de nombreuses années, n’a pas bougé
4- Entre 2018-19 et 2019-20 le nombre de CFA aurait augmenté de 50 % (Nouvelle-Aquitaine)
Les nouveaux CFA sont en quasi-totalité issus d’organismes de formation continue entrant sur le « marché » de l’apprentissage et ont reçu un très petit nombre d’apprentis au contraire des anciens. Certains sont issus d’entreprises, souvent des grands groupes, mais encore non opérationnels.
5- L’âge limite de 30 ans au lieu de 25 pour signer un contrat d’apprentissage pose un problème de fond non traité
Entre des jeunes sortant directement du système scolaire et de jeunes adultes de plus de 25 ans ayant une première expérience professionnelle et parfois une vie de couple ou de famille, les besoins en formation ne sont pas les mêmes. Les premiers ont besoin plus que les seconds de s’approprier des connaissances et des compétences générales correspondant plus à un diplôme qu’à une certification professionnelle. La loi n’aborde pas le sujet. On retrouve là l’un des sujets abordés par l’étude du CEDEFOP (voir dans Metis « L’apprentissage à la croisée des chemins partout en Europe », Jean-Raymond Masson, avril 2021). Ne pourrait-on pas mieux préciser les critères de choix pédagogiques et de certification selon l’âge des apprentis et les besoins des entreprises ?
6— La situation des maîtres d’apprentissage reste inchangée avec la difficulté pour la plupart d’entre eux, d’exercer à la fois leur métier en prenant en compte les réalités de l’entreprise et d’assurer pleinement leur rôle auprès des apprentis qu’ils ont à former.
7- La réduction de la part de la taxe d’apprentissage (dite hors quota) consacrée aux formations professionnelles sous statut scolaire ou étudiant pose également problème.
Elle ne représente aujourd’hui que la moitié de ce qu’elle représentait avant la loi de 2018, provoquant un déficit majeur de financement des lycées professionnels et technologiques.
8- Les modalités de l’obligation pour tout CFA à partir de 2022 de détenir une certification qualité interrogent.
La démarche choisie relève d’une transposition des démarches qualité du monde de l’entreprise : la certification porte sur les processus de production et non sur la qualité du produit, en l’occurrence de la formation. L’évaluation de la qualité pédagogique, comme la prise en compte des spécificités des processus d’apprentissage et des différents publics concernés (jeunes, adultes, niveaux), ne rentre pas dans le cadre du processus de certification. La question est rendue d’autant plus lourde par l’arrivée d’un contingent massif de nouveaux CFA n’ayant pas encore l’expérience de l’apprentissage.
9- Les éléments de comparaison des résultats à l’issue de la filière apprentissage et de la filière scolaire ne sont pas aujourd’hui satisfaisants
Un nouveau dispositif de suivi de l’insertion des jeunes « Inser jeunes » vient d’être mis en place. Pour l’orientation des jeunes il devrait permettre une production de données plus fiables. Mais la comparaison entre CFA et établissements scolaires est rendue particulièrement délicate par la différence de mode de sélection à l’entrée des deux types d’établissements : sélection par les entreprises dans les premiers, sans sélection en général pour les seconds, sauf manque de place. Il se pourrait qu’une partie des élèves de lycées professionnels, technologiques ou généraux (BTS) y poursuivent leur parcours par défaut, faute d’accéder à la voie de l’apprentissage, biaisant ainsi les résultats intrinsèques des deux filières.
10- Avec la loi de 2018 le positionnement respectif des différents acteurs de l’apprentissage a été bouleversé
Au niveau national, les partenaires sociaux ne constituent plus qu’une partie non majoritaire du conseil d’administration de France Compétences alors qu’ils géraient le FPSPP ; les branches professionnelles jouent un rôle décisif par la fixation du niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage, leur rôle au sein des OPCO, la définition des diplômes et titres à finalité professionnelle et la gestion des observatoires paritaires des métiers et qualifications ; France compétences répartit les fonds mutualisés de l’apprentissage et de la formation professionnelle continue, régule la qualité, le montant des coûts ainsi que les règles de prise en charge de la formation, participe à la création, la rénovation et la suppression des diplômes professionnels et des titres ; les OPCO assurent le financement des contrats d’apprentissage et de professionnalisation selon les niveaux de prise en charge fixés par les branches professionnelles après accord de l’État et assurent une mission de conseil auprès des entreprises ; les entreprises se voient accorder une plus grande liberté pour mettre fin à un contrat d’apprentissage, lui-même plus strictement défini comme un contrat de travail ; les Régions perdent toute compétence en matière d’apprentissage, sauf contribution volontaire, mais le rapport s’interroge « sur l’opportunité d’une concertation régionale y compris à propos de l’articulation et la complémentarité de l’apprentissage… avec les formations professionnelles sous statut scolaire ou étudiant qui s’adressent aux mêmes jeunes » ; l’État en région, quant à lui, voit simplement sa compétence de contrôle et de répression des fraudes étendue à l’apprentissage.
Propositions d’améliorations
L’AFDET considère que ces propositions font système et doivent être examinées dans leur globalité :
1— Pour une nécessaire adaptation des contenus et des durées de formation des apprentis selon leur âge
Le rapport propose pour les apprentis âgés de moins de 18 ans accédant directement à l’apprentissage à l’issue d’un parcours scolaire la préparation d’un diplôme scolaire permettant d’acquérir des compétences professionnelles, mais en même temps de continuer à développer des compétences générales et transversales. Pour les plus âgés accédant à l’apprentissage après un parcours souvent discontinu, l’AFDET propose d’axer plus exclusivement le choix sur les compétences professionnelles que ce soit par la voie d’un titre professionnel ou d’un diplôme. Les décrocheurs font l’objet d’un traitement particulier, insistant sur l’opportunité de valorisation personnelle et de motivation que peut constituer dans une première étape l’obtention d’un titre professionnel ouvrant la voie à la préparation ultérieure d’un diplôme.
Ne pourrait-on pas dire plus simplement qu’en fonction de l’âge et du parcours antérieur, scolaire, professionnel, de vie, le choix du titre ou diplôme doit intégrer un critère de la compétence tout court à acquérir, et non seulement professionnelle ? C’est pour cela qu’a été forgé le concept de compétence… et c’est une dimension essentielle du choix de la filière apprentissage comprenant la mise en situation de travail. Finalement, titre ou diplôme, c’est plus le contenu de la bouteille que l’étiquette qui compte… et donc la qualité du processus d’orientation !
2- Pour une nécessaire adaptation de l’organisation et des pratiques pédagogiques aux apprentis selon leur âge et leur niveau d’autonomie
À partir du même constat que pour la proposition précédente, la spécificité des publics venant directement de la filière scolaire, cette deuxième proposition vise l’organisation de la formation et les méthodes pédagogiques. Elle s’adresse particulièrement aux nouveaux CFA dont le métier était exclusivement la formation d’un public d’adultes en formation continue.
L’AFDET insiste sur la nécessité de prévoir un accueil différencié pour les jeunes issus du système scolaire, accueil en début d’année scolaire, et pour les jeunes adultes, ou décrocheurs, accueil tout au long de l’année, avec éventuellement des dates périodiques, comprenant une individualisation des formations selon le niveau de maturité.
3- Pour une meilleure reconnaissance des maîtres d’apprentissage
La fonction apprentissage doit être considérée par les entreprises comme un investissement économique et en ressources humaines auquel participent les maîtres d’apprentissage. Leur valorisation passe par une campagne de communication sur leur fonction, l’accès à la certification « relative aux compétences de maître d’apprentissage », y compris par la VAE, avec des formations complémentaires et pourquoi pas la définition d’une rétribution complémentaire ?
4- Pour une amélioration du dispositif de certification qualité des CFA
L’AFDET propose une concertation pour progresser vers une fusion des deux principales certifications Qualiopi (ministère du Travail) et Eduform (ministère de l’Éducation). Elle pourrait débuter par une évaluation de la mise en œuvre des deux dispositifs et aboutir à des critères d’évaluation et une certification qualité unique des CFA et plus largement du système de l’apprentissage dans son ensemble.
5— Pour une amélioration du dispositif Inser Jeunes
Il s’agit d’améliorer, en l’enrichissant largement, la présentation des résultats des formations professionnelles sous statut scolaire et d’apprentissage pour permettre aux jeunes et à leur famille de faire leur choix d’orientation en meilleure connaissance de cause. L’information ciblerait à la fois les caractéristiques des établissements, des territoires (national, régional), des métiers et des diplômes ou titres.
6- Pour une participation financière qui ne pénalise pas les formations professionnelles dispensées hors du cadre de l’apprentissage
L’AFDET propose d’augmenter la part de la taxe d’apprentissage affectable aux établissements dispensant des formations professionnelles sous statut scolaire ou étudiant, actuellement de 13 % et à quelques autres organismes habilités.
7— Pour une concertation entre la Région, le rectorat et les branches professionnelles pour mettre en cohérence la carte des formations professionnelles et le développement de l’offre de formation en apprentissage
La garantie par la Loi de 2018 du « financement au contrat » de l’apprentissage supprime le mode de régulation précédent et donne de fait la priorité au développement de l’apprentissage. Il est nécessaire de trouver un autre mode d’organisation de la complémentarité des différentes voies de formation concourant à la satisfaction des besoins en qualification et en emploi. Pour ce faire, l’AFDET propose la création d’une instance régionale (éventuellement par extension des fonctions du CREFOP) quadripartite, partenaires sociaux, Région, État. La concertation porterait sur la gestion globale des flux des jeunes en formation professionnelle initiale diplômante, des jeunes décrocheurs ou en recherche d’emploi, mais aussi pour les adultes, d’un suivi de l’ensemble des dispositifs de formation continue mis en place dans le cadre de la loi de 2018.
En fait il s’agit de réintégrer dans la concertation quadripartite le plan apprentissage qui en est sorti puisque ne dépendant plus des acteurs publics. C’est en effet une proposition de bon sens si on veut éviter une incohérence de la gestion du système au moins de la formation professionnelle initiale.
En conclusion ces propositions peuvent être classées selon nous en deux catégories : celles visant à pallier des conséquences directes de telle ou telle disposition de la loi, liberté de création de CFA, mesures sur la taxe professionnelle, et d’autres qui ne sont pas des conséquences directes de la loi, par exemple proposition sur les maîtres d’apprentissage, mais que la place croissante de l’apprentissage dans la formation professionnelle initiale rend plus urgente. Il était opportun d’enfoncer le clou et le nœud des problèmes réside toujours dans l’articulation d’une voie scolaire et d’une voie en entreprise (voir dans Metis « La formation professionnelle initiale en France : deux systèmes, deux réformes et toujours un problème », Jean-Louis Dayan, novembre 2018)
Restent cependant deux points d’interrogation forts :
- La croissance massive des effectifs en apprentissage des deux dernières années va-t-elle se poursuivre ou pas et à quel rythme ? La conjonction de la loi de 2018 avec les mesures liées à la crise COVID crée des confusions et le seul exemple de la Nouvelle-Aquitaine reste fragile. Affaire à suivre.
- Pourra-t-on se contenter de la croissance d’effectifs exclusivement sur le front de l’enseignement supérieur alors que les effectifs des formations pré-bac baissent depuis 2018 ? Ce serait socialement et économiquement (métiers en tension) une aberration. Mais que faire ? Encore un travail de réflexion pour l’AFDET… et pour d’autres !
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