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Quand un jeune vous dit « je suis au lycée », cela veut dire « lycée général ». Sinon on dit « lycée professionnel ». Il y a deux voies possibles. La voie professionnelle se divise en deux : dans le système éducatif ou en alternance avec un contrat de travail en entreprise. Et l’alternance peut se concrétiser par un contrat d’apprentissage ou un contrat de professionnalisation. Qu’apportent de neuf la loi « sur la liberté de choisir son avenir professionnel » de Muriel Pénicaud et la réforme de la voie professionnelle de Jean-Michel Blanquer ? Jean-Louis Dayan analyse l’existant et ce qui change, et les forces et les faiblesses du système français.

 

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La formation professionnelle initiale (FPI) figure en bonne place sur l’agenda des réformes du quinquennat. Portée par Muriel Pénicaud, la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » datée du 6 septembre consacre un chapitre entier à la formation en alternance. Elle y met l’accent sur l’apprentissage, auquel elle entend donner un nouveau souffle en modifiant en profondeur son financement et sa gouvernance. Présentée en mai dernier par Jean-Michel Blanquer, la réforme de la voie professionnelle vise, quant à elle, à rendre plus attractives et efficaces les formations dispensées par les lycées professionnels.

Rien d’étonnant à ce que l’insertion professionnelle des jeunes demeure une priorité gouvernementale : elle n’a guère cessé de l’être depuis quarante ans, à coup de dispositifs multiples. Partout les jeunes sont les premiers exposés au chômage et à la précarité, en raison même de leur position d’entrants sur le marché du travail, dotés d’un pouvoir de négociation d’autant plus faible qu’ils sont moins diplômés. La France fait un peu moins mal que la moyenne en Europe avec un taux de chômage 2,5 fois plus élevé avant 25 ans qu’après (le ratio moyen est de 2,8 dans l’UE28). C’est plus toutefois que dans la zone Euro (2,2), et surtout qu’en Allemagne (2,0), on y reviendra. Une position médiocre qui renvoie à deux spécificités nationales, non sans lien entre elles : la toute-puissance du diplôme dans l’accès à l’emploi d’une part, des relations historiquement problématiques entre système éducatif et système productif de l’autre.

Les sorties d’école « précoces » (i. e sans diplôme) ont considérablement diminué en France au cours des années 1980-90, à la faveur de l’allongement des études et de l’accès massif au baccalauréat, qu’obtiennent désormais 80 % d’une classe d’âge.

 

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Elles marquent cependant le pas depuis 2000, même si les mesures récentes contre le « décrochage » scolaire semblent porter quelques fruits. Avec 9 % de sortants sans diplôme (contre 40 % en 1980), la France fait tout de même mieux aujourd’hui que beaucoup de ses voisins (11 % en UE 28, 10 % en Allemagne, jusqu’à 19 % en Espagne).

En revanche, l’absence de diplôme s’y montre particulièrement pénalisante ; la dévalorisation des titres a beau s’être accentuée depuis la crise de 2008, ils demeurent décisifs pour l’accès à l’emploi stable. Avant 30 ans, 39 % des actifs sans diplôme étaient au chômage en 2017, contre 8 % des diplômés du supérieur. Les écarts sont à l’avenant en matière de salaire, de précarité, d’exclusion et de pauvreté. La société française aime beaucoup ses diplômes ; le revers de la médaille, c’est qu’elle se montre particulièrement fermée aux sans diplôme, voués à la « galère » sous toutes ses formes.

 

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Une autre particularité de notre pays tient à la relation problématique qu’y entretiennent de longue date l’école et l’entreprise, la formation et l’emploi. La transition entre formation initiale et vie professionnelle n’a cessé au cours des quarante dernières d’être réaménagée au nom de la lutte contre le chômage des jeunes, sans que soit semble-t-il trouvé un équilibre en phase avec les transformations de l’économie, du travail et de la société. L’apprentissage en offre une bonne illustration : voilà tout près de 100 ans (la loi Astier date de 1919) qu’il bénéficie d’un cadre légal, 40 ans qu’il a été annexé à la panoplie des aides à l’emploi et fait l’objet de réformes récurrentes pour en diffuser l’usage au-delà de ses utilisateurs traditionnels (artisanat, commerce, coiffure, réparation auto…). Pour autant, le saut quantitatif attendu ne s’est pas produit là où il aurait été le plus utile, c’est-à-dire aux premiers niveaux de qualification (CAP, BEP, Bac Pro). Pire, lorsque dans les années 1980 patronat et syndicats se sont accordés pour développer à leur tour la formation en alternance, loin de s’appuyer sur l’apprentissage ils l’ont contourné en créant leurs propres contrats d’alternance (dits aujourd’hui « contrats de professionnalisation ») assortis d’un financement et d’une régulation à leur main.

De son côté la « voie professionnelle » offerte par l’Éducation nationale n’a pas été en reste de réformes, avec la transformation des collèges d’enseignement technique en lycées professionnels (1976), la création du bac professionnel (1985), la généralisation des « périodes en milieu professionnel » en cours d’étude, l’ouverture de sections d’apprentis dans les lycées, le passage du Bac Pro de 4 à 3 ans (2009), la multiplication des partenariats entre lycées professionnels et tissu économique local.

Aussi pertinents soient-ils, ces changements se sont pourtant produits sans toucher à la frontière institutionnelle qui sépare les deux voies, chacune évoluant selon ses propres logiques, contraintes et dynamiques de part et d’autre d’une ligne rouge qui fait figure de tabou. De ce point de vue, la concomitance en 2018 des deux réformes de l’apprentissage et de la formation professionnelle sous statut scolaire peut être vue aussi bien comme une prudente tentative de rapprochement que comme la perpétuation d’une césure indépassable. Car tout en affichant les mêmes objectifs – rendre attractive la formation professionnelle initiale et la rapprocher des besoins de l’économie – elles se gardent bien, à quelques détails près, de remettre en cause la frontière qui les sépare. Impossible pourtant d’appréhender le système de transition professionnelle en France sans dépasser les fractures institutionnelles qui traversent la FPI.

Le match France/Allemagne

 

Référence obligée du débat national sur l’emploi des jeunes, la comparaison France-Allemagne conduit rituellement au même constat de carence. Avec aujourd’hui seulement 420 000 jeunes en apprentissage (6 % des 15-24 ans) la France accuserait un retard considérable sur l’Allemagne et son million et demi d’apprentis formés en « système dual » (16 % de la classe d’âge). Retard que les jeunes Français paieraient d’un taux d’emploi bien inférieur (29 % contre 46) et d’un taux de chômage triple (22 % contre 7). C’est pourtant aller vite en besogne. Il faut bien sûr tenir compte de l’écart qui sépare les deux marchés du travail, avec tous âges confondus un taux de chômage aujourd’hui trois fois moindre en Allemagne (3,4 %) qu’en France (9,3 %) ; c’est bien pourquoi il est plus pertinent de comparer les ratios de « surchômage » des jeunes dans les deux pays (respectivement 2,0 et 2,5). Il faut surtout prendre en considération la configuration très différente des deux systèmes de transition entre l’école et l’emploi. Pour s’en tenir à la FPI stricto sensu (i.e. celle qui délivre une première qualification professionnelle à l’issue du socle commun de formation générale), la différence est d’abord structurelle, avec d’un côté un système éducatif allemand centré sur l’alternance entre école professionnelle (berufsfachschule) et travail en entreprise, constitutive du « système dual », de l’autre un système français scindé en trois filières relativement étanches, le lycée professionnel (sous statut scolaire), l’apprentissage, et le contrat de professionnalisation (tous deux sous statut salarié). Au surplus les deux systèmes n’occupent pas la même place dans les cursus initiaux. À l’issue de leurs huit années de formation initiale (l’équivalent de la fin de 3e en France), deux tiers des jeunes s’engagent en Allemagne dans la préparation d’un premier diplôme professionnel en système dual, qui est pour eux la voie normale de poursuite d’études (même si tous n’y trouvent pas leur place). La « voie scolaire » offerte par les lycées professionnels ne remplit en France cette fonction que pour un sortant de 3e sur trois, l’apprentissage pour seulement 5 % d’entre eux ; quant au contrat de professionnalisation, il recrute quasi exclusivement des jeunes plus avancés dans leur cursus, le plus souvent déjà diplômés.

Si l’on veut comparer ce qui est comparable, il faut rapporter les 1,5 million d’apprentis allemands à l’ensemble formé par les 665 000 lycéens professionnels et les 264 000 apprentis préparant les mêmes diplômes (CAP, BEP, Bac Pro et Brevet professionnel), soit 930 000 jeunes préparant un diplôme professionnel de premier niveau (11 % des 16-25 ans). L’écart en nombre est donc moindre qu’on ne le dit ; il n’en reflète pas moins trois différences de fond. La première est que le cas français traduit une préférence implicite pour la poursuite d’étude en formation générale et non professionnelle (encore que l’existence d’une filière intermédiaire, dite « technologique » – distinction ignorée par le système éducatif allemand – brouille quelque peu les cartes avec ses quelque 300 000 lycéens). La deuxième est que la formation en alternance sous contrat de travail n’y tient qu’une part minoritaire (28 %), alors qu’elle prédomine largement en Allemagne, où c’est la formation professionnelle de premier niveau hors système dual qui fait figure de voie de rattrapage, sinon de garage. Pourtant, imperturbablement, le débat français sur la FPI continue sauf exception d’ignorer son volet scolaire, sinon pour déplorer son inefficacité.

Relativiser les vertus de l’alternance en contrat de travail

 

Si l’apprentissage occupe le devant de la scène au point d’éclipser une voie scolaire pourtant majoritaire, c’est qu’on lui prête des vertus particulières en matière d’insertion des jeunes, et pas seulement sur la foi de l’exemple allemand. De fait, les enquêtes d’insertion lui donnent régulièrement l’avantage. 3 ans après l’obtention d’un CAP ou d’un BEP, près de 60 % des ex-apprentis sont engagés dans une trajectoire d’accès durable à l’emploi, contre 40 % des ex-lycéens professionnels ; ils sont deux fois moins nombreux (13 % contre 26) à rester aux marges de l’emploi.

 

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De même le taux de chômage à trois ans des « scolaires » était en 2010 supérieur de 9 points à celui des apprentis à l’issue d’un CAP, de 14 points à l’issue d’un Bac Pro ; pour les jeunes en emploi, l’écart de salaire était pour les deux diplômes de l’ordre de 100 euros mensuels (Cereq, enquête « génération » 2007) au détriment des scolaires. Des écarts de même ordre s’observent en faveur des jeunes passés par un contrat de professionnalisation. L’affaire paraît donc entendue : obtenir un diplôme professionnel par l’alternance en contrat de travail procure un avantage manifeste à l’entrée dans la vie active ; éloignée des réalités du travail et de l’économie, la voie scolaire protège mal ses élèves des difficultés de l’insertion.

Sans dénier à l’alternance ses vertus en matière de transmission de savoirs et d’acculturation au travail, il faut pourtant relativiser. Comparer les résultats à trois ans de la voie scolaire et de l’apprentissage revient à ne retenir que ce qu’elles ont en commun (constituer une filière de FPI) en oubliant la différence de statut qui les sépare, l’une accueillant des élèves, l’autre des salariés. Or elle est décisive : entrer en alternance, c’est être embauché, signer un CDD long (de 6 mois à 2 ans pour le contrat de pro, et à 3 ans pour l’apprentissage) et prendre place dans un collectif de travail. Autrement dit, franchir une étape cruciale de l’entrée dans la vie active, quelle que soit par ailleurs la qualité de l’emploi occupé ou de la formation reçue. Rien d’étonnant à ce que trois ans plus tard les jeunes scolaires, qui ne sont entrés sur le marché du travail qu’après avoir obtenu leur diplôme, connaissent un chômage supérieur et un salaire inférieur. Ils ont entamé plus tard que les alternants leur insertion dans l’emploi, dont on sait qu’elle est un processus graduel, qui tend au surplus à s’allonger. En d’autres termes, la « prime à l’alternance » mesurée par les enquêtes d’insertion procède pour une bonne part d’une illusion d’optique, voire d’une tautologie : ceux qui ont été embauchés plus tôt ont pris de l’avance dans leur trajectoire professionnelle. Ignorer cette différence, c’est oublier que l’alternance est comme son nom l’indique une position hybride, mêlant étroitement formation et emploi.

Deux autres constats réguliers des enquêtes vont dans le même sens. Un ex-apprenti (ou ex-contrat pro) sur deux exerce toujours dans l’entreprise qui l’a embauché en alternance ; et l’écart des trajectoires entre alternants et scolaires s’annule, voire parfois se renverse, quand on prolonge l’observation au-delà de trois ans, comme si le retard pris au départ par les scolaires se comblait. Du caractère hybride de l’alternance découlent d’ailleurs aussi ses inconvénients, ou ses risques, car elle en a. Etroitement liée aux décisions d’embauche des employeurs, elle est tributaire des fluctuations de la conjoncture, comme l’attestent les variations de court terme des flux d’embauche en apprentissage ou en contrat de pro. C’est tout aussi vrai du système dual en Allemagne, où le manque de places d’apprentis en phase de ralentissement économique suscite un débat récurrent. Contrairement aux capacités d’accueil des scolaires, le nombre d’alternants ne se décrète pas. Pour la même raison, en dépit des précautions particulières prises par les textes, l’alternance ne protège guère ses jeunes recrues des risques encourus par les nouveaux entrants sur le marché du travail, dont les conditions de travail et d’emploi se sont détériorées au fil du temps. D’autant que les aides à l’embauche dont elle est assortie en France rencontrent souvent la tentation opportuniste d’employeurs qui y voient le moyen de recruter une main-d’œuvre bon marché. Gardons-nous pourtant d’en conclure que ses risques l’emportent sur ses vertus ; son véritable avantage en matière d’insertion, mais il est décisif, est d’ouvrir aux débutants un monde du travail structurellement peu enclin en France à leur accorder sa confiance.

La « professionnalisation » des études traverse tout le système éducatif

 

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Contrairement au système dual allemand, l’apprentissage n’a donc pas (ou plus) en France pour seule vocation d’accueillir des jeunes en formation professionnelle de premier niveau. Parmi les nombreuses réformes qu’il a connues (visant pour la plupart à convaincre plus d’employeurs d’y recourir) la plus marquante – au moins jusqu’à la loi Pénicaud II – est sans conteste celle qu’a introduite la loi Seguin de 1987 en l’élargissant à toute la gamme des diplômes, alors qu’il était jusque-là cantonné aux premiers niveaux de qualification (CAP, BEP – niveau V -, et Bac Pro – niveau IV). De pair avec l’allongement rapide des études durant les années 1990 et la réforme « LMD » des années 2000, elle lui a donné le second souffle longtemps attendu. De 120 000 en 1992, le nombre annuel de contrats signés approche aujourd’hui 300 000 ; dans le même temps, le nombre d’apprentis en exercice est passé de 230 à 430 000. Mais ce quasi-doublement s’est pour l’essentiel opéré dans l’enseignement supérieur : parmi les 200 000 apprentis supplémentaires, 165 000 préparent aujourd’hui, à part égale, des diplômes de niveau Bac + 2 (DUT et surtout BTS) ou Bac + 3 et plus (Licences et Masters Pro). L’augmentation a été beaucoup plus timide aux premiers niveaux (+  35 000 en 25 ans), la progression du Bac et du Brevet professionnels compensant de peu le recul du CAP. De filière professionnelle de première qualification, l’apprentissage est devenu une filière mixte qui recrute de moins en moins parmi les sans diplôme (moins du tiers des entrants aujourd’hui, dont la moitié seulement sort de 3e) et pour plus de 40 % après le bac ou la licence. On peut ainsi considérer qu’il existe désormais deux apprentissages : l’un, en quasi-stagnation, qui conserve sa fonction de première qualification en alternance, tout en glissant du niveau V (CAP) au niveau IV (Bac Pro, désormais préparé en 3 ans) ; l’autre, en expansion continue, qui soit soutient la poursuite d’études supérieures courtes (BTS), soit clôt des formations supérieures longues (licences et M2 Pro, voire diplômes d’ingénieurs) entamées sous statut étudiant. Le dispositif est formellement le même, la fonction, le public et l’offre éducative bien distincts.

Quant au contrat de professionnalisation, pourtant conçu à l’origine (en 1983, sous le nom de « contrat de qualification ») pour venir en aide aux jeunes peu qualifiés, il ne s’est jamais adressé qu’à la marge aux sans diplôme et recrute aujourd’hui pour moitié des étudiants déjà diplômés du supérieur, et pour plus du tiers des bacheliers. À ce titre, il participe de la même fonction que l’apprentissage du « deuxième type ». Accessoirement, l’un et l’autre procurent ce faisant des compléments de ressources très appréciables aux universités, chaque contrat d’alternance faisant l’objet d’une prise en charge forfaitaire des coûts de formation soit par la région (pour l’apprentissage, du moins jusqu’à la réforme en cours) soit par un organisme collecteur des fonds de la formation professionnelle (pour le contrat pro).

Mais la professionnalisation de l’enseignement supérieur ne se résume pas à la montée en puissance en son sein de l’alternance sous statut salarié. Plus largement, elle est portée par l’expansion des cursus axés sur la préparation d’un métier ou d’un groupe de métiers donnant une large place aux enseignements comme aux enseignants professionnels, ainsi qu’aux stages longs en situation de travail lorsque leurs étudiants n’ont pas le statut de salariés alternants. Près de 500 000 étudiants préparent aujourd’hui un DUT, une Licence Pro ou un Master Pro à l’Université (30 % du total des inscrits), auxquels il faut ajouter 235 000 élèves préparant un BTS au lycée.

Loin d’être restée inerte, la FPI a ainsi connu ces 30 dernières années de profonds réaménagements qui battent en brèche le cliché d’un système éducatif coupé du tissu économique et indifférent à l’impératif d’insertion des jeunes.

Les réformes en cours poursuivent le mouvement, mais toujours séparément

 

Qu’apportent de neuf la loi « sur la liberté de choisir son avenir professionnel » de Muriel Pénicaud et la réforme de la voie professionnelle de Jean-Michel Blanquer ?

La réforme de l’apprentissage est l’une des mesures phares de la première. Pour aller à l’essentiel, plus que son organisation pédagogique ce sont le financement et la gouvernance de la filière qu’elle modifie en profondeur, avec l’ambition de la rapprocher des besoins du système productif. Depuis la loi Astier de 1919, l’apprentissage reposait sur une infrastructure pédagogique (les centres de formation d’apprentis – CFA) et une ressource (la taxe d’apprentissage levée par des organismes collecteurs de branche) spécifiques, qui l’ont constitué comme un segment à part entière du système éducatif, placé sous la tutelle de l’éducation nationale, mais tributaire des capacités de financement (la taxe) et d’accueil (les embauches) des entreprises et, pour les CFA, de l’investissement des organismes consulaires. La loi Pénicaud II revoit ce régime de fond en comble. Elle fusionne la taxe d’apprentissage (0,68 % de la masse salariale) avec la contribution unique à la formation professionnelle continue (1 %), et en confie la collecte aux URSSAF. Elle substitue au financement complémentaire et à la régulation des sections d’apprentis par les régions (qui en étaient chargées depuis la décentralisation de 1982) un financement « au contrat » par les branches, calqué sur celui du contrat de professionnalisation. En complément, le régime des CFA est aligné sur celui des prestataires de formation continue et leur contrôle pédagogique désormais partagé entre éducation nationale et branches professionnelles. Jusqu’ici filière co-régulée et co-financée du système éducatif, l’apprentissage prend ainsi le caractère d’un dispositif de formation professionnelle continue, même s’il reste « voie de formation initiale concourant à l’effort éducatif de la Nation ». Contrairement à l’Allemagne, où le système dual repose sur une régulation quadripartite entre Etat fédéral, Länder, patronat et syndicats, la France vient ainsi d’opter résolument pour le tripartisme en plaçant l’apprentissage (et le contrat de pro, qui désormais lui ressemble comme un frère, CFA mis à part) sous la seule co-tutelle des branches et de l’Etat ; les premières l’exerceront via les « opérateurs de compétences » – ex-OPCA, désormais déchargés de la collecte – le second via son nouveau bras armé, l’agence nationale « France Compétences ». Dans la même logique, diplômes et titres seront désormais co-construits et co-régulés par l’Etat, le patronat et les syndicats au sein de la Commission nationale des certifications professionnelles (CNCP). Exeunt les régions, dont la compétence en matière d’apprentissage se justifiait pourtant par leur capacité à croiser logiques de branche et de territoire, et qui demeurent en charge avec l’Etat de la carte scolaire, donc de la régulation territoriale de la voie scolaire. Tout se passe comme si la régulation quadripartite de la formation professionnelle, qui semble si bien réussir à l’Allemagne (Etat fédéral, Länder, patronat, syndicats), restait en France de l’ordre de la quadrature du cercle. Or il ne s’agit pas que de « tuyauterie » : c’est la capacité des acteurs de la FPI à construire ensemble un intérêt sinon général, à tout le moins commun, qui reste en défaut.

Du côté de la voie scolaire, les changements sont plus mesurés. Décidées à l’issue d’une mission confiée au tandem formé par Céline Calvez (députée LERM) et Régis Marcon (Chef étoilé), les mesures annoncées en mai par Jean-Michel Blanquer ont pour maîtres-mots excellence et attractivité. Il s’agit de rendre la formation reçue en lycée professionnel plus riche, plus lisible et mieux adaptée aux besoins de l’économie en compétences de pointe, tout en comblant le déficit de réputation dont elle pâtit. Pour ce faire, le ministre actionne trois leviers : la coopération territoriale, la refonte des contenus et l’individualisation des parcours. Les établissements devront d’ici 2022 s’être constitués en réseaux pour offrir dans chaque région au moins trois « campus d’excellence ». Ceux-ci devront former depuis le CAP jusqu’à la licence, voire le doctorat, en s’appuyant sur des infrastructures de pointe (numérique, fab labs), des partenariats resserrés avec les entreprises et les territoires et des cursus diversifiés (parcours mixtes, formation continue, recherche et innovation, mobilité internationale…). Les spécialités de formation seront regroupées et adaptées aux besoins des territoires et des entreprises de façon à construire une offre plus claire et plus efficace. La part des savoirs professionnels sera progressivement accrue dans les programmes jusqu’à occuper 2/3 du temps de formation ; des tests de positionnement aideront les élèves et leurs familles à choisir entre filières (voie scolaire ou apprentissage) et spécialités, et à opter en fin d’année terminale entre vie active et poursuite d’études, tandis que le CAP pourra être préparé en un, deux ou trois ans selon le profil. Un programme au total relativement ambitieux, quoique silencieux sur les moyens associés ; mais qui ne touche pas à l’architecture d’ensemble de la FPI sous statut scolaire ni à son positionnement vis-à-vis des contrats d’alternance.

Au total, deux réformes d’inégale portée, mais dotée chacune de sa cohérence, qui partagent un objectif difficilement contestable à ce niveau de généralité : rapprocher l’offre de FPI des besoins du système productif. Les choix retenus pour l’atteindre sont évidemment sujets à débats. Un constat au moins est d’ores et déjà peu contestable. Rien ne venant remettre en cause la séparation entre voie scolaire et alternance, la FPI va conserver en France son caractère structurellement dual. Malgré nombre d’avancées sur le chemin de la professionnalisation, le système éducatif français va continuer de manquer d’une voie professionnelle suffisamment cohérente et homogène pour offrir comme le fait son homologue allemand des garanties d’insertion et de promotion professionnelle à l’ensemble des jeunes qui ne veulent ou ne peuvent s’orienter vers des études longues à la sortie du collège.

Pour en savoir plus :

 

Projet de loi pour choisir son avenir professionnel. Exposé des motifs. Avril 2018.

Loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

– « Le modèle dual allemand. Caractéristiques et évolutions de l’apprentissage en Allemagne ». Guillaume Delautre, DARES, Document d’étude n° 185, septembre 2014. 

– « Pas d’amélioration de l’insertion professionnelle pour les non-diplômés », Emilie Gaubert, Valentine Henrard, Alexie Robert, Pascale Rouaud, Céreq Bref n° 356, juin 2017

– « L’apprentissage en 2016 », Élise Pesonel, DARES résultats n° 57, septembre 2017

 

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Socio-économiste, Jean-Louis Dayan a mené continûment de front durant sa vie professionnelle enseignement, étude, recherche et expertise dans le champ des politiques du travail, de l’emploi et de la formation. Participant à des cabinets du ministre du travail, en charge des questions d’emploi au Conseil d’analyse Stratégique, directeur du Centre d’Etudes de l’Emploi… Je poursuis mes activités de réflexion, de lectures et de rédaction dans le même champ comme responsable de Metis.