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Un an après le vote de la loi prolongeant et étendant l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) et alors que de nouveaux territoires sont habilités, Michel Weill a rencontré Christiane Demontès et Bertrand Foucher, deux acteurs clés de la Métropole Lyonnaise. Il fait le point sur les réalisations et les projets.

Méfions-nous des mots : les différentes propositions de revenu dit universel, leurs mécanismes, leurs montants, les conditions qui y sont mises ou pas, changent la nature même de l’engagement. On pourrait citer le droit opposable au logement (DALO), dont les conditions de mise en œuvre sont telles qu’on peut vraiment se demander s’il s’agit d’un droit pratique. Le droit ? À voir !

Notre conviction est, qu’au-delà de ces nuances, deux chemins différents s’ouvrent cependant devant nous. Certes on nous dira qu’il n’y a pas a priori de contradiction entre les deux et qu’il faut explorer les deux voies ; dans une certaine mesure peut-être, notamment en explorant la voie fiscale en matière de réducteur d’inégalité de revenu (Pierre-Alain Muet, Un impôt juste, c’est possible. Le Seuil 2018), mais fondamentalement il faut choisir : ce que l’immense majorité des actifs demandent, c’est un emploi, pas seulement un revenu. Et on le comprend : ce qui se joue à travers l’emploi le dépasse infiniment, c’est le travail, la socialisation, l’émancipation, la socialisation, l’estime de soi, la reconnaissance sociale, l’identité même, bref le fameux et consensuel propos des philosophes « faire et en faisant se faire ». Le travail change, il ne disparait pas. Mais comment en fournir à tous, et pas du travail de Pénélope (!), du travail socialement utile, à un coût économiquement supportable ?

L’expérimentation TZCLD, 50 nouveaux territoires

Tel était le pari de l’expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » (TZCLD) lancée en 2016 et ayant fait l’objet, après évaluation, d’une seconde loi adoptée à l’unanimité le 14 décembre 2020. Elle est censée s’étendre à 50 nouveaux territoires au-delà des dix ayant fait l’objet d’une première expérimentation, mais avec l’idée sous-jacente qu’il n’y aura pas de numerus clausus. Le dépôt des candidatures se fera au fil de l’eau pendant trois ans et leur instruction est systématiquement assurée sur le terrain par un administrateur du projet. Ces deux caractéristiques modifient substantiellement la dynamique du projet et l’apparentent à une politique pérenne à entrée permanente comme le réclament plusieurs voix (Institut Rousseau, Pour une garantie à l’emploi vert. 2021).

Nous ne reviendrons pas sur les fondements de ce projet, déjà plusieurs fois présentés et analysés par Metis (voir dans Metis « Une utopie en marche », décembre 2015), ni non plus sur les spécificités de l’expérimentation de Villeurbanne Saint-Jean (voir dans Metis l’inteview de Yvon Condamin «Territoires zéro chômeurs de longue durée : l’expérience de Villeurbanne Saint-Jean », janvier 2019). Dans le contexte de la nouvelle loi et des questions posées ci-dessus sur un éventuel « droit à l’emploi », nous nous intéresserons aux dynamiques de dissémination des problématiques et des méthodologies qui le sous-tendent à partir de l’exemple de la métropole de Lyon.

Pour ce faire nous avons interrogé deux acteurs jouant un rôle clé dans l’expérimentation et que nous remercions vivement : Christiane Demontès, administratrice nationale du projet (personnalité qualifiée), ancienne sénatrice et vice-présidente à la Formation tout au long de la vie de la Région Rhône-Alpes, ainsi que Bertrand Foucher, président de l’entreprise à but d’emploi (EBE) EmerJean et coordinateur de l’association « le Booster de Saint-Jean » qui à ses côtés accompagne les demandeurs d’emploi volontaires vers une activité professionnelle durable que ce soit au sein de EmerJean, d’une autre entreprise ou vers une formation. Le booster recherche aussi avec les demandeurs d’emploi eux-mêmes et en collaboration avec les acteurs locaux des idées innovantes d’activités utiles à réaliser sur le quartier Saint-Jean, en étudie la faisabilité et aide à leur lancement. Bertrand Foucher joue aussi désormais un rôle important d’animation de la réflexion et des projets y afférents au niveau métropolitain.

Quelle évolution du projet de Villeurbanne Saint-Jean depuis 3 ans ? 

L’entreprise à but d’emploi compte aujourd’hui 100 salariés, plus 20 en deux ans, et a procédé à 26 embauches en 2021. Quinze personnes sont parties, pour moitié par licenciement pour raisons disciplinaires ou inaptitude et l’autre moitié par départ volontaire. Parmi elles, cinq sont parties chez des clients, d’autres pour entreprendre des formations qualifiantes avec Pôle emploi, notamment des jeunes. Cette grande stabilité montre bien que pour cette population de personnes privées durablement d’emploi (PPDE), le retour sur le marché du travail classique prend du temps, si même il est possible un jour pour certains. Le nombre non négligeable de licenciements nous semble être le corollaire de la légitime et louable prise de risque au moment de l’embauche. L’expérimentation n’est pas faite pour présenter de brillants indicateurs d’insertion dans l’emploi, mais pour trouver des voies pour les personnes les plus en difficulté. À l’extérieur de l’entreprise à but d’emploi, cinq ETP (équivalents temps plein) ont été mis à disposition de structures extérieures, dans des activités non concurrentielles et pour motif de « prestations supplémentaires ».

Bien que logique, un effet inattendu est apparu : le fait de mobiliser les PPDE d’un territoire en amont de la création de l’entreprise à but d’emploi a permis à un nombre non négligeable d’entre elles de retrouver du travail avant même d’être embauchées. On les évalue à 15 sur le projet de Saint-Fons et à presque 500 au niveau national. C’est le résultat de beaucoup d’accompagnement collectif, effort auquel Pôle emploi a été étroitement associé. Ce dernier envisage d’ailleurs, contrairement à son organisation actuelle par métiers, de mettre en place des conseillers territoriaux ; c’est déjà le cas à Villeurbanne Saint-Jean du fait de l’expérimentation.

Quel rôle pour la métropole ?

L’expérimentation de Villeurbanne Saint-Jean a fait des émules puisque six dossiers de candidatures sont en cours de finalisation : Givors associé à Grigny, Lyon 8e, Rillieux-la-Pape, Saint-Fons, Vénissieux, Villeurbanne les-Brosses. La quasi-totalité pourrait être déposée avant la fin de l’année 2022. Depuis un an, la métropole joue un rôle de chef de file-animateur dans une logique de subsidiarité avec un comité stratégique comprenant des élus, les maires des communes concernées et des techniciens. Au titre du département (la Métropole réunit les compétences du département et de la communauté urbaine sur les 59 communes du Grand Lyon), elle assure 15 % du financement des projets conformément à la loi (ligne contribution au développement de l’emploi). On observe cependant une coupure nette de la dynamique territoriale avec le département du nouveau Rhône (les 228 autres communes du Rhône) qui ne présente aucun projet alors que pratiquement tous les autres départements de la Région Auvergne-Rhône-Alpes en ont sous le coude et alors même que le bassin d’emploi de la métropole le couvre en presque totalité. Question de découpage… mais ceci est une autre histoire !

L’équipe projet de la métropole de Lyon est en appui aux équipes locales en matière de détection d’opportunités d’activités spécifiques, par exemple en lien avec les projets de renouvellement urbain : économie circulaire, agriculture urbaine, participation à la commande publique, mais aussi production et entretien de couches lavables, de jeux et jouets, ou encore pour les territoires labellisés « quartiers fertiles », en identifiant des besoins de service, entretien des chemins de randonnée, tâches des cuisines centrales (lavage de légumes ou de contenants réutilisables).

Au-delà de ces six projets, la métropole exprime une volonté de diffusion de l’expérimentation à d’autres communes dans le cadre prévu d’une entrée permanente dans le projet sur 3 ans. Elle veut démontrer qu’un concept d’abord prévu pour des territoires ruraux ou des petites villes (5 000 habitants), peut trouver sa pleine efficacité en milieu urbain dense. Elle veut aussi démontrer que en dehors même de l’habilitation formelle de « territoire zéro chômeur », il y a beaucoup de sens à accompagner des initiatives qui lient, à l’échelle de micro-territoires, l’activité au service du développement territorial et de l’accès à l’emploi, le tout pensé collectivement.

Une vraie démocratie participative

On peut constater qu’en présence d’une claire volonté politique, le projet TZCLD est un levier de structuration puissant de lutte contre le chômage, à même de faire bouger les acteurs, en interne et entre eux. Il serait coupable d’en réduire l’évaluation aux seuls effets directs sur les PPDE (Personnes privées durablement d’emploi) embauchées, ni aux seuls projets labellisés. L’objectif de la métropole lyonnaise, comme d’autres, est, grâce à l’ingénierie mise en place, de diffuser les apprentissages et les effets de l’expérimentation à l’ensemble du territoire métropolitain. À travers l’expérience acquise, nos interlocuteurs commencent à percevoir l’émergence d’une vraie démocratie participative entre les parties prenantes que sont élus, acteurs économiques et citoyens.

Du coup une dernière question un peu paradoxale : la diffusion ainsi potentiellement obtenue dans les territoires métropolitains, peut-elle l’être aussi facilement dans des zones rurales ou rurbaines ne disposant pas d’une gouvernance aussi puissante ? Un vrai renversement de perspective par rapport à la vision initiale et aux préoccupations territoriales développées par Jean Viard dans son dernier ouvrage (Jean Viard, La révolution que l’on attendait est arrivée. Editions de l’Aube, 2021).

Finalement, quelles que soit les caractéristiques du territoire, et par des voies forcément différentes, comme celles du seigneur elles sont impénétrables, l’enjeu n’est-il pas de passer d’une dynamique de micro-projets très localisés à une dynamique plus large qui fasse tache d’huile… jusqu’à ce que les taches d’huile se rejoignent ?

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Économiste du travail

Parcours professionnel : chercheur à l’université Pierre Mendes-France de Grenoble puis au CEREQ; chargé de mission au Secrétariat Régional pour les Affaires Régionales (préfecture de région Rhône-Alpes); directeur de l’Agence régionale pour la valorisation sociale (ARAVIS) à Lyon, directeur de l’information et de la communication, puis directeur scientifique et DGA de l’ANACT.

Fonction représentative: mandat CFDT au CESER Rhône-Alpes; premier vice-président, puis président de la commission Orientation, Éducation, formation, parcours professionnels (2008-2017).

Ce qui me caractérise : besoin de lier l’action à la réflexion et vis-et versa ; franchisseur de frontières : on m’ a souvent qualifié de « à la fois » syndicaliste et patron; c’est toujours placé, ou on m’a placé, dans des postures de médiation sociale; régionaliste et décentralisateur convaincu.

Centres d’intérêt : tropisme pour l’Afrique et les questions de développement, aime refaire le monde, sans oublier la montagne, la photographie, les voyages !