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Sans vouloir la surestimer, l’offensive du créationnisme contre Darwin et les théories de l’évolution, nous concerne. L’objet de cette lutte menée dans un climat de totale intolérance, ne porte pas seulement sur la création du monde, sur le contenu des enseignements, sur les rapports entre sciences et religions ou sur les non-débats au Conseil de l’Europe.

Cette offensive est à rapprocher des affirmations de l’Inserm, massivement combattues, sur la détection précoce des futurs délinquants. Ces théories ont en commun d’affirmer que tout est « écrit » dès l’origine. Du coup, c’est aussi une offensive contre l’idée de construction de soi dans des parcours individuels, sociaux, culturels, éducatifs et professionnels. C’est une offensive contre l’idée même du travail comme possibilité d’émancipation personnelle et de transformation sociale.

On connaissait l’influence du créationnisme aux Etats-Unis, on savait que ses thèses connaissaient un certain succès en Turquie, mais le Conseil de l’Europe lui-même a été le théâtre d’un incident révélateur.
Le 25 juin 2007, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est réunie pour débattre du rapport de Guy Lengagne, parlementaire socialiste, sur « les dangers du créationnisme dans l’éducation ». Le débat n’aura pas lieu. Les parlementaires votent pour son renvoi en commission, procédure « diplomatique » destinée à l’enterrer. Histoire anodine ? Regardons de plus près.

En janvier dernier, constatant que l’Europe n’est plus à l’abri de l’activisme des créationnistes, un groupe de parlementaires de toutes sensibilités politiques signe une proposition de recommandations sur les dangers de l’enseignement du créationnisme à l’école. La commission de la culture, des sciences et de l’éducation du Conseil de l’Europe s’empare de la proposition parlementaire et confie alors à Guy Lengagne, le soin d’élaborer un rapport sur la question.
Tout en se montrant très respectueux des croyances religieuses, le rapport dénonce le danger d’enseigner une thèse non scientifique dans les cours de sciences, il recommande l’enseignement de la théorie de l’évolution et fait le point sur l’avancée du créationnisme en Europe. Un exemple : plusieurs ministres européens en charge de l’éducation ont proposé, sans succès jusqu’alors, de ne plus enseigner l’évolution.

Le rapport est adopté le 31 mai par la commission de la culture à la quasi-unanimité. Lors de l’Assemblée plénière, le parlementaire Luc Van den Brande, président du groupe PPE/DC (parti populaire européen démocrate chrétien) va s’opposer à l’examen du texte et proposer son renvoi en commission, entraînant dans son sillage 63 des 119 parlementaires présents. Son argument : « Le Conseil de l’Europe n’est pas une académie scientifique mais un organe politique. Il n’est donc pas approprié de discuter de ce sujet ici, même si bien sûr, la discussion doit rester ouverte ». Les programmes d’éducation ne relèveraient donc pas du politique, voilà une porte ouverte à bien des abus. Fallait-il que ce rapport soit perçu comme dangereux pour qu’il fasse l’objet d’une argutie procédurale, mûrement préparée aux dires du rapporteur, et ne soit finalement même pas examiné en séance plénière. Déni de science et déni de démocratie sont allés de pair, ce qui interroge sur le travail politique au sein d’une grande institution européenne.

« Au vu du vote » a déclaré Guy Lengagne, « j’ai découvert avec stupéfaction que le cancer est beaucoup plus avancé que je ne le pensais. Quand je vois que le Conseil de l’Europe refuse de discuter de cela, je me dis que le Moyen-âge n’est pas loin… Je suis très préoccupé que les représentants les plus intégristes, les plus conservateurs aient pu influencer le Conseil de l’Europe, son bureau, son président,… Il s’agit d’empêcher l’enseignement de l’évolution et de troubler l’esprit des jeunes… L’atteinte la plus forte aux droits de l’homme, c’est d’empêcher l’homme de penser ».
Cet incident souligne l’émergence en Europe d’une idéologie en quadrature avec les fondements de la vie démocratique au cœur de laquelle se situe le Travail.

Laurène Fauconnier

Rapport « les dangers du créationnisme dans l’éducation »

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